La France s’était fixé 15 % de surface agricole utile convertie au bio d'ici à 2022. Un objectif qui semble aujourd’hui « inatteignable », selon un rapport du Sénat qui étrille l’inefficacité des politiques publiques. Non seulement les chiffres avancés masquent une réalité beaucoup moins glorieuse, mais l’agriculture bio s’apparente plus à une aubaine marketing qu’à une véritable avancée pour l’environnement.


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    En 2018, le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert présentait un grand plan « ambition bio 2022 » doté de 1,1 milliard d'euros visant à convertir 15 % de la surface agricole utile (SAU) au bio d'ici 2022 et à assurer 20 % de produits bio dans les repas servis en restauration collective. Un objectif jugé aujourd'hui « inatteignable » par un rapport de la commission des finances du Sénat présenté le mercredi 5 février 2020. « Le plan a été lancé à grand concours de communication. Et on constate aujourd'hui qu'on est loin de ses ambitions. On en est à 7,5 % de bio. Et dans les cantines, on en est à 3 % », déplore Alain Houpert, sénateur LR de la Côte-d'Or, qui a dirigé le rapport avec son collègue Yannick Botrel (sénateur PSPS des Côtes-d'Armor). Au rythme actuel, les objectifs seront au mieux atteints en 2026, poursuit le parlementaire. Le rapport pointe du doigt de nombreux dysfonctionnements.

    Le manque de fiabilité des chiffres

    L'Agence Bio, qui promeut la filière Bio en France, avance plus de 2 millions d'hectares cultivés en bio en 2018, contre 1 million d'hectares en 2013, soit un doublement en cinq ans. Sauf que ces estimations ne seraient pas fiables du tout, selon le Sénat. « Les décomptes surfaciques ont été considérés comme si approximatifs par la Commission européenne que la France a dû faire face à des corrections financières d'une ampleur considérable », note le rapport.

    Des cultures bio pas orientées sur les bons produits

    Le chiffre de 7,5 % de surface convertie au bio cache d'importantes disparités selon les spécialités agricoles et les régions. « Ce sont surtout les éleveurs de bovins lait et les viticulteurs qui se convertissent. Les grandes cultures ont plus de mal parce que les rendements chutent de façon énorme et les compensations ne suffisent pas », explique Alain Houpert. 60 % des terres passées au bio sont en réalité recouvertes de surfaces fourragères et de prairies permanentes, tandis qu'à peine 2,7 % des grandes cultures sont exploitées en bio. Les éleveurs de viande ou les maraîchersmaraîchers (légumes frais) sont également à la traîne.

    À peine 2,7 % des grandes cultures sont cultivées en bio (4,3 % en prenant en compte les surfaces en conversion). PPAM : cultures de plantes aromatiques, à parfum et médicinales. © Agence BIO/OC
    À peine 2,7 % des grandes cultures sont cultivées en bio (4,3 % en prenant en compte les surfaces en conversion). PPAM : cultures de plantes aromatiques, à parfum et médicinales. © Agence BIO/OC

    Un modèle économique qui repose sur des prix élevés

    Le rapport souligne la fragilité du modèle économique de l'agriculture bio, reposant sur des subventions massives et le « consentement à payer plus cher » du consommateur. Jusqu'à quand ce dernier sera-t-il prêt à payer 94 % de plus pour une tomate ou 151 % plus cher pour une pêche bio ? « Si, jusqu'à présent, les surprix des produits bio n'ont pas empêché le dynamisme de la demande, il ne faut pas perdre de vue que le prix demeure un facteur limitatif de l'essor de quantités consommées, ce qui rend incertain la progression de la demande », met en garde le rapport.

    L’incroyable complexité des aides

    On découvre dans le rapport des aides mal conçues, saupoudrées et attribuées de façon cacophonique. Une inefficacité due en premier lieu à l'éparpillement et la superposition des financeurs : FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), collectivités territoriales, État, etc. Le bio souffre également d'un taux de rejet des demandes de soutien « le plus élevé dans la vaste gamme des aides agricoles », de retards de paiement « persistants », et d'un sous-investissement chronique. Les concours publics spécifiquement consacrés à l'agriculture biologiqueagriculture biologique (1,33 milliard d'euros pour la période 2013-2019) représentent ainsi à peine 1 % du total des aides agricoles (même si cette part est en progression). Enfin, les aides sont totalement « décorrélées » du manque à gagner subi par l'agriculteur avec un dédommagement qui fonctionne à l'aveugle, accuse le rapport.

    Répartition des fonds européens (FEADER) par échelon d'exécution et par autorité de gestion pour la période 2014-2020 (en milliards d'euros). Source : Bilan du transfert aux régions de la gestion des fonds européens structurels et d'investissement, Cour des comptes, avril 2019
    Répartition des fonds européens (FEADER) par échelon d'exécution et par autorité de gestion pour la période 2014-2020 (en milliards d'euros). Source : Bilan du transfert aux régions de la gestion des fonds européens structurels et d'investissement, Cour des comptes, avril 2019

    Un gain environnemental incertain

    Au niveau environnemental, le rapport s'interroge sur l’intérêt même de l’agriculture biologique. Le labourlabour, pratiqué comme alternative aux herbicidesherbicides, est ainsi susceptible de limiter les pouvoirs de rétention des sols. Les pesticides alternatifs, comme le sulfate de cuivrecuivre, « présentent parfois des profils toxicologiques et éco-toxicologiques plus défavorables que celui des produits phytopharmaceutiquesproduits phytopharmaceutiques traditionnels », expliquent les deux sénateurs. Surtout, le modèle bio repose sur une réduction des rendements qui oblige à mobiliser davantage de terres agricoles, « ce qui entre en contradiction avec une demande mondiale en progression ». Pour le bléblé tendre, par exemple, le passage au bio se traduit par une chute des rendements de 50 % à 60 %. Au final, « Il n'est pas certain que les gains environnementaux dans les grandes plaines céréalières ou les zones d'élevage du Nord de l'Europe l'emportent sur les coûts de mobilisation des terres destinées à compenser les pertes de production dans les régions du monde où le défrichement gagne quotidiennement ». Un objectif uniquement en matièrematière de surface convertie au bio n'est à cet égard pas satisfaisant, juge le rapport.

    Plus de la moitié des fruits bio consommés en France sont importés. © Agence BIO, AND-International 2019
    Plus de la moitié des fruits bio consommés en France sont importés. © Agence BIO, AND-International 2019

    Des objectifs à revoir

    Le résultat de tout ça, c'est que la France importe aujourd'hui 31 % de ses besoins en bio, avec des produits qui ont subi un long transport, suremballés, et qui ne répondent pas forcément aux mêmes exigences que la réglementation européenne. Pas franchement écologique.

    Les sénateurs ne jettent pas pour autant le bébé avec l'eau du bain. « Il ne s'agit pas de revenir sur nos objectifs en matière d'agriculture biologique », insiste Alain Houpert. « Mais il faut se donner les moyens de nos ambitions ». Les sénateurs préconisent notamment une reprise en main des aides par l'État avec des objectifs plus ciblés : encourager l'investissement et la protection contre les risques des producteurs bio, développer la recherche dans la substitution aux produits phytosanitaires, simplifier les aides et veiller à l'harmonisation des pratiques, ou encore assurer le suivi des performances sanitaires et environnementales de l'agriculture bio.