En 1798, la France et l’Angleterre sont en guerre : Bonaparte, général des armées, rêve d’attaquer la Grande Bretagne par le biais d’une expédition en Egypte, sultanat de l’empire ottoman idéalement situé sur la route des Indes. Cette expédition permet au Directoire d’éloigner un homme dont les succès militaires et la popularité sont jugés politiquement dangereux. Bonaparte quitte Toulon, en mai 1798, avec plus de 300 navires, 40.000 hommes et 170 savants, ingénieurs, écrivains et artistes.


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    La France renonce à attaquer l'Angleterre de front et préfère engager sa flotte dans une guerre méditerranéenne, au risque de compromettre les bonnes relations qui existent avec l’empire ottoman. Le but de l'expédition est avant tout de gêner la puissance commerciale britannique, sur la route des Indes. Mais à l'origine de l'expédition d'Egypte, il existe également un ancien projet français de liaison vers l'Inde, par la constructionconstruction d'un canal à Suez, entre la Méditerranée et la mer Rougemer Rouge. Le projet ne convenait pas au ministre des Affaires étrangères de Louis XVI ni à la Compagnie française des Indes Orientales.

    Carte topographique de Basse Egypte (agrandissement), dans <em>Description de l'Egypte, </em>Géographie feuille 2, parue en 1809. The New York Public Library Digital Collections. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Carte topographique de Basse Egypte (agrandissement), dans Description de l'Egypte, Géographie feuille 2, parue en 1809. The New York Public Library Digital Collections. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Talleyrand, devenu ministre des Relations extérieures sous le Directoire, reprend l'idée du canal de Suez qui coïncide avec les visées de Bonaparte sur l’Egypte. Le Directoire est ravi de se débarrasser d'un général devenu très populaire, à la suite de sa première campagne d'Italie, et de plus en plus encombrant pour le régime politique en place. En France, la mode égyptienne bat son plein : les intellectuels pensent que l'Egypte est le berceau de la civilisation occidentale et que la France doit apporter les idées des Lumières au peuple égyptien.

    La campagne militaire d'Egypte

    Le 11 juin 1798, Bonaparte s'empare de Malte en raison de sa position stratégique en Méditerranée ; ce coup de force permet de repousser la flotte anglaise qui navigue dans cette région et a également des vues sur le fort de La Valette. L'armée française débarque à Alexandrie le 1er juillet : les Britanniques se trouvaient au large d'Alexandrie vingt-quatre heures avant l'arrivée des Français. Le commandement français veut éviter tout combat naval qui aurait des conséquences désastreuses pour la campagne ; Bonaparte souhaite marcher sur Le Caire pour surprendre le commandement égyptien avant qu'il ne prépare sa défense. Le 21 juillet a lieu la bataille des Pyramides et la victoire sur les Mamelouks ; c'est l'occasion de prêter, quelques décennies plus tard, cette phrase légendaire à Bonaparte : « Soldats, songez que du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent ».

    Tableau panoramique de la bataille des Pyramides, 21/07/1798, par Louis François Lejeune en 1806. Collections du Château de Versailles. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Tableau panoramique de la bataille des Pyramides, 21/07/1798, par Louis François Lejeune en 1806. Collections du Château de Versailles. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Les flottes britannique et française s'affrontent dans la baie d'Aboukir, près d'Alexandrie, le 1er et le 2 août 1798. Depuis plus de deux mois, l'amiral Nelson est à la poursuite des Français : la bataille navale tourne à l'avantage des Anglais et renverse la situation stratégique en Méditerranée. Elle permet à la Royal Navy de conserver une position dominante jusqu'en octobre 1801 et elle encourage d'autres pays européens à rejoindre la « deuxième coalition » (Grande-Bretagne, Empire ottoman, Russie, Naples, Autriche, Suède) contre la France.

    "Bataille du Nil" ou bataille navale d'Aboukir, 01/08/1798, par Thomas Whitcombe en 1817. National Maritime Museum, Greenwich, Londres. © Wikimedia Commons, domaine public.
    "Bataille du Nil" ou bataille navale d'Aboukir, 01/08/1798, par Thomas Whitcombe en 1817. National Maritime Museum, Greenwich, Londres. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Bonaparte subit la révolte du Caire, fin octobre 1798 : il fait tirer au canon sur la ville, la grande mosquée et massacre les habitants ; les instigateurs des troubles sont exécutés, le gouvernement du Caire est remplacé par une commission militaire. Bonaparte va ensuite visiter le port de Suez, pour s'assurer de l'existence du « canal des pharaons » creusé au XIXe siècle avant J.C., pour relier le Nil et la mer Rouge, préfigurant ainsi le canal de Suez.

    Bonaparte et son Etat-Major en Egypte, par Jean Léon Gérôme en 1863. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Bonaparte et son Etat-Major en Egypte, par Jean Léon Gérôme en 1863. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Devant l'imminence d'une guerre avec le sultan ottoman de Saint Jean d'Acre, Bonaparte décide d'engager une expédition en Syrie. L'armée française est repoussée lors du siège de Saint Jean d'Acre, du 20 mars au 21 mai 1799 ; les assiégés turcs sont soutenus par la flotte britannique. La bataille terrestre d'Aboukir contre l'armée ottomane, le 25 juillet 1799, est la dernière victoire de Bonaparte en Égypte. Le 23 août, l'armée apprend que le général en chef vient de transmettre ses pouvoirs au général Kléber et a décidé, après avoir pris connaissance de la situation politique, de rentrer en France. La campagne militaire d'Egypte se poursuit jusqu'à la capitulation française à Alexandrie, le 31 août 1801 ; ce sont les Britanniques qui rapatrient les vestiges du corps expéditionnaire français, appelée armée d'Orient.

    Bataille d'Aboukir, 25/07/1799, par Louis François Lejeune en 1804. Collections du Château de Versailles. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Bataille d'Aboukir, 25/07/1799, par Louis François Lejeune en 1804. Collections du Château de Versailles. © Wikimedia Commons, domaine public.

    L’expédition scientifique d'Egypte

    L'armada partie de Toulon embarque également des scientifiques, des ingénieurs, des artistes, membres de la nouvelle Commission des Sciences et des Arts créée en mars 1798 : les mathématiciensmathématiciens Gaspard Monge et Jean-Joseph FourierJoseph Fourier, le chimiste Claude-Louis Berthollet, le graveur dessinateur Dominique Vivant Denon, le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire, l'ingénieur des Arts et Métiers Nicolas Conté (l'inventeur du crayon à mine), font partie du voyage. Ils doivent apporter l'appui technique et scientifique à la logistique militaire, notamment dans le projet de percement du canal de Suez, le tracé des routes... Dès le mois d'août 1798, Bonaparte crée l'Institut d'Egypte qui a pour président le mathématicien Gaspard Monge et pour vice-président, le général Bonaparte. Cet Institut regroupe tous les scientifiques de l'expédition et se divise en quatre sections : mathématique, physique, économie politique, littérature et arts.

    Institut d'Egypte au Caire, palais de Hassan Kachif, grande salle des séances de l'Institut ; gravure de Réville et Duplessi-Bertaux en 1809, imprimerie impériale, Paris. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Institut d'Egypte au Caire, palais de Hassan Kachif, grande salle des séances de l'Institut ; gravure de Réville et Duplessi-Bertaux en 1809, imprimerie impériale, Paris. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Un journal, La Décade égyptienne, est créé en même temps pour informer sur les découvertes scientifiques. Les Egyptiens ne connaissant pas l'imprimerie, les Français en crée une pour publier journaux, dictionnaires, brochures et affiches, afin d'informer la population française et égyptienne. Des lettres d'imprimerie dans l'alphabet arabe sont donc fabriquées spécialement. Les savants dressent un tableau comparatif des poids et mesures égyptiens et français, composent un vocabulaire français - arabe et calculent un triple calendrier égyptien, copte et européen.

    "L'expédition d'Egypte sous les ordres de Bonaparte", par Léon Cogniet en 1835. Musée du Louvre. © Wikimedia Commons, domaine public.
    "L'expédition d'Egypte sous les ordres de Bonaparte", par Léon Cogniet en 1835. Musée du Louvre. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Sur le plan scientifique, les résultats sont extraordinaires : la découverte de la Pierre de Rosette est à l'origine du déchiffrage des hiéroglyphes par Jean-François Champollion (en 1822) ; Gaspard Monge étudie les phénomènes optiques et comprend l'énigme du mirage ; le naturaliste Etienne Geoffroy Saint-Hilaire s'intéresse à la faunefaune du Nil et révèle l'existence de poissonspoissons inconnus ; Nicolas-Jacques Conté met au point un procédé pour protéger les armes de la rouille ; Dominique Vivant Denon étudie les temples de Haute Egypte ; les ingénieurs polytechniciens Jean-Baptiste Jollois et Edouard de Villiers réalisent des relevés détaillés de monuments à Thèbes, Karnak, Abydos.... Face aux nombreuses découvertes et à la masse de connaissances, un deuxième journal est créé, Le Courrier d'Egypte. Sous les directives de Bonaparte, Le Caire prend l'aspect d'une ville européenne : elle est dotée d'une bibliothèque, d'un cabinet de physique, d'un laboratoire de chimie, d'un jardin botaniquebotanique, d'un observatoire, d'un musée d'antiquités.

    Jardins de l'Institut d'Egypte, aquarelle d'André Dutertre vers 1800. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.
    Jardins de l'Institut d'Egypte, aquarelle d'André Dutertre vers 1800. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr / BnF.

    Bilan

    L'expédition scientifique est une véritable réussite mais la campagne militaire un échec : la flotte française est coulée par l'amiral Nelson à Aboukir, les Français se rendent aux Anglais le 2 septembre 1800 et quittent l'Egypte à partir du 31 août 1801 : les Anglais réquisitionnent les découvertes des savants français et surtout la Pierre de RosetteRosette (qui se trouve au British Museum de Londres). Ce sont des calques et un moulage qui vont servir à Jean-François ChampollionJean-François Champollion pour déchiffrer les hiéroglyphes.

    Pierre de Rosette, exposée au Bristish Museum de Londres. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Pierre de Rosette, exposée au Bristish Museum de Londres. © Wikimedia Commons, domaine public.

    La Description de l'Egypte, première encyclopédie entièrement consacrée à l'Egypte, paraît entre 1809 et 1829 : la première édition dite « Impériale » est composée de neuf volumesvolumes de textes et treize volumes de planches ; c'est une œuvre monumentale placée sous la direction de Dominique Vivant Denon (futur directeur du musée du Louvre). Elle constitue un magnifique inventaire de l'Egypte du début du XIXe siècle, avec schémas, dessins, plans et cartes ; cet ouvrage demeure encore aujourd'hui une source importante de données à disposition des égyptologues.