Alors que Thomas Pesquet s'apprête à effectuer une « EVA » (sortie extra-véhiculaire) ce vendredi 13 janvier, nous avons interrogé Brigitte Godard, médecin personnel de l'astronaute européen. Elle nous explique pourquoi les sorties dans l’espace sont des activités à risques et comment il faut les préparer.


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    Si elles représentent un attrait incontestable à la fois pour l'astronaute et pour le public, les sorties extra-véhiculaires (EVA) « sont aussi un véritable challenge pour le corps humain », nous explique Brigitte Godard, médecin de Thomas PesquetThomas Pesquet du Cnes, détachée au Centre européen des astronautes de Cologne. À ce jour, bien que 196 EVA ont été réalisées depuis la Station spatiale internationale, cette activité est tout sauf routinière.

    Sortir dans l'espace, veut dire « être confronté aux conditions extrêmes de températures, de vide et aux risques de collisions avec des débris de micro-météorites ou d'exposition aux radiations solaires ». À ces conditions environnementales extrêmes s'ajoutent « la condition physiologique humaine et la surconsommation énergétique que représentent ces EVA », à l'intérieur d'un scaphandre qui protège à la fois de ce milieu mais « rend tout mouvement difficile, fastidieux et augmente ainsi la fatigue »

    Thomas Pesquet en avril 2013 lors de l’entrainement d’une EVA dans la piscine du NBL. Lors d’une sortie dans l’espace, un des points fondamentaux pour les médecins, nous explique B. Godard est le <em>« risque de maladie de décompression, celui que les plongeurs rencontrent aussi mais eux, au moment de la remontée vers la surface »</em>. Pour les astronautes, ceci apparaît plutôt au début. Cette maladie est due à la <em>« migration des bulles d'azote vers les tissus et le sang quand on passe d’une température élevée à une température plus basse »</em>. © James Blair, Nasa
    Thomas Pesquet en avril 2013 lors de l’entrainement d’une EVA dans la piscine du NBL. Lors d’une sortie dans l’espace, un des points fondamentaux pour les médecins, nous explique B. Godard est le « risque de maladie de décompression, celui que les plongeurs rencontrent aussi mais eux, au moment de la remontée vers la surface ». Pour les astronautes, ceci apparaît plutôt au début. Cette maladie est due à la « migration des bulles d'azote vers les tissus et le sang quand on passe d’une température élevée à une température plus basse ». © James Blair, Nasa

    Dès 2013, Thomas s’entraînait à sortir dans l’espace

    Pour lui, comme pour tous les astronautes qui séjournent à bord de la Station spatialeStation spatiale, la préparation à son EVA a débuté il y a « déjà quelques années, bien avant son arrivée à bord du complexe orbitalcomplexe orbital ». Il s'agissait de classiques entrainements en piscine au NBL (Neutral Buoyancy Laboratory) de Houston qui abrite une maquette de l'ISSISS grandeur nature. Il y a « cumulé des heures et des heures, à la fois pour s'acclimater à ce que représente une sortie dans l'espace (cela est parfaitement simulé par l'immersion) en termes de sensation et d'endurance pour le corps humain mais aussi par la répétition des taches qu'il aura à effectuer avec ses coéquipiers ». Un entrainement nécessaire pour préparer les EVA programmées mais également pour faire face à des sorties en urgence ou requises pour « pour réparer une fuite d'ammoniaqueammoniaque, changer des batteries ou intervenir sur un panneau solaire par exemple ».

    Sur le plan physiologique, « la condition physique est capitale ». Non seulement les astronautes s'entrainent avant leur séjour à bord de l'ISS pour « garder un bon état physique qui va leur permettre de perdre le moins de masse osseuse et musculaire possible mais aussi pour rester performant durant ces sorties dans l'espace ». Puis, avant le jour J, comme les conditions physiques des astronautes sont surveillées régulièrement, il est en effet indispensable que ces conditions physiques remplissent un minimum, soit un « bon maintien de son entrainement physique, de ses conditions cardiaques sans évidemment de lésions musculo-squelettiques qui entraveraient sa tache ou rendraient impossible le port, et surtout la tolérance de la combinaison spatiale (scaphandre) pendant des heures ».

    
Sur le plan physique, on va prévenir le classique accidentaccident des plongeurs (décompression) par un « protocoleprotocole de respiration d'oxygèneoxygène, avant la sortie, de plus de deux heures » qui se décompose en plusieurs étapes. Une première phase avec « 10 minutes d'exercice intense sur le classique vélo de l'espace Cevis, tout en respirant de l'oxygène afin de permettre à l'azoteazote d'être éliminé plus rapidement des tissus ». Une seconde phase avec respiration de O2 pure (environ deux heures), qui va se faire dans le sas avec le scaphandre où la « pressionpression va être progressivement abaissée pour atteindre 10.5 psi, contre normalement 14,2 psi dans l'ISS ». À la suite de quoi, « Thomas sera prêt à affronter le vide spatial ».

    Peggy Whitson et Shane Kimbrough se préparant pour sortir dans l’espace (6 janvier 2017). Ils sont ici vus en train de respirer de l’oxygène pur, sous la surveillance de Thomas Pesquet. Quand la photo a été prise, il restait encore 250 étapes de procédures avant qu’ils puissent sortir… ! © ESA, Nasa
    Peggy Whitson et Shane Kimbrough se préparant pour sortir dans l’espace (6 janvier 2017). Ils sont ici vus en train de respirer de l’oxygène pur, sous la surveillance de Thomas Pesquet. Quand la photo a été prise, il restait encore 250 étapes de procédures avant qu’ils puissent sortir… ! © ESA, Nasa

    Un effort physique significatif et pas sans conséquence

    Sur le plan physiologique, les EVA représentent pour les astronautes « comme je le disais une grande demande physique et énergétique ». Depuis le sol, « nous nous assurons continuellement au cours de la mission, mais plus spécifiquement la semaine précédant sa sortie, que le niveau de caloriescalories est suffisant, voire même un peu augmenté (par rapport à une activité de base dans l'ISS) ». En effet, du fait de la dépressurisation de la combinaison, il va en résulter des mouvements difficiles « qui requièrent en fait une charge de travail extrême pour le corps sachant que pendant ces 6 à 7 heures dans le vide, il ne pourra pas s'alimenter, seul un sac d'eau contenant 1,5 litre est autorisé ». D'autres risques médicaux sont susceptibles d'être rencontrés comme, « l'apparition de lésions musculaires au cours d'une telle EVA aussi bien que cutanées ».

    Le jour qui précède sa sortie prévue ce vendredi 13 janvier mais aussi dès son retour, une « conférence médicale est organisée pour rechercher tous ces points et donner des conseils ». Après l'EVA, « on va évidemment rechercher des signes de la maladie de décompression » et le jour suivant un bilan minimal est fait avec le CMOCMO« Le Crew Medical Officer [Thomas est lui-même CMO, NDLRNDLR] est un collègue astronaute qui a une formation plus poussée sur les connaissances médicales et va ainsi pouvoir prendre les paramètres médicaux tels que la pression artériellepression artérielle, le poulspouls, examiner et photographier les tympanstympans ».