Le XXIe siècle nous met au défi : changement climatique, inégalités sociales, pandémie mondiale... Mais il y a un autre challenge à relever. Celui de l'information. 


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    Comment faites-vous pour prendre de bonnes décisions ? Vous vous informez. Il existe plusieurs moyens pour s'informer, et avant d'acheter un bien, un service, adhérer à une cause..., l'idéal serait de faire des recherches exhaustives sur ce que nous voulons acheter ou la cause à laquelle nous voulons adhérer. Il faudrait aussi se renseigner sur les alternatives, scruter les caractéristiques d'intérêt du produit, se construire une connaissance robuste pour pouvoir correctement les interpréter... cela afin de faire les « bons » choix. Mais pour ce faire, il faut du temps. Beaucoup de temps. Trop de temps. Dès lors, la grande majorité des individus - vous et moi compris - ne s'informent pas comme cela. Nous demandons à un vendeur spécialisé de nous renseigner sur un produit. Nous demandons à un ami son avis sur tel ou tel service qu'il a sollicité. Nous nous informons en faisant confiance. 

    Dans un monde idéal, s'informer devrait être simple comme bonjour. Des données factuelles, descriptives du monde qui nous entoure, seraient facilement accessibles, disponibles et compréhensibles. Dans ce même monde, débattre aussi devrait être simple comme bonjour. Des structures, physiques ou en ligne, seraient accessibles et pensées de telle façon que des débats rassemblant la pluralité des opinions y auraient lieu. Dans le calme, la sérénité et dans un désaccord fécond en s'accordant toujours sur les faits à défaut de pouvoir toujours s'accorder sur les souhaits. Ce monde idéal n'est pas le nôtre. C'est tout le challenge de l'information au XXIe siècle que de s'en rapprocher. 

    La connaissance est toujours bonne à dire

    Pour envisager comment on pourrait se rapprocher de ce monde idéal, il faut d'abord comprendre celui qui nous entoure. Deux récents documentaires, la fabrique de l'ignorance et la fabrique du mensonge, traitent, en filigrane, d'un sujet connexeconnexe mais à différents niveaux. Le premier discute des moyens que possèdent les firmes privées pour utiliser les règles du jeu qui déterminent la pratique scientifique contre ses objectifs de connaissance. Le second pointe du doigt la recrudescence phénoménale de fausses informationsfausses informations sur les réseaux sociauxréseaux sociaux, mise en exergue depuis plusieurs années, à des fins mercantiles ou politiques.

    Ce qui rassemble la science d'un côté, et le journalisme de l'autre, c'est cette volonté commune d'œuvrer pour la connaissance. C'est une posture d'utilitariste de la règle qu'incarnent ces deux disciplines : la connaissance est toujours bonne à atteindre pour la première et elle est toujours bonne à dire pour la seconde. Ce n'est pas une posture déontologique comme on pourrait le penser de prime abord, parce que ce « devoir » envers la connaissance est respecté parce qu'il permet d'éviter des problèmes cruciaux aux conséquences terribles : manque d'informations, mauvaise communication, comportements dangereux, etc.

    Ce qui rassemble la science d’un côté, et le journalisme de l’autre, c’est cette volonté commune d’œuvrer pour la connaissance. © Nosorogua, Adobe Stock
    Ce qui rassemble la science d’un côté, et le journalisme de l’autre, c’est cette volonté commune d’œuvrer pour la connaissance. © Nosorogua, Adobe Stock

    Coopérer ou trahir ?

    Dans notre monde idéal, il n'y a ni mauvaise communication, ni biais cognitif, ni environnement compétitif, ni lutte pour des ressources. Les informations descriptives circulent en étant correctement comprises. Nous n'avons pas de raison de les croire ou de ne pas les croire. Nous n'avons pas de disposition particulière dans laquelle il faudrait être pour bien les recevoir et les intégrer à notre vision du monde. Dans ce même monde, pas de règles du jeu qui nous poussent à cacher de telles informations. Encore une fois, ce monde n'est pas le nôtre.

    Nos interactions sont polluées par la mauvaise communication. Nous avons des motivations à croire ou à ne pas croire une information descriptive sur le monde. Nous évoluons dans un environnement très compétitif et nous luttons constamment pour la possession de territoires et de ressources. Et les interactions dans le monde de l'information ne font pas exception. Les règles du jeu poussent les individus à adopter des comportements stratégiques. Quelles sont ses règles ? Dans la plupart des cas, remplir des créneaux horaires, faire plus d'audience que la concurrence pour, in fine, générer de l'argent. Tout cela est-il mauvais en soi ? Pas du tout. Ce qui est préjudiciable, ce sont les conséquences générées par de telles règles sur la conaissance. Imaginons la situation suivante : deux joueurs doivent faire un choix afin de décider qui inviter sur un plateau de télévision pour parler de philosophie des sciences.

    Joueur 1 / Joueur 2 Le joueur 2 invite un philosophe des sciences peu influent.Le joueur 2 invite Bernard-Henri Lévy.
    Le joueur 1 invite un philosophe des sciences peu influentLes deux font une audience moyenne. Le joueur 1 fait une audience catastrophique, le joueur 2 réalise la meilleure audience de la soirée toutes chaînes confondues. 
    Le joueur 1 invite Didier RaoultDidier RaoultLe joueur 2 fait une audience catastrophique, le joueur 1 réalise la meilleure audience de la soirée toutes chaînes confondues. Les deux font une mauvaise audience.  

    Ceux qui connaissent la théorie des jeux - la branche des mathématiques s'intéressant aux comportements adoptés par des agents dans des situations de choix stratégiques - auront reconnu ici une variante du dilemme du prisonnier. On constate que le jeu pousse les joueurs à opter pour le « mauvais choix » pour la connaissance. En effet, les récompenses possibles en matière d'audience poussent le joueur 1 et le joueur 2 à inviter une personne influente, quoi que fasse l'autre joueur. En effet, inviter un expert peu influent, c'est prendre le risque de faire une audience médiocre. À l'inverse, inviter un expert influent, c'est au mieux « casser la baraque », au pire faire une mauvaise audience. 

    Internet ne règle pas le problème

    Mais l'écosystèmeécosystème informationnel a bien changé et dispose désormais d'autres outils que la télévision, la presse écrite ou la radio. D'autres canaux de diffusion sont extrêmement populaires : presse en ligne, podcasts, réseaux sociaux, vidéos YouTubeYouTube ou encore live Twitch. On pourrait penser qu'en ligne, nous sommes plus libres d'accéder à cette information descriptive si chère aux scientifiques et aux journalistes. Mais les règles du jeu à l'œuvre sur le Web (clics, référencement) engendrent des comportements similaires et des conséquences encore plus terribles. Nos biais cognitifs et les algorithmes de recommandation guident nos recherches et agissent de concert afin de recréer une bulle informationnelle radicale comme nous le faisons naturellement dans la réalité.

    Règles du jeu et volonté des joueurs 

    Nous le voyons, le challenge de l'information est en réalité celui de la modification des règles du jeu... et de la volonté des joueurs. En effet, on ne peut imaginer une modification de ces règles sans une intervention des joueurs. L'objectif étant que les nouvelles règles favorisent les comportements favorables à la circulation optimale de la vérité. L'audience ou le référencement ne sont pas des mauvais objectifs en eux-mêmes. Néanmoins, il nous faut réfléchir à la constructionconstruction de systèmes qui récompensent davantage les comportements favorisant la circulation d'informations vraies. Sans cela, les joueurs sont condamnés à reproduire toujours les mêmes choix et c'est la vérité qui en paiera le lourd tribut.