Les égyptologues travaillant dans le cadre du projet ScanPyramids n'ont pas encore trouvé la porte des étoiles de la série Stargate SG-1, mais ils utilisent tout de même depuis quelques années une technologie qui serait pour Champollion de la science-fiction : des télescopes à muons. Sur la piste des secrets des pharaons ils ont découvert avec eux des cavités cachées depuis des millénaires dans la pyramide de Khéops. Ils révèlent aujourd'hui des images prises avec une caméra dans l'une de ces cavités.


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    Les plus de 30 ans connaissent certainement la mythique BD « Le Mystère de la Grande Pyramide », la deuxième aventure de la série de bande dessinée Blake et Mortimer, scénarisée et dessinée par Edgar P. Jacobs. Ils auront sans doute des pensées à ce sujet en prenant connaissance d'une récente déclaration à CBS News du tout aussi mythique archéologue égyptien Zahi Hawass : « Je pense que c'est une découverte très importante, car du côté nord de ce couloir, il y a une zone qui n'a pas de calcairecalcaire, elle est vide. Je pense vraiment qu'il y a quelque chose d'important sous le couloir, ça pourrait être la vraie chambre funéraire de Khéops. ».

    Ce commentaire de Zahi Hawass accompagne une publication de membres de la collaboration ScanPyramids, un projet franco-égyptien d'études de l'intérieur des pyramides d'Égypte conçu et coordonné par l'université du Caire et par l'Institut HIP, lancé en octobre 2015. La publication présente les derniers résultats de l'étude du NFCNFC (pour North Face CorridorCorridor), un couloir inconnu jusqu'il y a peu dans la Grande Pyramide de Gizeh construite il y a environ 4 500 ans pour abriter la momie du pharaon Khéops (jamais retrouvée jusqu'ici), deuxième roi de la IVᵉ dynastie de l'Ancien Empire. Il aurait régné aux alentours de 2600 avant notre ère.

    En combinant les résultats de la muographie, d'un radar à pénétration de sol et de tests par ultrasons, l'équipe de ScanPyramids s'est rendu compte que le NFC pouvait être atteint avec un endoscope. À l'aide d'un GPR à haute fréquence, l'équipe ScanPyramids a trouvé une ouverture, ce qui a permis d'introduire un endoscope d'un diamètre de seulement 5 mm. Cela a révélé les toutes premières images de ce qui s'est avéré être non seulement un vide ou une cavité, mais une structure architecturale imprévue. C'est la première fois en plus de 4 500 ans que l'on peut voir l'intérieur de cette pièce oubliée depuis longtemps de la pyramide de Khéops. © <em>HIP Institute</em>
    En combinant les résultats de la muographie, d'un radar à pénétration de sol et de tests par ultrasons, l'équipe de ScanPyramids s'est rendu compte que le NFC pouvait être atteint avec un endoscope. À l'aide d'un GPR à haute fréquence, l'équipe ScanPyramids a trouvé une ouverture, ce qui a permis d'introduire un endoscope d'un diamètre de seulement 5 mm. Cela a révélé les toutes premières images de ce qui s'est avéré être non seulement un vide ou une cavité, mais une structure architecturale imprévue. C'est la première fois en plus de 4 500 ans que l'on peut voir l'intérieur de cette pièce oubliée depuis longtemps de la pyramide de Khéops. © HIP Institute

    La publication revient donc sur une cavité interne de la Grande Pyramide découverte par des membres de ScanPyramids déjà en 2016 et qui a été étudiée plus en détail avec des muons (on va y venir tout de suite), au point finalement de faire pénétrer à l'intérieur - avec une technique d'endoscopieendoscopie - une caméra, comme le montre la photo ci-dessus extraite d'une vidéo dévoilant cette cavité, et que l'on peut voir ci-dessous dans une mise à jour pour 2023 d'une précédente datant de 2019.

    La caméra n'a révélé aucun contenu cependant et pour le moment, comme il l'a déclaré à CBS News, le chef du Conseil suprême égyptien des antiquités, Mostafa Waziri, avoue son ignorance et celle de ses autres collègues quant à la nature et à la signification de cette cavité dont on ne sait pas si elle est accompagnée d'autres toutes proches, comme l'espère visiblement Zahi Hawass.

    Du « ScanPyramids Big Void » au « North Face Corridor »

    Comme Futura l'expliquait dans le précédent article ci-dessous, cela fait plus de 50 ans, suite aux travaux du prix Nobel de physique Luis Walter Alvarez, que l’on envisage d’utiliser les rayons cosmiques comme des sortes de rayons X permettant de « radiographier » les pyramides à la recherche de leurs secrets. Cela pourrait conduire à la découverte de tombes royales encore plus spectaculaires que celle de Toutânkhamon.

    Alvarez voulait utiliser, au lieu des photons des rayons X, des particules de matière que l'on appelle des muons, des sortes de cousins lourds de l'électron qui sont très instables et qui sont naturellement produits par la désintégration d'autres particules, les pions de Yukawa. Pions, dans le cas présent, produits par les collisions des rayons cosmiquesrayons cosmiques avec les noyaux des atomesatomes de la haute atmosphèreatmosphère au-dessus des pyramides.


    2019 : les dernières avancées des scientifiques de la mission ScanPyramids/HIP Institute depuis l'annonce de la découverte d'une grande cavité inconnue dans la pyramide de Khéops en 2017. © La Boîte à Progrès

    De fait, depuis quelques années, grâce à ce que l'on appelle la muographie et notamment aussi grâce à des détecteurs de particules que l'on doit en partie à un autre prix Nobel de physique, Georges Charpak, ancien physicien au Cern, de mystérieuses cavités ont été détectées dans la mythique pyramide de Khéops dans le cadre du projet ScanPyramids. Il y a ainsi eu en 2017 une publication retentissante dans le célèbre journal Nature annonçant que la technique de muographie, mise en pratique par trois équipes distinctes de l'université de Nagoya (Japon), du KEK (Japon) et du CEA, avait abouti à la première découverte d'une structure interne majeure de la pyramide de Khéops depuis le Moyen Âge.

    Cette nouvelle cavité, baptisée ScanPyramids Big Void, semblait avoir une longueur minimale de 30 mètres et elle se trouverait juste au-dessus de la fameuse Grande Galerie, elle-même de 47 mètres de long et 8 mètres de haut, comme le montre la vidéo ci-dessus.


    La version 2023 de la vidéo 2019 montrant finalement l'exploration du couloir NFC avec une caméra en fin de vidéo. © HIP Institute

    Tout, vous saurez tout sur la muographie !

    Une nouvelle publication dans le journal Nature communications, exposant toujours des résultats obtenus en partie grâce aux télescopestélescopes à muons conçus au CEA et qui sont équipés de détecteurs Micromegas inventés en 1994 au sein du CEA-Irfu, donne aujourd'hui plus de détails sur une cavité plus modeste dont la découverte avait aussi été annoncée il y a quelques années, et dont l'existence avait été démontrée en 2016 près de la face nord de la pyramide de Khéops.

    Les muons ont clairement confirmé que la cavité baptisée initialement NFC (pour North Face Corridor) était une pièce de 9,5 mètres de long et d'une section moyenne de 2 m x 2 m, avec un plafond en chevronschevrons taillés. Cependant, elle ne communique pas directement avec le Big Void découvert en 2017, précise un communiqué du CEA.


    Le muon est une particule élémentaire du modèle standard. Sébastien Procureur, physicien au CEA, explique l'intérêt des muons. Considéré comme le frère ou le cousin lourd de l’électron, il a quasiment les mêmes propriétés que l’électron sauf qu’il est plus massif (200 fois plus lourd que l’électron) et est instable : durée de vie de 2 microsecondes. Le muon est plus pénétrant que l'électron. Il peut traverser des dizaines, voire des centaines de mètres de roche avant d'être absorbé ou désintégré. En regardant dans une direction donnée à travers un objet et en comptant le nombre de muons qui arrivent dans cette direction, les chercheurs sont capables de déterminer la densité ou l’épaisseur de l'objet en deux dimensions. C'est ce que l'on appelle une muographie. Quelles sont les applications de la muographie ? Les volcanologues utilisent des télescopes à muons pour mesurer la densité de l'édifice volcanique (poche de magma...). Dernière utilisation en date : la recherche de cavités secrètes dans les pyramides d'Égypte. © CEA Recherche

    La collaboration ScanPyramids avait découvert un nouveau vide au cœur de la pyramide de Khéops en 2017. Cette cavité a été détectée par des techniques d’imagerie muoniques conçues et mises en œuvre par trois équipes distinctes de l'université de Nagoya (Japon), du KEK (Japon) et du CEA. C’est la première découverte d'une structure interne majeure de Khéops depuis le Moyen Âge. Explications en vidéo avec trois chercheurs du CEA ayant participé au projet. © CEA Recherche

    La pyramide de Snéfrou scannée... avec des rayons cosmiques

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 20/01/2016

    Depuis des dizaines d'années déjà, les muons cosmiques servent à sonder les pyramides mayas et égyptiennes, sans oublier les volcansvolcans. PhysiciensPhysiciens et égyptologues font de nouveau appel à cette technique pour explorer la pyramide de Snéfrou, espérant y découvrir une chambre secrète ou, au moins, les secrets de sa constructionconstruction.

    La célèbre pyramide rhomboïdale, au sud-ouest de Memphis et à environ 10 km au sud de Saqqarah, doit ce surnom à sa forme, avec une moitié supérieure moins pentue que la base. La première pyramide élevée par le pharaon Snéfrou sur le site de Dahchour doit sans doute cette caractéristique à un problème durant sa construction. À mi-chemin, ses bâtisseurs ont dû craindre que la pyramide ne s'effondre sous son propre poids. © Wikipédia, CC BY-SA 2.5
    La célèbre pyramide rhomboïdale, au sud-ouest de Memphis et à environ 10 km au sud de Saqqarah, doit ce surnom à sa forme, avec une moitié supérieure moins pentue que la base. La première pyramide élevée par le pharaon Snéfrou sur le site de Dahchour doit sans doute cette caractéristique à un problème durant sa construction. À mi-chemin, ses bâtisseurs ont dû craindre que la pyramide ne s'effondre sous son propre poids. © Wikipédia, CC BY-SA 2.5

    Le projet Scan Pyramids évoque puissamment la série Stargate SG-1, avec sa technologie issue de la physiquephysique des hautes énergiesénergies pour percer le mystère des pyramides. Pourtant, l'idée d'utiliser des particules venues des rayons cosmiques pour, en quelque sorte, radiographier l'intérieur des pyramides est ancienne. Au siècle dernier, le prix Nobel de physique Luis Walter Alvarez, qui avait été avec son fils à l'origine de l'hypothèse de l'astéroïdeastéroïde tueur de dinosauresdinosaures, avait en effet mené les projets Giza en 1968 et Join Pyramid Project de 1967 à 1968. Il s'agissait d'utiliser des détecteurs destinés à mesurer l'énergie et la trajectoire des muons - des cousins lourds et instables de l'électron - dans les accélérateurs de particules, pour une analyse semblable à la tomodensitométrie des scanners à rayons X.

    Ces muons sont produits lorsque des rayons cosmiques frappent les noyaux des atomes de l'atmosphère. Ils se déplacent presque à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière et leur flux à la surface de la Terre est estimé à environ 10.000 par mètre carré et par minute. Cela signifie donc aussi qu'environ 600 d'entre eux traversent votre corps chaque minute sans encombre.


    Le projet ScanPyramids permettra-t-il de percer les mystères des pyramides d'Égypte ? © HIP Institute

    Des muons pour sonder les volcans et les pyramides égyptiennes

    Bien qu'ils soient très pénétrants, leurs énergies et leur trajectoires sont affectées par la densité et l'épaisseur des matériaux qu'ils traversent. On peut donc se servir de ces caractéristiques pour cartographier la densité à l'intérieur d'objets massifs et y distinguer l'emplacement de cavités. Les volcanologuesvolcanologues ont saisi depuis un certain temps le potentiel de cette méthode et se sont associés à des physiciens des particules pour ausculter les volcans. En France, des recherches de ce type sont d'ailleurs menées par les membres du projet ToMuVol.

    Il y a plus de 40 ans, Alvarez et ses collègues ont dû s'avouer bredouilles face à la pyramide de Khéphren. Mais, depuis lors, la technologie a progressé, de sorte qu'en novembre 2015 des chercheurs menés par le professeur Kunihiro Morishima, de l'université de Nagoya, ont commencé une série de tests dans la pyramide rhomboïdale de Dahchour. Elle a été construite pour le pharaon Snéfrou, premier roi de la IVe dynastie égyptienne, qui aurait régné de -2575 à -2551 ou -2550 av. J.-C. Cette pyramide présente des points communs avec celle que fit construire le fils de Snéfrou, le célèbre Khéops. On peut en particulier y admirer les restes plutôt bien conservés du revêtement qui couvrait les pyramides à faces lisses.

    Les résultats de ces « scans à muons » sont en cours d'analyse et, quels qu'ils soient, la technique sera appliquée à d'autres pyramides. Croisons les doigts pour qu'elle nous révèle des trésors plus précieux encore que ceux de la tombe de Toutânkhamon.