L'Américain Arthur Ashkin, le Français Gérard Mourou et la Canadienne Donna Strickland viennent d'être récompensés par le comité Nobel pour leurs travaux sur les applications des lasers. Troisième femme à recevoir le Nobel en physique, Donna Strickland était la thésarde de Gérard Mourou quand ils ont développé ensemble une technique permettant d'obtenir des impulsions laser extrêmes.

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    Comme c'est souvent le cas, le comité de la fondation Nobel vient de déjouer les prédictions, en l'occurrence pour la physique. On pouvait s'attendre à voir récompensés Thibault Damour et Alain Brillet pour leurs travaux sur les ondes gravitationnellesondes gravitationnelles, qui leur avait déjà valu une médaille d'or du CNRS. Le nom d'Alain Aspect était sur les lèvres, également, à tel point qu'on ne comprend pas bien pourquoi il n'est toujours pas lauréat. Les pronosticspronostics incluaient aussi Michel Mayor et Didier Queloz pour leurs découvertes sur les exoplanètes.

    Mais force est de constater que la cuvée 2018 est elle aussi pleinement justifiée. La première moitié du Nobel de physique va à l'États-unien Arthur Ashkin, né en 1922 dans une famille juive de Brooklyn (New York). Il devient le plus vieux lauréat du prix Nobel de physique qu'il reçoit à 96 ans, presque comme cadeau d'anniversaire. Arthur Ashkin (à ne pas confondre avec son aîné, Julius Ashkin, aussi physicienphysicien de talent mais dans le domaine de la physique nucléaire et des particules élémentaires) se voit récompensé pour ses travaux de pionnier sur le piégeage des particules à l'aide des faisceaux laser, travaux qui sont d'ailleurs à la base de ceux d'autres lauréats du prix Nobel de physique, notamment Claude Cohen-Tannoudji, Steven Chu et William Philips. L'accent est mis par l'académie suédoise sur la réalisation de véritables « pinces optiques » grâce aux travaux d'Ashkin. Elles permettent de se saisir de cellules vivantes individuelles et d'y étudier la machinerie moléculaire, et même de manipuler des virus et des atomes.

    La deuxième moitié du prix Nobel 2018 est partagée par le Français Gérard Mourou et la Canadienne Donna Strickland, née le 27 mai 1959 à Guelph (Ontario). Celle-ci est seulement la troisième femme à recevoir un prix Nobel de physique, après Maria Goeppert-Mayer (1963) et Marie CurieMarie Curie (1903). Les travaux qui lui valent aujourd'hui ce prix ont été réalisés conjointement avec Gérard Mourou alors qu'il dirigeait sa thèse au milieu des années 1980. Cette récompense tranche heureusement avec le cas de plusieurs femmes oubliées du Nobel, en particulier Jocelyn Bell Burnell, pour la découverte de pulsarspulsars, et Chien-Shiung WuChien-Shiung Wu, pour sa démonstration de la violation de la parité en physique des particules.


    Un exposé de la Nobel de physique 2018 Donna Strickland. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Institute for Quantum Computing

    Des impulsions laser extrêmes pour la médecine et la chimie

    Pour nous Français, c'est évidemment Gérard Mourou qui attire notre attention, bien que le prix Nobel lui soit attribué pour son travail conjoint avec Donna Strickland, à savoir leur découverte de la technique baptisée « Amplification par dérive de fréquencefréquence » (Chirped Pulse Amplication, ou CPA), qui a permis de sortir la physique des lasers d'une impasse technologique. Le problème à résoudre était en effet le suivant. La course à la production de faisceaux laser conduisait à produire des champs électriqueschamps électriques d'amplitudes de plus en plus élevées. Ces champs devenaient alors capables de détruire les milieux matériels où ils étaient générés de par les forces exercées sur les particules chargées.

    La solution trouvée par les deux chercheurs a constitué dans un premier temps à étirer des paquetspaquets d'ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques de manière à faire baisser l'amplitude de ces champs électriques, puis d'amplifier raisonnablement ces champs avant de comprimer ces paquets, ce qui faisait considérablement grimper les amplitudes de champs tout en produisant des impulsions lasers très courtes.

    J'avais envie de donner de la puissance au laser.

    Au final, la CPA permet de boosterbooster la puissance du laser d'un facteur compris entre 1.000 et 100.000, ouvrant l'ère des applicationsapplications des lasers femtosecondes aux impulsions ultracourtes ainsi que des applications nécessitant des énergiesénergies élevées. Ces impulsions ultracourtes permettent en quelque sorte des photographiesphotographies avec des « duréesdurées d'exposition » très brèves et qui plus est avec des résolutionsrésolutions élevées. Grâce à elles, des sortes de de vidéos accélérées à l'extrême de particules impliquées dans des réactions chimiques montrent des détails jusque-là cachés.

    Les impulsions des lasers femtosecondesfemtosecondes sont aussi utilisées depuis quelques décennies en médecine pour la chirurgiechirurgie oculaireoculaire à l'aide du Lasik (Laser-Assisted In-Situ Keratomileusis). Elle permet de traiter la myopiemyopie et d'autres anomaliesanomalies de la vision, comme l'hypermétropiehypermétropie, l'astigmatismeastigmatisme et la presbytiepresbytie.


    Un exposé du prix Nobel de physique 2018 Gérard Mourou sur ses travaux. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Optical Society

    Des impulsions lasers extrêmes pour la physique des particules

    Enfin, la technique CPA peut servir à construire des accélérateurs de particules miniaturisés. En créant des champs électriques plus intenses sur une petite distance, elle ouvre en effet la voie à une miniaturisation et une démocratisation (par baisse des coûts de fabrication et d'utilisation) de ces grands instruments. Des versions plus compactes et moins chères pourraient être utilisées en médecine pour guérir des cancerscancers avec des faisceaux de particules et pourraient même devenir des successeurs du LHC. Cela permettrait de sonder de la nouvelle physique, de créer des particules de matièrematière et d'antimatièreantimatière à partir de la lumièrelumière et du vide quantique, et même d'explorer le paradoxe de l'information des trous noirstrous noirs avec des analogues de l'horizon des évènements en physique des plasmas (voir la vidéo ci-dessus).

    On peut même trouver des applications dans le domaine de la gestion du problème des déchets nucléairesdéchets nucléaires. Gérard Mourou s'est d'ailleurs beaucoup impliqué dans le projet Extreme Light Infrastructure (ELI) qui va dans cette direction, comme l'explique un article du Journal du CNRS mis à jour et consacré à ce prix Nobel au parcours un peu insolite.

    Né en 1944, en Ardèche, il a commencé ses études supérieures à l'université de Grenoble où il obtient une maîtrise en physique en 1967 avant de passer une thèse à Paris. Ce n'est que plus tard qu'il rejoint l'École polytechnique, après un passage au Canada, où il crée un groupe de recherche sur les sciences ultrarapides. Il part ensuite, en 1977, à l'université de Rochester, aux États-Unis, pari risqué mais audacieux et clairvoyant comme il l'explique dans l'article du CNRS. « Mes collègues français me considéraient comme fou de quitter le pays ! Mais c'était la seule possibilité de combiner physique de la matière condensée, électronique et photonique ultrarapide. Et puis j'avais envie de donner de la puissance au laser. »

    Il reviendra en France par la suite où il dirigera quelque temps le Laboratoire d'optique appliquée (une UMR ENSTA ParisTech/CNRS/École polytechnique). Il sera également à l'origine de trois initiatives majeures en matière de lasers de puissance : le projet XCAN à l'École polytechnique, le laser Apollon sur le plateau de Saclay et enfin la grande infrastructure européenne ELI dont on a déjà parlé et qui, à terme, abritera les lasers les plus puissants du monde en Hongrie, Roumanie et en République tchèque.