De nouvelles études confirment l'existence d'un océan d'eau salée à l'état liquide sous la surface de Cérès. Une découverte qui montre que l'eau est un élément bien plus courant dans le Système solaire qu'on ne le pense et renforce l'intérêt d'envoyer une mission sur la surface de cette planète naine. Les explications de Patrick Michel, spécialiste mondial des petits objets du Système solaire, directeur de recherches au CNRS et membre des équipes scientifiques des missions Hayabusa et Osiris-Rex.


au sommaire


    CérèsCérès n'en finit pas d'étonner et d'intriguer les scientifiques qui l'étudient depuis sa découverte en 1801. FossileFossile d'une époque aujourd'hui disparue, celle qui a vu naître les planètes du Système solaire, Cérès a tour à tour été considérée comme une planète à part entière, puis comme un astéroïde, avant d'être classée comme une planète naine. Depuis la mission Dawn de la Nasa, qui a exploré VestaVesta de juillet 2011 à juillet 2012, et Cérès de février 2015 à octobre 2018, l'histoire de sa formation commence à être mieux comprise, bien que des questions soient encore en suspens.

    Lundi 10 août, une série d'articles publiés par différentes revues scientifiques ont fait le point sur l'état des connaissances de cette planète et accrédité la thèse selon laquelle cette planète naine est un monde océanique. La découverte d'un vaste réservoir de saumuresaumure, une solution aqueuse saturée en sel, caché sous le cratère Occator et la présence de chlorure de sodiumsodium hydraté sur la plus grande zone brillante de ce cratère accréditent cette hypothèse.

    Le cratère Occator de Cérès sous lequel se cacherait un océan d'eau salée à l'état liquide, profond d'environ 40 kilomètres et qui s'étendrait sur des centaines de kilomètres. © Nasa, JPL-Caltech, Ucla, MPS, DLR, IDA
    Le cratère Occator de Cérès sous lequel se cacherait un océan d'eau salée à l'état liquide, profond d'environ 40 kilomètres et qui s'étendrait sur des centaines de kilomètres. © Nasa, JPL-Caltech, Ucla, MPS, DLR, IDA

    Un océan liquide dans la sous-surface de Cérès

    C'est ce que confirme Patrick Michel, astrophysicien, directeur de recherches au CNRS et membre des équipes scientifiques des missions Hayabusa et Osiris-Rex qui tient à préciser que, parlant de Cérès, « nous allons de découverte en découverte et donc, de surprise en surprise ». La confirmation de l'existence de cet océan n'en est pas vraiment une car « on soupçonnait déjà qu'il pouvait y avoir un océan liquideliquide dans la sous-surface de Cérès ». Mais ces publications fournissent des « données très robustes dans ce sens, et montrent que si de telles structures existent sur Mars et sur certains satellites glacés, c'est la première fois qu'on les met en évidence sur une planète naine, d'à peine 950 kilomètres de diamètre ».

    C'est donc une sorte de changement de paradigme. Un océan ou lac liquide peut donc « exister aussi en sous-surface d'un petit corps entre Mars et JupiterJupiter » ! Cela conforte les scénarios d'instabilité dans les phases précoces du Système planétaire, dont certains élaborés à l'observatoire de la Côte d'Azur, à Nice en France (modèle de Nicemodèle de Nice) qui expliquent « comment des corps riches en eau, formés au-delà de la ligne des neiges (au-delà de Jupiter) ont pu être piégés dans la ceinture des astéroïdes, en deçà de Jupiter ».

    Voir aussi

    Sur Cérès, la glace d'eau est partout, juste sous la surface

    L'autre aspect de la découverte, c'est que le matériel trouvé sur Cérès est extrêmement important pour l'astrobiologieastrobiologie car utile et essentiel pour produire des briques élémentaires de la vie. Mais de là à imaginer qu'une forme de vie primitive a pu émerger à un moment dans l'histoire de cette planète naine, c'est un scénario difficilement envisageable pour Patrick Michel « en l'état des données actuelles qui ne permettent pas de dire si l'existence d'une forme de vie est probable ». Concrètement, ces données disent seulement que « certaines conditions existent sur Cérès, mais remplissent-elles tous les critères pour faire émerger la vie ? » s'interroge le scientifique, convaincu que seule une « mission d'analyse in situ et de retour d'échantillons pourrait nous le dire ».

    Vue de l'intérieur du cratère Occator sur Cérès. © Nasa, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA, USRA, LPI
    Vue de l'intérieur du cratère Occator sur Cérès. © Nasa, JPL-Caltech, UCLA, MPS, DLR, IDA, USRA, LPI

    Des molécules organiques, peut-être, mais des organismes vivants, peu probable

    De ce point de vue, Cérès apparaît comme une « cible d'exploration majeure pour ces prochaines années pour un retour d'échantillons ». Cela serait moins coûteux et compliqué que de le faire depuis le satellite Europe de Jupiter ou la lunelune EnceladeEncelade de SaturneSaturne. Et dire qu'il y a encore quelques années, Mars était le seul candidat pour l'eau liquide en sous-surface pas trop loin de la Terre, puis Europe, puis Encelade beaucoup plus loin... Grâce aux missions vers les petits corps et planètes naines, « nous constatons que c'est aussi le cas sur des corps pour lesquels sans les missions spatiales, nous n'aurions pas pu le découvrir et pour lesquels c'était totalement inattendu au départ ». Il y a encore seulement quelques années, la quête de l'eau liquide « apparaissait comme quelque chose de rare », peut-être que ces découvertes nous « montrent qu'elle est plus abondante qu'on le supposait ».

    Cela dit, si des projets de mission à destination de Cérès existent, dont le projet Nautilus de Pierre Vernazza, chargé de recherche au CNRS, chercheur au laboratoire d'AstrophysiqueAstrophysique de Marseille, aucune décision n'a été prise pour l'instant.

    À ce jour, il existe seulement une étude de concept de mission financée par la Nasa en vue de fournir des inputs pour le Decadal Survey. Mais, de là au financement, il y a encore un pas énorme car un tel projet sera en compétition avec d'autres. Quant à une collaboration ESAESA-Nasa, si elle est intéressante, elle se heurte à des problèmes de coordination en matièrematière de programmes entre les deux agences. Les missions Nasa en science planétaire ont un bon turnoverturnover car il y a des appels à proposition réguliers en raison des programmes DiscoveryDiscovery et New Frontiers au contraire de l'ESA, où tous les domaines sont mélangés. À cela s'ajoute que tous les budgets disponibles pour des missions spatiales et d'exploration jusqu'au début des années 2030 sont déjà pris par des projets déjà sélectionnés et ceux encore disponibles ont déjà été mis en compétition.