On s'en doutait depuis un moment déjà étant donné la formidable énergie dégagée par les trous noirs supermassifs quand ils deviennent des quasars et brillent comme plusieurs centaines de milliards d'étoiles. Cette énergie peut éjecter massivement le gaz moléculaire permettant la formation des étoiles dans une galaxie et ainsi la supprimer, la laissant agoniser et ses étoiles s'éteindre sans être remplacées par de nouvelles.


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    Cela fait des décennies que les astronomesastronomes constatent que certaines galaxies sont quasiment vidées de leurs nuagesnuages de gaz moléculaires et poussiéreux, c'est-à-dire précisément les réservoirs où se forment par effondrementeffondrement gravitationnel les pouponnières d'étoiles. Les théoriciens cherchent à comprendre ce qui peut bien avoir « tué » ces galaxies et certains ont avancé l'idée, soutenue par des calculs et des observations, que les coupables devaient être les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs contenant d'un million à plusieurs milliards de masses solaires que l'on sait maintenant se trouver très probablement au cœur de toutes les grandes galaxies.

    Quand ces trous noirs sont alimentés par d'importants courants de matière tombant sur eux, quelles qu'en soient les raisons, filaments de matière noire froide ou fusion avec une galaxie après collision, la matière s'échauffe considérablement en formant un disque d'accrétiondisque d'accrétion autour des trous noirs géants, qui plus est en rotation. On obtient un plasma et des jets de matière, ainsi qu'un flux de rayonnement dont la pressionpression peut s'opposer à la chute de courants de matière moléculaire vers le trou noir. Le rayonnement est si intense qu'on obtient des phares cosmiques bien visibles à des milliards d'années-lumièreannées-lumière et rayonnant comme toutes les étoiles d'une seule grande galaxie : des quasars.

    Et voilà l'idée : la pression de radiationpression de radiation peut être si importante, comme le flux du vent solairevent solaire sur la queue d'une comètecomète, qu'elle en éjecte le gaz moléculaire du milieu interstellaire dans les galaxies hors de celles-ci. Elles se retrouvent alors privées de la matière pouvant servir à la naissance de nouvelles étoiles et les galaxies « meurent », à moins qu'elles ne soient ensuite réalimentées en gaz. C'est une preuve de plus de l'existence de ce phénomène que vient d'apporter une équipe de chercheurs dirigée par le professeur adjoint Dragan Salak (université d'Hokkaido), le professeur adjoint Takuya Hashimoto (université de Tsukuba) et le professeur Akio Inoue (université Waseda).

    Vue d'artiste d'une éjection des nuages de gaz moléculaires d'une galaxie par son quasar, J2054-0005. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO)
    Vue d'artiste d'une éjection des nuages de gaz moléculaires d'une galaxie par son quasar, J2054-0005. © Alma (ESO/NAOJ/NRAO)

    La première preuve de la suppression de la formation d'étoiles provoquée par un quasar dans l'Univers primitif 

    Le communiqué de l'université d'Hokkaido qui accompagne la publication des travaux de l'équipe dans The Astrophysical Journal (l'article à ce sujet est en accès libre sur arXiv) explique même qu'il s'agit de « la première preuve de la suppression de la formation d'étoiles provoquée par un écoulement de gaz moléculaire dans une galaxie hôte quasarquasar dans l'UniversUnivers primitif ». Elle a été obtenue avec le célèbre réseau de radiotélescopesradiotélescopes combinés fonctionnant comme un instrument géant Alma (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), au Chili, en étudiant précisément une galaxie contenant un quasar nommé J2054-0005.

    Dragan Salak explique que « les travaux théoriques suggéreraient que les sorties de gaz moléculaires jouent un rôle important dans la formation et l'évolution des galaxies dès le plus jeune âge, car elles peuvent réguler la formation des étoiles. Les quasars sont des sources particulièrement énergétiques, nous nous attendions donc à ce qu'ils soient capables de générer de puissants flux sortants ».

    Son collègue Hashimoto précise que « J2054-0005 est l'un des quasars les plus brillants de l'Univers lointain, nous avions donc décidé de cibler cet objet comme un excellent candidat pour les étudier ». Mais seul Alma avait la sensibilité et la bande de fréquencesbande de fréquences adéquates pour détecter le flux moléculaire que devait causer le quasar observé dans l'Univers primitif lointain.

    Le gaz moléculaire sortant du quasar comprend de l'hydroxyle (OH) (en haut). En raison du mouvement du gaz moléculaire vers l'observateur, le pic OH dans le spectre d'absorption (en bas, ligne bleue pointillée) apparaît à une longueur d'onde plus courte (ligne bleue continue), un phénomène connu sous le nom d'effet Doppler. © Illustration : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO) modifiée à partir de Dragan Salak, et <em>al.</em>, <em>The Astrophysical Journal</em>
    Le gaz moléculaire sortant du quasar comprend de l'hydroxyle (OH) (en haut). En raison du mouvement du gaz moléculaire vers l'observateur, le pic OH dans le spectre d'absorption (en bas, ligne bleue pointillée) apparaît à une longueur d'onde plus courte (ligne bleue continue), un phénomène connu sous le nom d'effet Doppler. © Illustration : ALMA (ESO/NAOJ/NRAO) modifiée à partir de Dragan Salak, et al.The Astrophysical Journal

    Toujours dans le même communiqué de l'Université d'Hokkaido Dragan Salak dévoile la méthode utilisée par les astrophysiciensastrophysiciens pour atteindre leur but : « Le gaz moléculaire (OH) sortant a été découvert par absorptionabsorption. Cela signifie que nous n'avons pas observé de rayonnement micro-onde provenant directement des moléculesmolécules OH ; au lieu de cela, nous avons observé le rayonnement provenant du quasar brillant - et l'absorption signifie que les molécules OH ont absorbé une partie du rayonnement du quasar. C'était donc comme révéler la présence d'un gaz en voyant "l'ombre" qu'il projetait devant la source lumineuse ».

    Le saviez-vous ?

    En 1963, Maarten Schmidt et John Beverly Oke publiaient dans le journal Nature les résultats des observations qu’ils avaient réalisées en utilisant notamment la technique des occultations. Ils cherchaient à déterminer la contrepartie optique d’une source radio puissante découverte quelques années auparavant par un autre astronome, Allan Sandage. La source avait été baptisée 3C 273, ce qui veut dire qu’elle était le 273e objet du troisième catalogue de Cambridge recensant les sources radio.

    L’article de Schmidt et Oke fut un coup de tonnerre dans le ciel de l’astrophysique et de la cosmologie. L’analyse spectrale de l’astre qu’ils avaient identifié dans le visible dans la constellation de la Vierge révélait des lignes d’émissions de l’hydrogène fortement décalées vers le rouge. Cela signifiait que ce qui apparaissait comme une étoile se situait en dehors de la Voie lactée, mais surtout à une distance cosmologique. Pour être observable d’aussi loin, l’objet devait être d’une luminosité prodigieuse.

    Cette découverte d’une quasi-stellar radio source, un quasar selon la dénomination proposée en 1964 par l’astrophysicien d’origine chinoise Hong-Yee Chiu, démontrait que l’Univers était différent dans le passé, et donc évoluait. Ceci n’était pas possible dans le cadre du modèle cosmologique standard de l’époque selon lequel, bien qu’en expansion, l’Univers devait apparaître inchangé pour tous ses observateurs, quelle que soit leur position dans le temps. En revanche, l’existence de 3C 273 était en parfait accord avec la théorie du Big Bang, puisque celle-ci prévoyait que si l’on observait des objets à des distances suffisamment grandes, on remontait de plus en plus loin dans le passé et l’histoire d’un Univers en évolution. Il était donc normal d’observer à des milliards d’années-lumière un univers dont l’aspect diffère de celui qu'il avait il y a seulement quelques dizaines de millions d’années, donc dans l'environnement proche de la Voie lactée.

    On sait aujourd’hui que le quasar 3C 273 est situé à 2,44 milliards d'années-lumière à l’intérieur d’une galaxie elliptique géante.