Les trous noirs sont partout et à l'origine de bien des phénomènes dans l'Univers observable. On commence à détecter certains d'entre eux depuis quelques années bien qu'ils aient été prédits il y a déjà 40 ans, comme les fameux événements par rupture de marée, dont une version partielle se répétant périodiquement vient juste d'être découverte dans les archives des observations du satellite Swift de la Nasa.


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    Parmi les stars de l'astronomie X dans l'espace il y a SwiftSwift (Neil Gehrels Swift Observatory, en anglais). Ce télescope multi spectral (rayons X durs et mous, ultraviolet, lumière visible) de la Nasa est toujours opérationnel malgré ses 20 ans d'âge puisqu'il a été lancé en 2004. Comme l'explique Phil Evans, astrophysicienastrophysicien à l'université de Leicester au Royaume-Uni et membre de longue date de l'équipe Swift, dans un communiqué de la Nasa accompagnant la publication d'un article dans Nature Astronomy, les logicielslogiciels de Swift ont été améliorés d'année en année pour lui permettre de tirer profit le plus possible de ses instruments et pour répondre aux demandes des astrophysiciens étudiant de nouveaux phénomènes.

    Swift a notamment permis de détecter et de scruter des variantes de ce que l'on appelle des TidalTidal disruptiondisruption events (ou TDE), ce qui peut se traduire par « évènement de rupture par effet de maréemarée ». Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet a été un des pionniers de l'étude théorique de ces TDE il y a presque 40 ans avec l'un des grands théoriciens des trous noirstrous noirs, l'Australien Brandon Carter. Les deux astrophysiciens relativistes, tous deux à l'Observatoire de Paris à cette époque, avaient exposé leurs travaux également dans un article du célèbre journal Nature en 1982, suivi d'un autre dans Astronomy & Astrophysics en 1983.


    Le satellite Swift de la Nasa a été mis en orbite à bord d'une fusée Delta II le 20 novembre 2004, et il fonctionne toujours aussi bien. Un bilan de ses découvertes. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Goddard

    Des Tidal disruption events partiels et périodiques

    Ils y expliquaient qu'un TDE se produit avec une étoileétoile dont la trajectoire trop rapprochée d'un trou noir supermassif conduit ses forces de maréeforces de marée à comprimer l'étoile jusqu'à produire ce qu'ils ont appelé une crêpe stellaire en raison de la forme de la déformation causée par ces forces. L'étoile pouvait finir par exploser en réponse, et ses débris étaient donc avalés en partie par l'astreastre compact.

    On a découvert ces dernières années ce qui semble bien être des TDE partiels car les étoiles n'y seraient pas détruites en une seule fois mais seraient grignotées lentement par plusieurs passages consécutifs au périastrepériastre d'un trou noir géant.

    Dans l'article publié aujourd'hui, Evans et ses collègues pensent précisément que c'est le scénario qui s'applique à Swift J023017.0+283603 (ou Swift J0230 en abrégé). Swift a fait la détection de l'une de ses éruptions le 22 juin 2022, une éruption survenue dans une galaxiegalaxie située à environ 500 millions d'années-lumièreannées-lumière de la Voie lactéeVoie lactée en direction de la constellationconstellation du Triangle.

    Les données concernant Swift J0230 suggèrent qu'une étoile de type solaire est en orbiteorbite autour d'un trou noir de massemasse intermédiaire contenant environ 200 000 fois la masse du SoleilSoleil. À chacun de ses passages au plus près de l'horizon des événementshorizon des événements du trou noir, les forces de marée de l'astre compact arracheraient environ l'équivalent de 3 masses terrestres à l'étoile.

    Le communiqué de la Nasa explique que l'intérêt de cette découverte provient du fait que « ce système constitue un pont entre d'autres types de TDE partiels présumés et a permis aux scientifiques de modéliser la manière dont les interactions entre différents types d'étoiles et tailles de trous noirs affectent ce que nous observons ».

    Swift J0230 s'est produit à plus de 500 millions d'années-lumière dans une galaxie nommée 2MASX J02301709+2836050, capturée ici par le télescope Pan-Starrs à Hawaï.  © Institut Niels Bohr, Daniele Malesani
    Swift J0230 s'est produit à plus de 500 millions d'années-lumière dans une galaxie nommée 2MASX J02301709+2836050, capturée ici par le télescope Pan-Starrs à Hawaï.  © Institut Niels Bohr, Daniele Malesani

    Dans un précédent article, Futura avait déjà exposé le cas de la découverte d'un probable TDE partiel découvert dans le cadre du All Sky Automated Survey for SuperNovaeSuperNovae (en français, Relevé automatisé sur tout le ciel de supernovae), en abrégé ASAS-SNSN (prononcé « assassin »). Le phénomène de rupture partiel par effet de marée ayant en fait aussi été décrit théoriquement par les travaux de Jean-Pierre Luminet et Brandon Carter, nous avions profité de l'annonce de l'identification comme celle d'ASASSN-14ko (les deux derniers chiffres indiquent l'année, ici 2014, puis les lettres l'ordre des découvertes) pour lui demander des explications.

    Les voici à nouveau !

    La théorie des TDE

    « En fait, ce n'est pas dans les premiers papiers avec Brandon Carter (Nature 1982, A&A 1983) que j'ai décrit les ruptures partielles, mais dans un beaucoup plus gros papier de 1986, hélas bien moins connu et cité (j'aurais dû le couper en plusieurs !) - publié pourtant dans ApJ Suppl, où j'exposais tous les résultats techniques présentés dans ma thèse de doctorat d'État de 1985.

    Nos premiers papiers étaient consacrés aux pénétrations profondes des étoiles dans le volumevolume les entourant, déterminé par ce que l'on appelle rayon de marée, provoquant comme vous le dites justement des crêpes transitoires et, in fine, de possibles supernovae maréales.

    Dans ce cas, les étoiles sont totalement détruites en une seule fois et ne peuvent donner qu'une seule flambée. Mais dans l'article de 1986 (auquel Carter n'avait pas participé, mais il avait normalement co-signé en tant que directeur de thèse), j'ai calculé numériquement les interactions de marée entre un TN massif pour TOUS les paramètres d'impact - c'est-à-dire toutes les distances au périastre des orbites stellaires elliptiques (en fait quasi paraboliques), et divers types d'étoiles (séquence principaleséquence principale, géante rougegéante rouge, naine blanchenaine blanche...).

    Il est clair que pour avoir des ruptures partielles, l'étoile ne doit pas pénétrer trop profondément sous le rayon de marée. En fait, j'avais proposé deux possibilités.

    La première, c'est quand la distance au périastre est légèrement supérieure au rayon critique de marée ; les forces de la marée ne sont pas suffisantes pour détruire l'étoile mais elles induisent une rotation, une vorticité et des oscillations de ses axes principaux autour de valeurs moyennes (type ellipsoïde de Riemann), qui produisent des variations périodiques plus ou moins importantes de sa luminositéluminosité (dont je n'avais pas calculé l'amplitude, étant plus intéressé par les distorsions géométriques de l'étoile).

    Les auteurs de l'article sur ASASSN-14ko ont négligé cette possibilité. Ils se sont concentrés sur le cas où l'étoile traverse peu profondément le rayon de la marée et n'est que partiellement détruite.

    J'avais calculé que dans ce cas, l'étoile est  déformée non pas en crêpe mais dans une configuration de type « cigare »,  perdant un peu de sa matièrematière par les deux bouts (en fait, un effet « tube de dentifrice » plutôt que cigare ; les schémas de mon article sont très explicites).


    Grâce à l'observatoire Neil Gehrels Swift de la Nasa, lancé en 2004, les scientifiques ont découvert un trou noir dans une galaxie lointaine grignotant à plusieurs reprises une étoile semblable au Soleil. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NASA's Goddard Space Flight Center

    En réalité, outre le facteur de pénétration, la description du processus de perturbation ou de destruction maréale dépend beaucoup du type d'étoile. Il y a une grande différence entre une étoile de type solaire assez homogène et une géante rouge très inhomogène - la raison est que les effets de marée sont très sensibles à la densité du corps extérieur.

    Par exemple, une étoile presque homogène comme le Soleil sera plus globalement affectée par le champ de marée qu'une géante rouge, et on pourra lui affecter un rayon de marée critique unique. Mais dans le cas d'une géante rouge (ou bleue, en fait une étoile très inhomogène), c'est un peu comme s'il y avait deux rayons de marée distincts, l'un agissant sur les couches extérieures, l'autre, bien plus petit, sur le noyau beaucoup plus dense. Ainsi, entre ces deux rayons critiques, seules les couches externes de faible densité de la géante seraient arrachées par la marée, tandis que le noyau stellaire resterait indemne. L'étoile peut alors perdre quelques masses jupitériennes de son enveloppe à chaque passage au périastre de son orbite périodique.

    Tous mes calculs numériquesnumériques de 1986 (linéarisés dans le cadre du modèle d'étoile affiné que nous avions précédemment développé avec Carter) ont été ultérieurement confirmés par des simulations 3D hydrodynamiques (Guillochon, etc.), cités à juste titre dans l'article sur ASASSN-14ko.

    J'ai finalement été surpris que ce type d'événements n'ait pas été détecté plus tôt, car les TDE partiels sont statistiquement plus fréquents que les TDE complets, pour lesquels on a déjà un catalogue de plusieurs dizaines de cas. Mais bien sûr, ce genre d'observations est plus difficile car il demande un suivi de plusieurs années pour en déceler une périodicité.

    Maintenant, une telle chose peut-elle arriver à l'une des étoiles de l'amas central autour de Sagittarius A*Sagittarius A* dans notre Voie lactée ?

    J'avais estimé que la fréquencefréquence moyenne d'une TDE dans notre centre galactiquecentre galactique, compte tenu de la répartition supposée des étoiles autour de celui-ci, serait d'environ 0,0001/an. Il y a donc peu de chances que nous observions un tel événement à l'heure actuelle.

    Vous savez que, pour le moment, l'étoile observée passant à la distance la plus proche de Sgr A* , la fameuse S2, a une distance au périastre bien supérieure au rayon de marée. Elle subit quelques perturbations relativistes comme la précessionprécession orbitaleorbitale et le redshiftredshift gravitationnel (récemment observés par l'instrument Gravity de l'ESOESO), mais pas du tout de perturbation maréale.

    Il  y a quelques années, on avait annoncé que le nuage errant G2 passerait près du trou noir galactique et, en raison de sa faible densité, devait être détruit, or rien de tel n'avait été observé, ce qui montrait qu'il reste  beaucoup de travail à faire pour mieux comprendre les TDE, y compris des observations VLBIVLBI du Next Generation Event Horizon Telescope ».


    Explications en anglais de la découverte de G2 par les astronomes en 2011. Pour voir les sous-titres, cliquez sur « CC », puis sur « traduire les sous-titres » pour choisir la langue en cliquant dans la barre. Sélectionnez « français », puis « OK ». La traduction est assez bonne. © SpaceRip, ESO, YouTube