Les premiers résultats de Planck en cosmologie ont été publiés. Ils sont intrigants, confortant le modèle standard d'un côté et remettant en question la pertinence des cosmologies inflationnaires de l'autre. Peut-être est-on à la veille de découvrir d'incontestables traces d'une nouvelle physique, comme celle de la gravitation quantique. Futura-Sciences a demandé l'avis d'Aurélien Barrau à ce sujet.
Les lecteurs de Futura-Sciences connaissent Aurélien Barrau, qui nous a parlé de ses travaux sur les minitrous noirs et leur observation possible dans les collisions au LHC mais aussi de sa participation aux recherches concernant la matière noire avec AMS. Ce scientifique s'intéresse aussi à la philosophie et à ses relations avec la cosmologie.
Voilà deux ans, il nous avait confié que « bien que l'évaporation des trous noirs soit, suivant la description de Hawking, un processus semi-classique [effet quantique dans un espace-temps courbe non quantifié, NDLR], il est évident que l'observation de la fin de vie de minitrous noirs au LHC ouvrirait une porte sur la gravitation quantique. Je pense néanmoins qu'aujourd'hui, la voie la plus prometteuse pour tenter de chercher des traces de gravité quantique est la cosmologie ».
La cosmologie primordiale, une fenêtre sur la gravitation quantique
De fait, avec ses collègues, il explore depuis quelque temps déjà le jeune domaine de la cosmologie quantique à boucles (ou LQC, pour loop quantum cosmology). Elle s'est naturellement développée à partir des travaux des fondateurs de gravitation quantique à boucles (Abhay Ashtekar, Lee Smolin et Carlo Rovelli), mais il faut citer aussi le nom de Martin Bojowald. En effet, s'il y a bien un domaine où il faut disposer d'une théorie de la gravitation quantique pour progresser, c'est bien celui de la cosmologie primordiale. On peut même dire que c'est dans ce but que l'on cherche cette mythique théorie qui combinerait les équations de la mécanique quantique avec celles de la relativité générale.
Aurélien Barrau nous avait expliqué qu'en ce qui concerne la LQC et ses équations, « bien que le formalisme soit loin d'être achevé, il a conduit à des résultats très convaincants. Son application à la cosmologie est spectaculaire, car la singularité primordiale du Big Bang disparaît naturellement. C'est, au contraire, un grand rebond qui apparaît avec un autre univers en amont du nôtre. Cette voie a été explorée par Martin Bojowald ».
« L'inflation, qui est souvent ajoutée "à la main" dans le modèle cosmologique, apparaît maintenant de façon parfaitement naturelle et presque inévitable. La cosmologie quantique à boucles prédit l'inflation. Il est possible (mais pas assuré) que le modèle soit testable dans un futur raisonnable. Le spectre des fluctuations cosmologiques (en particulier pour ce qui est de sa composante polarisée) pourrait en effet être sensiblement modifié par cette nouvelle histoire cosmologique. »
Une énigme dans les résultats de Planck
Or, dans la présentation des résultats de Planck qu'a faite le cosmologiste George Efstathiou le 21 mars 2013, celui-ci a mentionné le fait que sur de grandes échelles angulaires, les fluctuations de température du CMB (le rayonnement fossile) ne correspondent pas à celles que prévoit le modèle cosmologique standard complété par les modèles inflationnaires parmi les plus simples. Leur signal n'est pas aussi fort que le laisserait prévoir la structure à plus petite échelle que Planck a mise en évidence.
Pour George Efstathiou, cela pourrait signifier que l'on observe là les traces d'une phase de « pré-Big Bang » de l'univers, bien qu'il soit très difficile de dire quoi que ce soit à ce sujet avec les résultats actuels des analyses d'une partie des données collectées par Planck.
Des modèles d'inflation réfutés
En tout état de cause, ces premières analyses posent de nouvelles bornes, parfois sévères, sur les modèles de cosmologie inflationnaire, ou d'autres relevant de la cosmologie primordiale. On sait ainsi que parmi les modèles inflationnaires les plus simples, beaucoup prédisent que les fluctuations de température du rayonnement fossile sont presque identiques à ce qu'on attend de simples fluctuations thermiques, c'est-à-dire qu'elles sont gaussiennes, dans le langage des physiciens. Mais des théories plus compliquées prévoient une composante non gaussienne plus importante.
Les membres de Planck ont cherché des signes de ces fluctuations non gaussiennes. Les nouvelles bornes qu'ils ont trouvées mettent particulièrement à mal le modèle cosmologique appelé ekpyrotique, proposé en 2001 par Paul Steinhardt, Burt Ovrut, Justin Khoury et Neil Turok, sans toutefois le réfuter complètement.
Pour vraiment savoir si l'inflation a eu lieu, et à quel niveau d'énergie (donc précisément à quel moment de l'histoire très primitive de l’univers), il va falloir attendre que l'on termine d'analyser les données de Planck. On y cherche des traces caractéristiques de la polarisation de la plus vieille lumière du cosmos, les fameux modes B.
Des traces d'un pré-Big Bang avec le rayonnement fossile ?
En attendant, nous avons donc demandé à Aurélien Barrau quelle était sa réaction devant les résultats de Planck et ses éventuelles conséquences pour ses travaux. Voici ses commentaires : « Les résultats tout juste publiés de la mission Planck sont magnifiques ! Pour un cosmologiste, c'est un événement comme on en vit moins d'un par décennie ! Le détecteur était un défi technologique, et le succès total de l'expérience est plus que réjouissant. »
« La qualité des données est telle que pour ce qui est des perturbations de courbure, on peut considérer qu'il s'agit d'une mesure ultime ! Ce qui est plus que rare en physique. Mesurer mieux n'apporterait plus rien, le "flou" résiduel n'est pas dû à l'instrument, mais à l'univers lui-même. En ce qui me concerne, ce que je trouve particulièrement excitant et remarquable, c'est que ces données permettent maintenant de faire de la physique de précision concernant l'inflation. Qu'on puisse ainsi connaître assez en détail ce qui advint moins d'un milliardième de milliardième de milliardième de seconde après le Big Bang, grâce à cette image qui montre pourtant l'univers 380.000 ans plus tard, est extraordinaire. »
« Pour ce qui est de mes recherches propres, je pense que ces données vont permettre d'affiner les contraintes sur le modèle de cosmologie quantique à boucles. Il faudra du temps pour tout prendre en compte : les spectres, les études de non-gaussianité, le petit effet surprenant à grande échelle... Mais, de façon certaine, l'étau se resserrera. Et j'attends avec impatience les prochaines données en polarisation encore plus importantes pour moi. Bien sûr, on peut déplorer que comme avec le LHC, aucune "révolution" ne semble poindre. Mais la qualité de ces données ancre définitivement la cosmologie dans son ère de précision. »