Depuis des décennies, des générations d'enseignants utilisent, comme Richard Feynman, une célèbre expérience de pensée pour enseigner la physique quantique. Très simple et faisant intervenir les fentes de Young, elle vient d'être réalisée pour la première fois avec de l'antimatière, ouvrant la voie à des tests d'une nouvelle physique et peut-être à la découverte de l'antigravité.

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    Au cœur de la mécanique quantique figurent en bonne place la dualité onde-corpuscule d'EinsteinEinstein et de Broglie et la quantificationquantification de l'énergie qui l'accompagne. Plus importantes encore, mais peut-être moins visibles, se trouvent les amplitudes quantiques dont la superposition et les interférences, tels des vecteurs ou des ondes classiques, sont responsables de toutes les bizarreries quantiques.

    Il n'est donc pas étonnant qu'en introduction de leurs cours de mécanique quantique, des physiciensphysiciens aussi légendaires que Richard Feynman et Lev Landau aient discuté d'une expérience d'interférence entre amplitudes quantiques qui se comporteraient comme des ondes électromagnétique traversant les fameuses fentes de Thomas Young. Sauf que l'idée de l'expérience consistait à utiliser non pas des photonsphotons mais des électronsélectrons, observés, ou pas, derrière des fentes ouvertes ou pas.

    Voir aussi

    Richard Feynman : centenaire d'un génie et bouffon de la physique

    Devenue célèbre sous le nom d'expérience des doubles fentes de Feynman, elle est longtemps restée une expérience de pensée. Comme l'expliquait un précédent article de Futura (voir ci-dessous), elle ne s'est vraiment concrétisée au laboratoire que depuis quelques années (celle avec des photons avait été réalisée il y a longtemps). Une équipe de physiciens italiens vient maintenant de faire savoir, via un article déposé sur arXiv et pas encore publié, qu'elle était parvenue à répéter pour la première fois au monde l'expérience de Feynman avec de l'antimatièreantimatière, en l'occurrence des positronspositrons.


    Une conférence de vulgarisation de la mécanique quantique par Richard Feynman dans laquelle il parle de son expérience fétiche avec des électrons. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © YouTube

    Cette performance a été réalisée au Laboratoire L-NESS (Laboratoire d'épitaxie de nanostructures et de spintroniquespintronique sur siliciumsilicium) du Milano Politecnico, à Côme, en Italie. Les chercheurs ont utilisé comme source primaire d'anti-électrons des noyaux radioactifs d'un isotopeisotope du sodiumsodium. Les positrons émis par radioactivitéradioactivité bêtabêta ont été manipulés par des champs de force électromagnétiques pour créer un faisceau d'anti-électrons constituant une source secondaire : VEPAS (Variable Energy Positron Annihilation Spectroscopy). Le faisceau de positrons a alors été envoyé dans un interféromètreinterféromètre particulier, dit de Talbot-Lau.

    L'antimatière tombe-t-elle comme la matière dans un champ de gravité ?

    Ce type d'interféromètre n'est pas anodin. Il a été utilisé pour montrer que les effets d'interférence et de diffractiondiffraction d'ondes de matièrematière se produisaient aussi avec des objets composites, de l'ordre de la taille des atomesatomes et même des moléculesmolécules, comme l'indique l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger. Surtout, il permet de mesurer des effets de la gravitégravité sur ces objets quantiques.

    Les résultats obtenus avec les positrons s'alignent bien sur les bases théoriques mais aussi expérimentales, ces particules étant en effet étudiées depuis longtemps. Toutefois, les physiciens ont une idée derrière la tête. L'expérience du laboratoire L-NESS ne représente qu'une étape sur la route de la réalisation de l'expérience QUPLAS (QUantum interferometry and gravity with Positrons and LASersLASers).

    Il ne s'agit rien de moins que de vérifier comment tombent dans un champ de gravité des positrons et même du positronium (une sorte d'atome d'hydrogènehydrogène dans lequel le protonproton a été remplacé par un positron). Pour comparer ces chutes, le principe expérimental choisi est le même que cette expérience de Feynman appliquée aux positrons.

    La précision atteinte devrait être similaire à celles des expériences en projet pour tester l'effet de la gravité sur des atomes d'antihydrogène au CernCern. Plus généralement, ces types d'expériences devraient permettre de chercher d'éventuelle violation de la symétrie CPT et du principe d'équivalence dans le cas de l'antimatière, et donc de poser des contraintes sur une nouvelle physiquephysique au-delà de la théorie de la relativité, de la mécanique quantique et aussi en rapport avec la gravitationgravitation. Par exemple, l'antigravité pourrait-elle exister ?


    Physique quantique : l'expérience des doubles fentes de Feynman réalisée

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 16/03/2013

    Depuis des décennies, des générations d'enseignants utilisent, comme Richard FeynmanRichard Feynman, une célèbre expérience de pensée pour enseigner la physique quantiquephysique quantique. Très simple et faisant intervenir les fentes de Young, elle n'avait pourtant jamais été réalisée... C'est chose faite grâce à un groupe de physiciens.

    Encore aujourd'hui, Richard Feynman fait l'objet d'une vénération de la part des physiciens et de bon nombre d'étudiants en physique. Bien sûr, il a révolutionné la théorie quantique des champs et la physique des particules avec ses diagrammes et son intégrale de chemin. On le présente aussi comme un des pionniers des ordinateurs quantiques et de la nanotechnologie.

    Mais pour beaucoup, Feynman est d'abord l'auteur d'un célèbre cours de physique (de niveau licence), et de conférences malicieuses mais profondes présentant les lois de la physique au grand public. On peut d'ailleurs trouver sur YouTubeYouTube une série de vidéos qui lui rendent hommage ou des extraits de reportages et de conférences qu'il a données tout au long de sa vie.


    Cette vidéo fait partie d'une magnifique série en hommage au sage qu'était aussi Richard Feynman. Elle commence avec le témoignage de sa sœur, Joan, elle aussi physicienne. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En passant simplement la souris sur le rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK ». © Reid Gower, YouTube

    Une étonnante dualité onde-particule

    Tous les lecteurs des cours de Feynman connaissent les premiers chapitres du volumevolume consacré à une initiation à la physique quantique. L'un des concepts les plus fondamentaux de la mécanique quantique est celui d'amplitude de probabilité pour un système physique. Feynman l'introduit en exposant une expérience de pensée conduite avec des faisceaux d’électrons envoyés à travers une plaque percée de deux fentes. Un écran situé derrière la plaque, muni de détecteurs, enregistre les impacts selon que ces deux fentes sont ouvertes ou que l'une seulement l'est.

    Si l'on menait la même expérience avec des balles de mitrailleuse, comme l'explique Feynman, on aurait une répartition bien caractéristique dans les deux cas. En remplaçant les balles par des vaguesvagues, on verrait des figures de diffraction et d'interférence pour la répartition de l'énergie des vagues, bien différentes de celles produites par les balles.

    Ce schéma est extrait des cours de Feynman. On voit à gauche un canon à électrons générant des faisceaux d'électrons, qui sont aussi des ondes de matière. Ils traversent une plaque (<em>wall</em>) percée de deux fentes que l'on peut obturer. Un détecteur que l'on peut déplacer sur un écran (<em>backstop</em>) enregistre alors les impacts d'électrons. Avec l’ouverture d’une des fentes 1 ou 2, on obtient une distribution de probabilité P<sub>1</sub> ou P<sub>2</sub> pour la répartition des impacts. Lorsque les deux fentes sont ouvertes, la distribution de probabilité exhibe des franges d'interférence. On peut passer du premier cas au second (tout à droite du schéma) en ouvrant ou en fermant à volonté l'une des fentes dans l'expérience de Feynman. © <em>IOP Publishing</em>, <em>Deutsche Physikalische Gesellschaft, The Perseus Books Group</em>

    Ce schéma est extrait des cours de Feynman. On voit à gauche un canon à électrons générant des faisceaux d'électrons, qui sont aussi des ondes de matière. Ils traversent une plaque (wall) percée de deux fentes que l'on peut obturer. Un détecteur que l'on peut déplacer sur un écran (backstop) enregistre alors les impacts d'électrons. Avec l’ouverture d’une des fentes 1 ou 2, on obtient une distribution de probabilité P1 ou P2 pour la répartition des impacts. Lorsque les deux fentes sont ouvertes, la distribution de probabilité exhibe des franges d'interférence. On peut passer du premier cas au second (tout à droite du schéma) en ouvrant ou en fermant à volonté l'une des fentes dans l'expérience de Feynman. © IOP Publishing, Deutsche Physikalische Gesellschaft, The Perseus Books Group

    Si l'on fait l'expérience avec des électrons et des fentes de taille et séparationséparation adéquates, la double nature ondulatoire et corpusculaire des électrons se manifeste alors clairement. Si les deux fentes sont ouvertes, on voit les impacts individuels des électrons se rassembler en formant des franges d'interférence. Si l'on ouvre une seule fente, la répartition obtenue, bien que toujours formée d'impacts individuels, ressemble à celle obtenue non avec des ondes, mais avec des balles de mitrailleuse.

    Curieusement, la même expérience de pensée, bien qu'exposée plus succinctement, ouvre aussi le cours de physique quantique (de niveau master) d'un autre grand nom du siècle dernier, le prix Nobel de physique Lev Landau, mais personne ne l'avait jamais réalisée. Bien sûr, on a fait depuis longtemps des expériences d'interférence ou de diffraction avec des faisceaux d'électrons en utilisant des fentes ou des trous d'Young. On constate que les impacts des électrons sur les détecteurs se présentent bien sous forme de particules, en plein accord avec les lois de la physique quantique.

    Sur cette série d'images prises à des instants différents avec le dispositif de l'expérience de Feynman, on voit que les impacts d'électrons s'accumulent au cours du temps pour former des franges d'interférence lorsque les deux fentes sont ouvertes. Les électrons interagissent lors des impacts comme des particules, mais ils se déplacent dans l'espace selon les lois des ondes, comme si un électron passait par deux fentes en même temps. C'est une illustration de la dualité onde-particule et des amplitudes de probabilité au cœur de la mécanique quantique. © <em>IOP Publishing</em>, <em>Deutsche Physikalische Gesellschaft</em>

    Sur cette série d'images prises à des instants différents avec le dispositif de l'expérience de Feynman, on voit que les impacts d'électrons s'accumulent au cours du temps pour former des franges d'interférence lorsque les deux fentes sont ouvertes. Les électrons interagissent lors des impacts comme des particules, mais ils se déplacent dans l'espace selon les lois des ondes, comme si un électron passait par deux fentes en même temps. C'est une illustration de la dualité onde-particule et des amplitudes de probabilité au cœur de la mécanique quantique. © IOP Publishing, Deutsche Physikalische Gesellschaft

    Une expérience réalisable depuis au moins 20 ans

    Néanmoins, personne n'avait concrétisé l'ensemble de la procédure expérimentale des cours de Feynman et Landau, c'est-à-dire avec ouverture et fermeture à volonté d'une des fentes. Aucun physicien ne doutait cependant qu'elle donnerait des résultats conformes à ceux exposés par Feynman ; cela resterait tout de même une belle réalisation pédagogique. Un groupe de physiciens a finalement réussi, non sans peine, à réaliser l'expérience de Feynman, comme le prouve un article déposé sur arxiv.

    Les chercheurs ont ainsi fabriqué une plaque en silicium recouverte d'or dans laquelle ils ont percé deux fentes d'Young de 62 nanomètresnanomètres de large, séparées par une distance centre à centre de 272 nanomètres. Un obturateurobturateur de 4,5 nm x 10 µm associé à un dispositif piézoélectrique permettait d'ouvrir et de fermer l'une des fentes à volonté.

    « La technologie pour effectuer cette expérience existait depuis environ deux décennies, a déclaré l'auteur principal de l'étude, le professeur Herman Batelaan de l'université du Nebraska à Lincoln. Cependant, l'obtention de données de qualité avec l'enregistrement des impacts a demandé de sérieux efforts, et cela nous a pris trois ans. »