Les collaborations Ligo et Virgo viennent de publier un catalogue des sources d'ondes gravitationnelles découvertes au cours de leurs dernières campagnes d'observation, parfois conjointes. Surprise ! Quatre nouvelles fusions de trous noirs ont été détectées dont une qui bat des records de distance et de masse. Il y a 5 milliards d'années, cinq fois le Soleil aurait été converti en rayonnement pur en un rien de temps.


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    Alors que l'on attend toujours avec impatience les résultats du traitement des données de l'Event horizon Telescope, les membres des collaborations LigoLigo et VirgoVirgo viennent d'annoncer qu'ils avaient poursuivi les analyses des données collectées lors des campagnes d'observation, d'abord de Ligo seul puis en tandem avec Virgo. Cela leur a permis de découvrir quatre fusions de trous noirs stellairestrous noirs stellaires supplémentaires. Comme le montre le catalogue des sources maintenant établies via un article publié sur arXiv, les détecteurs d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles ont donc mis en évidence 10 fusions de trous noirs formant initialement des systèmes binairessystèmes binaires et une collision d'étoiles à neutrons. Rappelons que cette dernière a fait faire un bond de plus à l'astronomie multimessager. En effet, la source d'ondes gravitationnelles GW170817 observée le 17 août 2017 par Ligo et Virgo a permis sa localisation sur la sphère céleste et son association au sursaut gamma SGRB170817A. Deux signaux, l'un de nature gravitationnelle et l'autre électromagnétique, se sont donc conjugués pour nous apprendre que nous avions assisté à l'explosion d'une kilonova tout en confirmant nos théories sur la nature de certains sursauts gamma.

    Les quatre nouvelles sources d'ondes gravitationnelles portent comme il se doit les dénominations de GW170729, GW170809, GW170818 et GW170823 (GW fait référence à Gravitational Wave, c'est-à-dire onde gravitationnelle). On constate que celle détectée le 29 juillet 2017, GW170729, bat plusieurs records dans ce domaine encore jeune qu'est l'astronomie gravitationnelle. La fusion des trous noirs s'est produite à environ 5 milliards d'années-lumière, ce qui en fait la source d'ondes gravitationnelles la plus lointaine connue à ce jour. Les masses des deux astresastres compacts, aux barres d'erreurs près, devaient être d'environ 50,6 et 34,3 masses solaires, produisant un trou noir final d'environ 80 masses solaires d'après la forme du signal détecté uniquement par Ligo. Virgo, le détecteur européen, n'était pas encore opérationnel à ce moment-là sous sa forme upgradée. Environ cinq masses solaires ont donc été converties en rayonnement gravitationnel pur en une fraction de seconde. À tous les points de vue, il s'agit là aussi d'un record.


    Des simulations numériques montrant les 10 fusions de trous noirs détectées par Ligo et Virgo. © Teresita Ramirez/Geoffrey Lovelace/SXS Collaboration/Ligo Virgo Collaboration.

    Une astronomie gravitationnelle qui va monter en puissance

    C'est en s'aidant des modèles numériquesmodèles numériques sur ordinateursordinateurs générant des collisions avec plusieurs valeurs des masses initiales, mais aussi des moments cinétiquesmoments cinétiques, des spinsspins des trous noirs comme le disent parfois les physiciensphysiciens dans leur jargon - puisque ces trous noirs doivent être en rotation comme les étoiles qui leur ont donné naissance en s'effondrant gravitationnellement - que les chercheurs ont pu extraire des signaux détectés les caractéristiques de ces trous noirs et de ceux formés par la fusion. Une infographie interactive permet d’explorer le catalogue dressé par les chercheurs à ce sujet.

    Nelson Christensen, directeur du laboratoire Artemis de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA) à Nice, explique dans un communiqué de ce laboratoire que : « Ce catalogue résulte d'une réanalyse complète de tous les signaux reçus depuis le début. C'était nécessaire car nos méthodes ont évolué, elles ont été améliorées, nous avons mis au point de nouvelles techniques... Ainsi tous les événements détectés le sont avec les mêmes critères. Le catalogue qui est publié contient les analyses les plus précises et fouillées concernant les propriétés des sources (leurs masses, leurs spins, en tout onze paramètres), les événements marginaux qui n'ont pas été pris en compte, et les estimations de taux de coalescencescoalescences de trous noirs et étoiles à neutrons dans l'UniversUnivers. » Rappelons que ce n'est pas une mince affaire pour extraire d'un signal bruité - malgré la technologie développée pour par exemple s'affranchir des perturbations sismiques sur Terre - un signal produit par les ondes gravitationnelles traversant la Terre.

    Mais nous n'en sommes qu'au début et les détections devraient se multiplier encore lors de la troisième campagne de mesures qui devrait débuter à partir d'avril 2019. Toujours dans le communiqué d'Artemis, l'astrophysicien Olivier Minazzoli, membre lui aussi d'Artemis et que les lecteurs de Futura connaissent bien, précise d'ailleurs que : « Ce catalogue nous permet de prendre la mesure de la croissance rapide du nombre d'ondesnombre d'ondes gravitationnelles observées. Et ceci devrait s'accélérer durant le troisième run d'observation, grâce à l'amélioration de la sensibilité des détecteurs. Or un grand nombre d'observations permet, entre autres, d'accroître la précision des tests de la relativité généralerelativité générale. Un article de la collaboration sur ce sujet devrait d'ailleurs être accessible en ligne prochainement. »


    Ondes gravitationnelles : une cinquième fusion de trous noirs détectée par Ligo

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 21/11/2017

    GW170608 : c'est le nom de la cinquième source d'ondes gravitationnelles détectée directement sur Terre par les membres de la collaboration Ligo. Il s'agit à nouveau de la fusion de deux trous noirs stellaires contenant chacun presque dix masses solaires.

    Les membres de la collaboration Ligo, aux États-Unis, viennent de le faire savoir : le 8 juin 2017, les deux machines sœurs Ligo Hanford, dans l'État de Washington, et Ligo Livingston, en Louisiane, ont capté un signal que l'on sait aujourd'hui être celui de la plus petite fusion de trous noirs connue à ce jour.

    Comme l'expliquent les chercheurs dans un article disponible sur arXiv, la nouvelle source d'ondes gravitationnelles (Gravitational Waves en anglais), appelée GW170608, a été produite par la fusion de deux trous noirs qui devaient contenir environ 7 masses solaires pour l'un et 12 pour l'autre. Selon les prédictions de la relativité générale, le trou noir résultant, situé à environ un milliard d'années-lumière de la Voie lactéeVoie lactée, ne devait contenir à la suite de cette fusion que 18 masses solaires ; le reste, c'est-à-dire l'équivalent de la masse du SoleilSoleil, a été converti en rayonnement gravitationnel.

    Les fusions de trous noirs connues en novembre 2017. Seules cinq de ces fusions sont avérées car le signal LVT151012 (deuxième en partant de la gauche sur le schéma), détecté par Ligo, ne permet pas de conclure quoi que ce soit. Les masses de ces trous noirs, avant et après fusion, sont estimées en masses solaires et sont indicatives compte tenu des incertitudes inévitables des mesures. © <em>California Institute of Technology </em>
    Les fusions de trous noirs connues en novembre 2017. Seules cinq de ces fusions sont avérées car le signal LVT151012 (deuxième en partant de la gauche sur le schéma), détecté par Ligo, ne permet pas de conclure quoi que ce soit. Les masses de ces trous noirs, avant et après fusion, sont estimées en masses solaires et sont indicatives compte tenu des incertitudes inévitables des mesures. © California Institute of Technology

    Ligo et Virgo en cours d'amélioration jusqu'en 2018

    Rappelons que les masses des trous noirs de la première fusion détectée par Ligo avec GW150914 étaient d'environ 30 masses solaires pour chaque objet, ce qui a surpris les théoriciens (au point de se demander si ces trous noirs n'étaient pas des trous noirs primordiaux). Ceux-ci s'attendaient en effet à des masses moins importantes, précisément de l'ordre de grandeurordre de grandeur de celles de GW170608. Cet ordre correspond aux observations réalisées depuis quelques décennies dans le domaine des rayons Xrayons X pour des trous noirs stellaires, comme Cygnus X-1, une binaire Xbinaire X contenant le premier candidat trou noir clairement identifié.

    La raison principale pour laquelle les membres de Ligo ont repoussé l'annonce de la détection de GW170608 est qu'ils se sont retrouvés à travailler en priorité sur les analyses de signaux nettement plus spectaculaires lorsque Virgo, le détecteur européen d’ondes gravitationnelles, a commencé à fonctionner. Cela a permis, pour la première fois, de bien mieux localiser les sources sur la voûte céleste. Les chercheurs ont donc annoncé en premier l'observation de GW170814 et, surtout, celle de GW170817, la fusion de deux étoiles à neutrons qui a aussi été observée dans le domaine des ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques.

    Ligo et Virgo ont terminé leur seconde campagne d'observation et, actuellement, ils ne sont plus opérationnels, car de nouvelles améliorations sont en cours. Une troisième campagne débutera à l'automneautomne 2018. La fréquencefréquence des détections d'ondes gravitationnelles augmentera peut-être encore d'ici la fin de cette aventure. De nouvelles observations avec des contreparties électromagnétiques sont également possibles. En attendant, les astrophysiciensastrophysiciens continuent de dépouiller les mesures livrées par Ligo et Virgo ; certains tests réalisés lors des améliorations en cours pourraient révéler quelques surprises.


    Une troisième fusion de trous noirs détectée par Ligo

    Article de Laurent Sacco publié le 05/06/2017

    GW170104 : c'est le nom de la troisième source d'ondes gravitationnelles détectée directement sur Terre par les membres de la collaboration Ligo. Il s'agit à nouveau de la fusion de deux trous noirs stellaires contenant chacun plusieurs dizaines de masses solaires.

    En septembre 2015, aux États-Unis, à peine après avoir été upgradés, les deux détecteurs d'ondes gravitationnelles jumeaux Ligo détectaient leur premier signal, confirmant à nouveau l'une des prédictions les plus remarquables de la théorie de la gravitationgravitation relativiste d'EinsteinEinstein, la relativité générale. L'analyse conjointe avec les chercheurs européens membres d'un programme d'astronomie gravitationnelle similaire, Virgo, allait établir qu'il s'agissait de des ondes émises par la fusion de deux trous noirs stellaires. Une deuxième détection allait bientôt suivre en décembre de la même année.

    Baptisées respectivement GW150914 et GW151226, ces sources d'ondes gravitationnelles ont été l'objet d'une couverture médiatique abondante. Futura en a fait également un large écho car elles défiaient en partie les prévisions des théoriciens de l'astrophysiqueastrophysique relativiste qui ne s'attendaient pas à détecter en premier des fusions de trous noirs et surtout avec des masses aussi importantes.


    Futura était associé l’année dernière à une table ronde sur les ondes gravitationnelles qui s’est tenue à la Bibliothèque publique d'information, également connue sous le sigle BPI, la principale bibliothèque publique parisienne. Voici la vidéo de cette table ronde. © Bibliothèque publique d'information

    Deux masse solaires converties en ondes gravitationnelles par GW170104

    Les membres de la collaboration Ligo viennent tout juste d'annoncer, notamment via une publication dans Physical Review Letters, qu'une troisième source d'ondes gravitationnelles a été détectée et de nouveau très peu de temps après une nouvelle campagne d'observations qui a débuté en novembre 2016. La nouvelle source a été baptisée GW170104, ce qui indique qu'elle a fait vibrer le tissu de l'espace-tempsespace-temps sur Terre le 4 janvier 2017.

    Le signal détecté a été comparé à ceux générés sur superordinateurssuperordinateurs avec différents jeux de valeurs possibles pour les modèles décrivant des sources d'ondes gravitationnelles pouvant être observées par Ligo. On a pu en déduire les informations suivantes :

    • Il s'agit à nouveau d'une fusion de trous noirs stellaires qui s'est produite dans un système binaire. Les masses des deux trous noirs étaient respectivement de 31 et 19 masses solaires environ et l'évènement s'est produit à environ 3 milliards d'années-lumière de la Terre.
    • L'équivalent d'environ deux masses solaires aurait été rayonnée sous forme d'ondes gravitationnelles, ce qui veut dire que durant un court instant, la puissance émise dépassait largement la luminositéluminosité de l'ensemble des étoiles de toutes les galaxiesgalaxies de l'Univers observable.

    Des explications très complètes sur ce que sont les ondes gravitationnelles, comment on les chasse et ce qu'elles peuvent nous révéler sur l'univers sont disponibles dans plusieurs billets que Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet a consacrés à ce sujet sur son blogblog chez Futura :

    Une vision d'artiste du trou noir binaire à l'origine de GW170104. © LIGO/Caltech/MIT/Sonoma State (Aurore Simonnet)
    Une vision d'artiste du trou noir binaire à l'origine de GW170104. © LIGO/Caltech/MIT/Sonoma State (Aurore Simonnet)

    GW170104 et la naissance des trous noirs binaires de masses stellaires

    Le spectrespectre de la lumière d'une étoile nous renseigne sur son champ de gravitation, son champ magnétiquechamp magnétique, sa composition chimique et sa température. De même, la forme des ondes gravitationnelles émises par la fusion de deux trous noirs recèle de précieuses informations sur leur nature mais aussi sur les lois de l'univers observable.

    Il est notamment possible de déduire la masse de chacun de ces trous noirs (avec bien sûr une marge d'erreur) ainsi que leur moment cinétique, c'est-à-dire la façon dont ils tournent sur eux-mêmes, dans le cadre de la solution de Kerr, et leurs orientations réciproques et par rapport au plan de leur orbiteorbite. Bien que les estimations ne soient pas encore très solidessolides en ce qui concerne les moments cinétiques, il semble qu'ils ne soient pas perpendiculaires à leur plan orbital dans le cas de GW170104. Comme le montre donc la représentation d'artiste ci-dessus du trou noir binaire avant sa fusion, il semble que les axes de rotation de ces astres compacts étaient inclinés par rapport à l'axe de ce plan orbital sans corrélations particulières. On pense tout l'inverse du deuxième cas de fusion détecté par Ligo en décembre 2015.

    Or, aussi bien les masses que les caractéristiques des moments cinétiques de ces trous noirs binaires peuvent nous indiquer les scénarios les plus plausibles pour expliquer la naissance de ces monstres.

    • S'ils sont nés ensemble à partir d'une étoile binaire donc chaque membre a fini par s'effondrer gravitationnellement une fois son carburant nucléaire épuisé, leurs moments cinétiques doivent être orientés dans la même direction et être peu inclinés par rapport à l'axe perpendiculaire à leur plan orbital.
    • S'ils se sont formés par capture gravitationnelle, on doit alors s'attendre à tout le contraire. De telles captures sont relativement probables dans le cas des amas stellaires où les distances entre étoiles sont plus faibles car les trous noirs qui s'y forment vont en plus avoir tendance à chuter vers le centre de l'amas, ce qui va augmenter la probabilité de la capture.

    GW170104 apporte-t-il des indices d'une nouvelle physique ?

    Les valeurs élevées des masses déterminées par Ligo sont en revanche un peu difficile à expliquer mais plusieurs scénarios de formation de trous noirs binaires ont aussi été proposés pour compléter les deux précédents. GW170104 autorise toujours à penser que cette population d'astres compacts pourrait constituer une partie non négligeable de la matière noire. Ils seraient alors des trous noirs primordiaux reflétant des conditions très particulières de la naissance de l'univers quand l'espace-temps était très turbulent et son contenu particulièrement chaud et dense, à tel point que sa description impose une théorie de la gravitation quantiquegravitation quantique.

    D'autres informations sur une nouvelle physiquephysique ont déjà pu être déduites de la forme de l'onde gravitationnelle émise par GW170104. Ainsi, certaines théories permettent de penser que la vitessevitesse des ondes gravitationnelles pourrait être différente de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière, par exemple des théories bi-métriques dans lesquelles l'espace-temps n'a pas les mêmes caractéristiques selon le type d'ondes qui s'y déplace. Des effets de gravitation quantique pourraient aussi y produire des violations de l'invariance de Lorentz, de sorte que la vitesse de propagation des ondes gravitationnelles dépendrait de leurs fréquences. On a recherché un tel effet dans les sursauts gamma via les satellites Fermi et Integral. Sans succès jusqu'à présent.

    Les derniers résultats de Ligo sont parfaitement compatibles avec la théorie de la relativité générale d'Einstein. Les ondes gravitationnelles semblent bel et bien toujours se propager à la vitesse de la lumière, ce qui pose d'ailleurs aussi également des bornes sur la masse éventuelle des gravitons, les photonsphotons supposés du champ de gravitation.

    Quoi qu'il en soit, nous en sommes encore au début de l'astronomie des ondes gravitationnelles et son futur s'annonce brillant dans tous les sens du terme. Hélas, Ronald Drever et Pierre Binétruy ne sont plus là pour le voir...