Du 23 février au 10 mars 2023, dans le cadre de l'opération militaire majeure Orion, l’armée de l’Air et de l’Espace a mené l’exercice de guerre spatiale AsterX 2023. C’est la première fois qu’un exercice d’une telle envergure est mené en Europe, mêlant toutes les armées françaises. Ces grandes manœuvres ont démontré l'importance des infrastructures satellites dans les opérations au sol. Futura a fait le point avec le colonel Guillaume Bourdeloux, du Commandement de l’Espace (CDE), et Lionel Suchet, directeur général délégué du Cnes.


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    Le scénario de l'exercice, en partie greffé à celui d’Orion, était le suivant : une puissance, nommée Mercure, cherche à déstabiliser une autre puissance, Arnland, alliée de la France, celle-ci décide de porter assistance en déployant une première force par un débarquement amphibie et un parachutage de troupes sur un aéroport. Mercure transpose alors la conflictualité dans l'espace et vient faire différentes manœuvres de rapprochement sur des satellites de communication en orbite géostationnaire, à l'aide d'un satellite dormantdormant depuis plusieurs années sur l'orbite cimetière (située 300 kilomètres plus haut), qui vient larguer des nanosats brouilleurs. Mercure exerce aussi des manœuvres de rapprochement auprès de satellites d'observation, ainsi que des illuminations laser.

    Cela force le Commandement de l'Espace (CDE) à déplacer ses satellites, ce qui coûte du temps et du carburant. Sa décision est alors de neutraliser les centres de maintien à poste des satellites de Mercure, signifiant une escalade du conflit mais qui permet de reprendre le contrôle des satellites français.

    Retour sur les deux semaines d'entraînement. © Armée de l'Air et de l'Espace

    Cette troisième édition a été dirigée par le Commandement de l'Espace, dans leurs locaux, au Cnes, à Toulouse. Au total, 200 personnes ont été mobilisées. Le colonel Guillaume Bourdeloux a dirigé la constructionconstruction d'AsterX 2023, et également joué le patron de la composante spatiale pendant l'exercice.

    Futura : Quelles étaient les capacités spatiales de Mercure ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : Mercure était une puissance spatiale complète. Elle disposait de satellites de télécommunication en orbite géostationnaire et en orbite basse, de positionnement, d'observation en optique, en radar, d'écoute électronique, avec des moyens de reconnaissance clairement supérieurs, plus nombreux, et des meilleurs taux de revisite. Mercure était capable de voir nos manœuvres sur terre, en mer, et potentiellement dans les airs. Elle avait aussi des moyens de guerre anti-spatiale comme de l'éblouissement laser, des satellites capables de faire des manœuvres d'approche et de rendez-vous, mais on a fait le choix qu'elle n'ait pas de missilemissile antisatellite. Le rapport de force était clairement en notre défaveur. Notre atout était d'opérer en coalition avec les États-Unis, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique et le volet spatial de l'Otan.

    Futura : Est-ce que l’exercice se prolongeait dans le temps en misant sur des moyens futurs ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : AsterX avait pour but de s'entraîner avec les moyens du moment, avec toutefois une petite projection à deux ou trois ans. Par exemple, la structure du commandement est celle que l'on imagine pour 2025, une fois que l'on aura nos quartiers à Toulouse, et toutes nos ressources humaines et logistiques. On a aussi imaginé pouvoir disposer d'un système de lancement réactifréactif [permettant de mettre en orbite un satellite en très peu de temps, à savoir quelques jours maximum, NDLRNDLR], avec une petite fuséefusée aéroportée sous l'aile d'un avion de l'Armée de l'Air, bien que l'on n'en ait pas les moyens actuellement. Ça permettait de disposer d'un objet qui puisse s'interposer, décourager ou amener un complément capacitaire. Par exemple, on peut remplacer au pied levé un satellite d'observation détruit par illumination laser.

    Le <em>Cosmic Girl </em>de la société Virgin Orbit, un Boeing 747 modifié transportant une fusée LauncherOne sous une aile, décolle du désert du Mojave (Californie, États-Unis), le 17 janvier 2021. Ce système de lancement orbital est censé permettre une campane de tir très courte et ainsi une forte réactivité (en théorie). © Patrick T. Fallon, AFP
    Le Cosmic Girl de la société Virgin Orbit, un Boeing 747 modifié transportant une fusée LauncherOne sous une aile, décolle du désert du Mojave (Californie, États-Unis), le 17 janvier 2021. Ce système de lancement orbital est censé permettre une campane de tir très courte et ainsi une forte réactivité (en théorie). © Patrick T. Fallon, AFP

    Futura : Quelles réalités de l’environnement spatial avez-vous pris en compte pendant l’exercice ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : On a joué avec 5 000 objets dans l'espace. Il n'y avait pas de plus-value à simuler un environnement comptant plus de 30 000 débris, comme c'est le cas en réalité. On a également simulé une vingtaine de capteurscapteurs (télescopestélescopes, radars, etc.).

    Futura : Qu’est-ce que cet exercice met en lumière ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : On a mis en pratique ce qui était très clair pour nous en théorie : si on fait la guerre dans l'espace face à une puissance comme Mercure, on la perd. Il est aussi clair que si l'on n'a pas de liberté d'accès à l'espace ni d'action dans l'espace, alors on est embêté partout. Donc, il faut avoir les moyens d'empêcher l'ennemi de venir nous déranger en orbite.

    Futura : Quelles sont les nouveautés d’AsteriX23 par rapport aux deux autres précédents ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : C'est la première fois que l'on s'entraînait en milieu interarmées, avec toutes les composantes. Pour mettre en applicationapplication, en temps réel, la composante spatiale. C'est aussi la première fois que l'on n'était pas dans la réaction, mais plutôt dans l'anticipation. On a pris le temps d'étudier Mercure, ses actions, et aussi les nôtres.

    Au cours de l'exercice. © Armée de l'Air et de l'Espace
    Au cours de l'exercice. © Armée de l'Air et de l'Espace

    Futura : C’est la première fois que cet exercice est réalisé dans un cadre de guerre totale, quel est le lien entre AsterX23 et la guerre en Ukraine ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : L'exercice a nécessité deux ans de préparation, donc pas vraiment de lien. Mais, bien sûr, on anticipe depuis longtemps une montée de la compétition, voire de l'affrontement. L'exercice était prévu avant le début de la guerre en Ukraine car l'État-Major nous avait demandé de nous préparer à des exercices de haute intensité.

    Futura : Peut-on vraiment parler de « guerre » dans l’espace aujourd’hui ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : Dans l'exercice, on ne sait pas trop ce que l'ennemi fera. Nous connaissons nos limites, en tant que nation qui respecte le droit international et le droit des conflits armés. On a signé des engagements pour ne pas créer des débris multiples par tir antisatellite. On est aussi dans la posture de la défensive plutôt que de l'offensive dans le sens où l'on ne veut pas détruire Mercure, mais préserver nos moyens d'action. Mais tout le monde n'a pas les mêmes restrictions. On peut donc dire que l'on est dans une sorte de guerre spatiale, mais sous le seuil de conflictualité, avec des actions non cinétiques et qui ne cassent pas en orbite. On cherche plutôt à neutraliser de manière réversibleréversible, sans vraiment détruire, mais plutôt inhiber.

    Futura : Y a-t-il de plus en plus de manœuvres de rapprochement ou d’inspection de nos satellites par ceux de puissances étrangères ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : Cela devient une routine pour les grandes puissances (USA, Chine, Russie). Ces comportements se banalisent mais tout en restant sous le seuil de conflictualité. Cela relève surtout de la démonstration de force.

    Jeu du chat et de la souris entre le satellite espion américain USA270 et les satellites espions chinois Shiyan. © Comspoc

    Futura : Quel est le rôle précis du Cnes dans l’exercice ?

    Colonel Guillaume Bourdeloux : L'apport est triple. D'abord, ils nous hébergent. Avec l'Onera, ils nous aident à mettre en place la simulation (5 000 objets, 20 capteurs, etc.), nous permettant une liberté d'action presque totale. Enfin, le Cnes opère avec nous le maintien à poste d'une partie de nos satellites et dans la surveillance de l'espace.

    À propos du Cnes, Futura a également pu avoir un bref retour de Lionel Suchet, directeur général délégué de l'agence. Il précise le rôle du Cnes dans l'exercice. Ce dernier s'est, d'après lui, « remarquablement bien passé ».

    Futura : Quel est le retour d’expérience de ce genre d’exercice pour le Cnes ?

    Lionel Suchet : On apprend à travailler en lien avec des forces à la vitessevitesse où les gens ont besoin d'informations ou d'action. Dans le spatial, quand quelque chose se passe mal, on a l'habitude de mettre tout en sécurité et de réfléchir, d'attendre, de trouver des solutions, et de repartir. Dans une opération militaire, on ne peut pas faire ça, on est obligé d'avancer à la vitesse où il faut que les choses avancent et ça change beaucoup de choses en termes de concept opérationnel, de réactivité des équipes, de prise de risque parce qu'il faut répondre et non dans la journée. Ce sont des choses nouvelles qu'il faut mieux maîtriser et prendre en compte dans les opérations spatiales de demain. Et ça, c'est très intéressant.

    La coopération entre le Cnes et le CDE est très étroite. Le Cnes est encore un grand garant des compétences techniques pour assurer les opérations de certains satellites militaires. © Cnes, Alexandre Ollier
    La coopération entre le Cnes et le CDE est très étroite. Le Cnes est encore un grand garant des compétences techniques pour assurer les opérations de certains satellites militaires. © Cnes, Alexandre Ollier