Dans la profonde grotte de Bruniquel, au-dessus de l’Aveyron, des Hommes de Néandertal ont aménagé des feux pour s’éclairer. Ils ont aussi cassé et déplacé plus de deux tonnes de stalagmites pour construire d'énigmatiques structures. La datation en fait un record : 176.500 ans, une époque bien antérieure à tous les cas connus d’occupation humaine de grottes. Mais qu’allaient-ils donc faire là ?

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    C'est sans doute la nouvelle archéologique de l'année : des constructionsconstructions humaines trouvées au fond d'une grotte profonde du Tarn-et-Garonne, dite de Bruniquel, ont été datées : elles remontent à -176.500 ans, soit 140.000 ans avant les peintures de la grotte Chauvet, le plus ancien art pariétal connu jusqu'ici.

    Découvert en 1990, dominant l'Aveyron, ce vaste site souterrain, qui abrite un lac, ne recèle pas de peintures pariétales mais des traces d'utilisation du feu et de curieux amoncellements de stalagmitesstalagmites brisées et soigneusement agencées.

    Depuis plusieurs années, il est minutieusement étudié par une équipe internationale, notamment Jacques Jaubert, de l'université de Bordeaux, Sophie Verheyden, de l'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), et Dominique Genty, du CNRS, aidés par les spéléologues de la Société spéléo-archéologique de Caussade (SSAC).

    Des stalagmites préalablement brisées ont été agencées en cercle. © Michel Soulier, SSAC

    Des stalagmites préalablement brisées ont été agencées en cercle. © Michel Soulier, SSAC

    De mystérieuses occupations souterraines

    Les résultats sont tout à fait inattendus. Les archéologues dénombrent environ 400 stalagmites ainsi déplacées et ont repéré plusieurs endroits où elles ont été prélevées. Leurs longueurs cumulées totalisent 112 m et la masse totale est estimée à 2,2 tonnes. Ces pierres sont juxtaposées ou alignées sur 2, 3 ou 4 rangs et sont maintenues par des cales. Ailleurs, des empierrements dessinent un cercle. En 2013, leur disposition est enregistrée et reconstituée en 3D, tandis que les traces de feux sont analysées par un procédé magnétique.

    La conclusion est qu'il s'agit probablement de foyers installés là pour l'éclairage. Les archéologues sont en peine pour effectuer des comparaisons car on ne connaît aucun autre exemple de ce genre. Les chercheurs, qui publient leur analyse dans Nature, ont dû inventer un nouveau mot qualifier ces structures : « spéléofact », mélange de « artefact » (réalisation d'origine humaine) et de « spéléologique ».

    Reconstitution en 3D de la structure en cercle. Les repousses de stalagmites, postérieures à la réalisation, ont été supprimées sur ordinateur. © Xavier Muth, Get in Situ, Archéotransfert, Archéovision-SHS-3D, base photographique Pascal Mora

    Reconstitution en 3D de la structure en cercle. Les repousses de stalagmites, postérieures à la réalisation, ont été supprimées sur ordinateur. © Xavier Muth, Get in Situ, Archéotransfert, Archéovision-SHS-3D, base photographique Pascal Mora

    Les grottes occupées par des humains 140.000 ans avant Chauvet

    Les premières datations au carbone 14datations au carbone 14 n'avaient pas permis de conclure car l'âge (176.500 ans) est plus grand que la limite de cette méthode (47.600 ans). C'est une analyse « uranium-thorium » qui l'a donné. Le premier de ces atomes, incorporé à la calcitecalcite - qui s'est redéposée sur ces amoncellements -, se dégrade ensuite en thorium avec un rythme connu. Avec 176.500 +/- 2.000 ans, la datation est plus qu'étonnante car elle situe ce curieux chantier bien avant les plus anciens signes d'occupation connues d'une grotte, en l'occurrence celle de Chauvet, il y a 36.000 ans.

    Il y a 176.500 ans, Homo sapiensHomo sapiens ne vivait pas en Europe ; les humains étaient des Néandertaliens. Toutefois, jamais des traces d'une telle occupation d'une grotte n'avaient été trouvées. « La communauté scientifique ne supposait aucune appropriation de l'espace souterrain, ni une maîtrise aussi perfectionnée de l'éclairage et du feufeu, et guère plus des constructions aussi élaborées », rapporte le communiqué du CNRS. Il a fallu une certaine organisation sociale pour réaliser ces aménagements, avec un gros travail de débitage de stalagmites puis leur installation soigneuse.

    Une autre énigme, encore plus difficile, demeure : que venaient faire là ces Hommes de Néandertal ? À part celle d'un refuge, peu probable car l'entrée de la grotte est à 300 m de ces structures, toutes les hypothèses sont sur la table : recherche de matériaux souterrains, utilisation du lieu pour une cause pratique quelconque, comme une réserve d'eau, célébration d'un culte... Une fois encore, l'Homme de Néandertal nous étonne.