La théorie dominante actuelle pour expliquer la maladie d'Alzheimer est que l'accumulation de protéines Tau et amyloïdes, que l'on observe dans le cerveau chez tous les malades, est la cause de la dégénérescence progressive et de la mort des neurones. Mais depuis quelques années, cette théorie en tant qu'explication exhaustive du mécanisme de la maladie est remise en question. Une nouvelle théorie vient peut-être aider à la compréhension de la pathogenèse complexe de cette maladie, malheureusement si fréquente.


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    Selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 900.000 personnes seraient atteintes de la maladie d'Alzheimer en France, avec une légère prédominance féminine et seulement 2 % de cas héréditaires. La maladie touche, de manière quasiment exclusive, les personnes âgées. Elle résulte d'une dégénérescence des neurones, surtout au niveau des structures en charge de la mémoire telles que l'hippocampehippocampe, puis ne fait que croître pour, in fine, s'étendre dans le cerveau tout entier. La personne malade perd progressivement ses facultés cognitives, son intégritéintégrité physiquephysique et toute son autonomieautonomie.

    Alzheimer : un échec cuisant de la théorie dominante

    Les mécanismes identifiés jusqu'à présent semblent insatisfaisants, étant donné qu'ils ne nous permettent pas de comprendre la maladie dans son entièreté. Depuis quelques années déjà, l'accumulation des protéines Tau et amyloïdes (les principales cibles des traitements actuels non remboursés depuis l'année dernière car inefficaces) est soupçonnée d'être une conséquence d'attaques répétées du cerveau par diverses causes : virus, bactéries, carences, mode de vie pro-inflammatoire, etc. Les nouvelles voies de recherches se concentrent actuellement sur une meilleure compréhension des causes antérieures à la maladie afin de développer de meilleurs traitements, de pouvoir réaliser des détections plus précoces et des préventionspréventions optimales.

    La théorie dominante actuelle échoue à venir à bout de la maladie, ce qui veut dire qu'elle ne nous explique pas l'entièreté du mécanisme de la pathologie. Elle doit laisser la place à une nouvelle théorie. © quickshooting, Fotolia
    La théorie dominante actuelle échoue à venir à bout de la maladie, ce qui veut dire qu'elle ne nous explique pas l'entièreté du mécanisme de la pathologie. Elle doit laisser la place à une nouvelle théorie. © quickshooting, Fotolia

    Entre théories et observations 

    La majorité des philosophes des sciences s'accordent pour dire que les observations succèdent à la théorie. En effet, en dehors de son sein, elles n'auraient aucun sens. Face à un problème donné et l'incompréhension d'un ou de plusieurs phénomènes, les scientifiques construisent des théories puis les confrontent à l'observation. Plus une théorie nous apprend de choses sur le monde (ici sur les pathologiespathologies) et résiste aux observations, plus elle gagne en crédit. C'est ce que l'on appelle le falsificationnisme. C'est le courant dominant dans la manière de faire de la science aujourd'hui. On constate donc qu'il est urgent de théoriser à nouveau concernant la maladie d'Alzheimermaladie d'Alzheimer.

    En effet, la théorie dominante nous a permis de comprendre bien des choses, mais elle est loin d'être exhaustive étant donné que le traitement de la maladie est au point mort. La science médicale a besoin de nouvelles théories, tout comme le monde de la recherche en physique en a besoin afin d'unifier les quatre interactions fondamentales. Des chercheurs viennent d'en proposer une dans le journal ACS Central Science, appartenant à la Société américaine de chimiechimie.

    Les chercheurs qui travaillent sur la maladie d'Alzheimer doivent faire émerger de nouvelles théories pour élargir notre compréhension de la pathologie. © Olivier Le Moal, Fotolia
    Les chercheurs qui travaillent sur la maladie d'Alzheimer doivent faire émerger de nouvelles théories pour élargir notre compréhension de la pathologie. © Olivier Le Moal, Fotolia

    Une histoire de chimie invisible

    Les scientifiques de l'université de Californie Riverside, à l'origine de l'étude, partent de ce constat d'échec de la théorie dominante pour expliquer Alzheimer. « La théorie dominante, basée sur l'accumulation de protéines bêta-amyloïdebêta-amyloïde existe depuis des décennies et des dizaines d'essais cliniquesessais cliniques fondés sur cette théorie ont été tentés, mais ils ont tous échoué », rappelle Ryan R. Julian, professeur de chimie qui a dirigé l'équipe de recherche.

    Cette équipe de chercheurs s'est donc concentrée sur un phénomène qui précède l'accumulation des protéines amyloïdes : l'obsolescence et l'accumulation des lysosomeslysosomes (nos « centrales de recyclagerecyclage » cellulaires). « Les neurones - des cellules fragiles qui ne subissent pas de division cellulaire - sont sensibles aux problèmes lysosomaux, notamment au stockage lysosomal, que nous rapportons être une cause probable de la maladie d'Alzheimer », affirme Ryan R. Julian. 

    Selon cette théorie, ce qui se passerait dans nos cellules cérébrales, c'est que certains lysosomes échoueraient dans leur tâche de recyclage de moléculesmolécules diverses et variées. Ce faisant, la cellule « étiquetterait » le lysosome d'obsolète, le mettrait de côté, et en créerait un nouveau et cela autant de fois que les lysosomes échouent. In fine, cela conduirait à une accumulation ingérable des lysosomes au sein de la cellule. « Les protéines à vie longue deviennent plus difficiles à recycler avec l'âge et pourraient expliquer le stockage lysosomal observé dans la maladie d'Alzheimer. Si notre théorie est correcte, cela ouvrirait de nouvelles voies pour le traitement et la prévention de cette maladie », déclare Ryan R. Julian. 

    Illustration du processus nommé autophagie. © Kateryna_Kon, Fotolia
    Illustration du processus nommé autophagie. © Kateryna_Kon, Fotolia

    En fait, ce sont des modifications au niveau de la structure des molécules qui pourraient entraîner un effet cascade vers ce stockage lysosomal puis vers l'accumulation des fameuses protéines Tau et bêta-amyloïde. « Les enzymesenzymes qui décomposent normalement les protéines ne peuvent pas le faire si la structure a changé, même de façon infime. C'est comme essayer d'adapter un gant de main gauche à votre main droite. Nous montrons dans notre document que cette modification structurelle peut se produire dans les protéines bêta-amyloïde et Tau, importantes pour la maladie d'Alzheimer. Ces protéines subissent cette chimie presque invisible, ce qui peut expliquer pourquoi les chercheurs n'y ont pas prêté attention », raconte Ryan R. Julian.

    Le saviez-vous ?

    Il existe des moyens d'activer l'autophagie en agissant uniquement sur notre mode de vie, par exemple, en faisant du sport et en ayant une bonne hygiène nocturne. Une alimentation faible en glucides et des petites périodes de jeûne pourraient également aider. 

    Ces réactions sont connues depuis longtemps mais n'étaient pas intégrées au sein de la théorie, si bien que personne ne s'est posé la question de savoir si cela avait un rôle dans la pathogenèse de la maladie d'Alzheimer. « Une façon d'éviter ces réactions serait de recycler les protéines afin qu'elles ne restent pas assez longtemps pour subir ces modifications chimiques. À l'heure actuelle, aucun médicament n'est disponible pour stimuler ce recyclage - un processus appelé autophagieautophagie - pour le traitement de la maladie d'Alzheimer », conclut Ryan R. Julian. Cette nouvelle théorie explicative sera, espérons-le, féconde pour de potentiels futurs traitements.