La résistance des bactéries aux antibiotiques est une menace sérieuse pour laquelle on peine à trouver des solutions. Près de 30.000 personnes décèdent des suites d'une infection par une bactérie résistante chaque année en Europe. Des chercheurs canadiens explorent une alternative originale : une molécule produite par le cannabis !


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    « Jamais la menace de la résistancerésistance aux antimicrobiens n'a été aussi immédiate et le besoin de solutions plus urgent. » Voilà les mots prononcés le 17 janvier par le directeur général de l'Organisation mondiale de la santéOrganisation mondiale de la santé, lors de la publication de deux rapports sur le manque d'antibiotiques en développement. Seulement cinquante nouveaux antibiotiques destinés à lutter contre les souches les plus résistantes seraient à l'heure actuelle en conception. Chaque année, en Europe, 33.000 personnes meurent d'une infection causée par des bactéries résistantes aux antibiotiques.

    Certains scientifiques font le pari de chercher la réponse ailleurs en testant le pouvoir antibactérien d'autres moléculesmolécules déjà connues. C'est le cas d'une équipe canadienne qui, inspirée par les effets thérapeutiques du cannabis, a annoncé l'efficacité antibactérienne de cinq de ses dérivés dans une publication pas encore soumise à l’analyse par ses pairs.

    L’action du cannabigérol contre les staphylocoques résistants

    Le cannabichromène (CBCCBC), le cannabidiolcannabidiol (CBD), le cannabigérol (CBG), le cannabinol (CBN), et Δ9-tétrahydrocannabinoltétrahydrocannabinol (THC) sont les cinq molécules produites naturellement par le chanvre (Cannabis sativa) qui ont été testées. Parmi elles, le cannabigérol tire son épingle du jeu en étant redoutable contre le Staphylococcus aureusStaphylococcus aureus résistant à la méticilline, qui est responsable de 8 % des infections nosocomiales en France.

    La cible du CBG le rend particulièrement intéressant. Dans leur étude, les scientifiques suggèrent que le CBG désorganiserait la membrane plasmique des staphylocoques. Or, la membrane plasmique est une structure indispensable à la bactérie, elle lui donne sa forme et la protège dans son environnement. Elle ne peut pas donc se permettre de la faire muter aussi facilement qu'une autre structure non-vitale. Ainsi les molécules ciblant la membrane n'induisent des résistances qu'à une faible fréquence.

    Un autre point, qui rend le CBG digne d'intérêt, est son action contre les biofilms. Les biofilms sont des communautés bactériennes complexes qui se forment sur des surfaces biotiques (dans les muqueuses ou sur les dents, par exemple) ou abiotiquesabiotiques (sur le matériel médical, par exemple). Protégées dans une matrice polymérique, les bactéries sont beaucoup moins sensibles aux désinfectantsdésinfectants, aux antibiotiques et même à notre système immunitairesystème immunitaire. Les scientifiques ont montré qu'une dose de 4 µg/ml de CBG suffisait à désorganiser un biofilm déjà formé.

    Les cinq cannabinoïdes testés dans la publication ainsi que leur isomère et leur précurseur. © Maya A. Farha et al. bioRxiv
    Les cinq cannabinoïdes testés dans la publication ainsi que leur isomère et leur précurseur. © Maya A. Farha et al. bioRxiv

    Un spectre d’action qui peut être étendu

    De plus, combiné avec de la polymyxine B, le CBG étend son spectrespectre d'activité aux bactéries à Gram négatifbactéries à Gram négatif. La membrane plasmique de ces bactéries-là est protégée par une paroi fine et une membrane externe. Son action synergique avec la polymyxine B rend le CBG toxique pour des souches d'Escherichia coli, la star des infections nosocomialesinfections nosocomiales, mais aussi contre AcinetobacterAcinetobacter baumannii, moins connu mais tout aussi redoutable, à faible dose.

    Les effets antibactériens du CBG n'ont été testés, ici, qu'in vitroin vitro et des expériences in vivoin vivo s'imposent pour mettre à l'épreuve son efficacité ainsi que son mode d'action. En plus de ces propriétés pharmacologiques intéressantes sur l'Homme, les cannabinoïdescannabinoïdes pourraient être une nouvelle corde à notre arc dans la lutte contre les bactéries résistantes aux antibiotiques.