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Sarah Stewart Johnson en costume de travail. © Sarah Stewart Johnson
Combien de temps peut vivre une bactérie ? « Plus d'un demi million d'années ! » répondent en substance Sarah Stewart Johnson et son équipe du MIT (Massachusetts Institut of Technology)), qui ont découvert des traces de métabolisme dans des sols vieux de 600.000 ans. Ces chercheurs ont voulu comprendre comment des bactéries peuvent revenir à la vie après avoir passé des milliers voire des centaines de milliers d'années dans un sous-sol gelé. De nombreux cas ont été observés, même si le pourcentage de chanceuses capables de revivre normalement est toujours très faible (moins de 1 %). Jusque-là, cette résistancerésistance n'était expliquée que dans le cas de bactéries capables de former des spores. S'installant dans un état de dormance, ces derniers ne sont alors le siège d'aucun métabolisme, leur milieu interne restant figé par la congélation.
Pergélisol, perpétuellement gelé, près de la rivière Klondike, dans le territoire de Yukon, au Canada. Des bactéries y survivent depuis des centaines de milliers d’années. © Duane Froese
Mais d'après l'équipe du MIT, cette explication ne tient pas pour les résistances les plus longues car le chromosome bactérien se dégrade trop vite. Les modèles indiquent que l'ADN se décompose en petits fragments (de moins de cent paires de bases) après une duréedurée de cent mille à un million d'années, et encore n'est-ce possible que dans des conditions de congélation optimales, sûrement loin de l'environnement habituel d'un sous-sol gelé. Après un tel découpage de son génome, la bactérie ne devrait pas pouvoir relancer son métabolisme.
Les scientifiques ont cherché la réponse à cette énigme dans des extraits de sol gelé, ou pergélisolpergélisol (parfois appelé par son nom anglais, permafrostpermafrost) provenant de Sibérie, du Canada et d'AntarctiqueAntarctique, et datant de 5.000 ans à un million d'années. Après avoir pris de nombreuses précautions pour éliminer les possibilités de contaminationcontamination, l'équipe a lancé deux expériences : l'étude des restes d'ADN et la mesure de l'émissionémission de dioxyde de carbonedioxyde de carbone (CO2), témoin d'une respiration éventuelle.
Trop beau, ce vieil ADN…
Menés par la traditionnelle méthode de la PCR (Polymerase Chain ReactionPolymerase Chain Reaction), les essais ont porté uniquement sur des fragments longs de 4.000 paires de bases afin d'éviter de mesurer des restes d'ADN provenant de bactéries vraiment mortes. En effet, les fragments extraits de micro-organismesmicro-organismes fossilesfossiles ne dépassent qu'exceptionnellement 100 à 500 paires de bases, le record étant établi à 1.042.
Résultat tout à fait positif : dans les échantillons datant de 5.000 à 600.000 ans, des brins d'ADN de 4 000 paires de bases ont bien été trouvés. Mais dans quel état sont-ils ? En excellente forme, à la surprise des chercheurs ! Avec le temps, la moléculemolécule d'ADN se dégrade d'une manière relativement bien connue. Parmi les atteintes figure une hydrolysehydrolyse des molécules de cytosinecytosine, qui se transforme en uracileuracile ou l'un des ses cousins. Dans une cellule vivante, ces dégâts sont réparés mais pas dans une bactérie morte ou en état de dormance. Une partie de chaque échantillon a été traitée avec une enzymeenzyme qui attaque l'uracile, empêchant le brin qui en porteporte d'être amplifié par la PCR et donc repéré. La fraction d'ADN dégradé a pu ainsi être mesurée.
C'est dans les populations les plus jeunes (entre 5.000 et 30.000 ans) que la proportion d'ADN dégradé semblaient la plus forte... Dans ces échantillons figuraient beaucoup de bactéries capables de produire des spores de résistance. A l'état dormantdormant, elles ne peuvent alors réparer leur ADN. En revanche, l'ADN des échantillons vieux de 400.000 à 600.000 ans était en bien meilleur état ! Or, la population dominante de ces échantillons était constituée des bactéries connues pour ne pas savoir se mettre en état de dormance. Dans les sols plus anciens encore (plus de 740.000 ans), plus aucun long brin de 4.000 paires de base n'a été observé.
Des précautions extrêmes sont indispensables pour éliminer les sources de contamination et d’erreurs. Les échantillons ont été doublés et la moitié des lots a été traitée dans ce laboratoire de Copenhague.
© Tina B. Brand
Le souffle des vieilles bactéries
Les bactéries de moins de 600.000 ans semblent donc capables de réparer leur ADN. Pour confirmer ce soupçon, les scientifiques ont vérifié si des traces de respiration existaient encore dans le sol gelé. Réponse : oui ! Net dans les échantillons de moins de 30.000 ans, ce léger souffle restait perceptible dans les couches de 400.000 à 600.000 ans. Confirmant les mesures d'ADN, la respiration avait complètement cessé dans les sols âgés de plus de 740.000 ans. Ces couches-là ne sont plus que des cimetières à bactéries.
Ce métabolisme minimaliste, qui conserve au moins la réparation de l'ADN, est un phénomène complètement inconnu et pour l'instant inexpliqué. Mais il permet à des bactéries de survivre plus de 500.000 ans et de reprendre leur activité si jamais les conditions redeviennent vivables.
Sarah Stewart Johnson, qui a travaillé au Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory sur la mission des robotsrobots martiens SpiritSpirit et OpportunityOpportunity, souligne que les conditions dans lesquelles ces bactéries survivent sont aussi celles que l'on trouve dans le sous-sol de Mars et sûrement, également, dans les profondeurs d'Europe, un satellite de JupiterJupiter.