Trois scientifiques qui ont participé à une croisière en Antarctique, en mars 2020, racontent leur périple dans une étude, alors que le bateau est frappé par une épidémie de Covid-19. Un récit riche d’enseignements sur la façon dont se propage l’épidémie et sur la proportion de patients asymptomatiques qui s’élèverait à 81 %.


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    Jeffery Peter Green et ses deux collègues ne sont pas allés chercher bien loin le sujet de leur étude. Ce médecin du Royal Australian College à Melbourne a embarqué mi-mars 2020mars 2020 à bord d'un paquebot de croisière pour une expédition de 21 jours dans la péninsulepéninsule AntarctiqueAntarctique, sur les traces de l'explorateur britannique Ernest Shackleton en 1915-1917. Ce petit voyage d'agrément va vite tourner court lorsqu'une épidémie de Covid-19 se déclare sur le navire. Mais cela va aussi donner l'occasion à nos trois scientifiques d'étudier précisément la transmission du virus sur le bateau. Les résultats viennent d'être publiés dans la revue médicale Thorax, et apportent un nouvel éclairage sur la propagation silencieuse du virus par les porteurs asymptomatiques : 81 % des passagers ont ainsi été testés positifs sans développer le moindre symptôme.

    Des précautions d’hygiène drastiques

    Mi-mars donc, Jeffery Green, Alvin Ing et Christine Cocks embarquent à bord du bateau à Ushuaia, en Argentine, en compagnie de 125 autres passagers et des 95 membres d'équipage. À l'époque, l'OMS a déjà qualifié la Covid-19 de pandémiepandémie et l'ensemble des passagers est donc soumis à un dépistagedépistage des symptômes de la maladie et à une prise de température avant le départ. De plus, aucun passager ayant transité dans un des pays touchés par le coronaviruscoronavirus au cours des trois semaines précédentes n'est autorisé à embarquer. De nombreux postes d'hygiène des mains ont été installés dans tout le navire et en particulier dans la salle à manger. Des précautions qui ne vont malheureusement pas s'avérer suffisantes.

    Les passagers sont confinés dans leur cabine dès le début de l’épidémie de Covid-19. © Rayandbee, Flickr
    Les passagers sont confinés dans leur cabine dès le début de l’épidémie de Covid-19. © Rayandbee, Flickr

    Le début des ennuis

    Durant les sept premiers jours, tout se passe bien. Le navire suit l'itinéraire prévu, empruntant le passage DrakeDrake, puis l'île Danco, Paradise Bay, le passage Lemaire et l'île Deception. Le 8e jour, un passager déclare de la fièvrefièvre. Il est immédiatement mis en isolement et tous les passagers se retrouvent alors confinés dans leur cabine. Le personnel distribue des masques chirurgicaux et apporte des repas trois fois par jour aux passagers. Là encore, ces précautions ne vont pas suffire. Le 10e jour, trois membres d'équipage montrent des signes de fébrilité. Le 11e jour, c'est au tour de deux passagers et d'un autre membre de l'équipage, et trois personnes de plus sont touchées le 12e jour.

    Quatre patients sur cinq asymptomatiques

    Des tests sérologiquestests sérologiques VivaDiag sont distribués à bord, mais tous s'avèrent négatifs sur les patients montrant de la fièvre. Méfiantes, les autorités uruguayennes refusent le débarquement des passagers sans test PCRPCR officiel. Huit passagers sont tout de même évacués médicalement vers des hôpitaux de Montevideo, dont un homme non fumeur de 68 ans, dans un état grave. Tous les patients évacués seront testés positifs à la Covid-19. Au 20e jour, le ministère uruguayen livre enfin les fameux tests PCR à bord. Sur les 217 passagers et membres d'équipage, 128 sont testés positifs, soit 59 %. « Au total, 19 % des patients (24) testés positifs avaient développé des symptômes, la majorité étant donc asymptomatique (104 patients, soit 81 %) », notent les auteurs de l'étude. Un couloir sanitaire sera finalement mis en place pour le rapatriement des passagers dans leur pays d'origine.

    Jeffery Green et ses collègues apportent plusieurs conclusions à leur expérience :

    • la prévalenceprévalence de la Covid-19 sur les bateaux de croisière est probablement très sous-estimée, ce qui implique de surveiller attentivement les passagers à leur retour pour prévenir une transmission communautaire ;
    • les tests sérologiques rapides ne sont pas fiables en phase aiguë ;
    • la majorité des porteurs du virus sont asymptomatiques ;
    • la chronologie des symptômes suggère une contaminationcontamination croisée même après l'isolement en cabine.

    Le précédent du Diamond Princess

    Le cas du Diamond Princess, un paquebot de croisière de 3.700 passagers et membres d'équipage, parti en février, avait déjà fait l'objet d'une étude épidémiologique poussée. Plus de 700 personnes à bord avaient été infectées, constituant à l'époque le plus gros foyer des contaminations en dehors de la Chine. Différentes études avaient alors pu estimer le nombre de cas asymtomatiques, la mortalité du virus ou le taux de transmission. L'une d'elles, parue sur le site Eurosurveillance, avait alors calculé un taux de patients asymtomatiques de 17,9 %. Un faible taux par rapport à celui de la nouvelle étude qui pourrait notamment s'expliquer par le fait que les passagers étaient plus âgés que la moyenne, et donc plus susceptibles de tomber malades.