La biologie synthétique prend une nouvelle dimension : pour la première fois, un chromosome artificiel a été fabriqué chez un organisme eucaryote : la levure. De quoi imaginer de nombreuses avancées dans la recherche biomédicale, mais pas seulement...

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    Craig Venter et son équipe avait créé la sensation en 2010 dans la revue Science, en publiant la première démonstration de la possibilité de concevoir de toute pièce un chromosome bactérien, à partir de rien. Après 15 années de recherche et 40 millions de dollars dépensés, cette découverte ouvrait la voie à de nouvelles avancées de la biologie synthétique, cette discipline récente qui ambitionne de construire brique par brique le vivant.

    Quatre ans plus tard, un nouvel exploit de ce genre est annoncé une fois encore dans le même magazine. Cette fois, il émane de Jef Boeke, chercheur à la faculté de médecine Langone de l'université de New York. Point de bactérie ni de virus, pour lesquels c'est du déjà-vu. Cette fois, le scientifique américain annonce la fabrication d'un chromosome artificiel chez un organisme eucaryote et donc plus complexe : la levurelevure Saccharomyces cerevisiae.

    À l'instar de Rome, il n'a pas fallu un jour pour construire ce long fragment d'ADN. Mais 7 ans. À l'origine, le biologiste souhaitait signer des contrats avec des firmes spécialisées dans le but de générer des séquences génétiques de levure. Mais le processus lent et onéreux l'a obligé à revoir ses plans. Constatant un fort intérêt de la part de nombreux étudiants, il a décidé de les mettre à contributions. Ainsi, cet article scientifique est signé du nom de 80 co-auteurs.

    Un chromosome artificiel de levure qui n’affecte pas la croissance

    À la différence de Craig Venter, qui avait souhaité recopier le chromosome bactérien presque à l'identique (ajoutant les signatures des co-auteurs ainsi que les traces de citations célèbres), l'équipe de chercheurs désirait concevoir quelque chose de fonctionnel et d'intérêt. D'abord, une simulation informatiquesimulation informatique du chromosome III de la levure a été dessinée, puis remaniée afin d'épurer la séquence et de supprimer des transposons ou des portions d'ADN jugées inutiles (ou au moins non fondamentales), comme les parties non codantes des gènesgènes ou des répétitions.

     Les levures constituent un modèle eucaryote très usité en biologie. Une fois encore, ce sont sur ces champignons unicellulaires que la science expérimente… et progresse. © Masur, Wikipédia, DP

    Les levures constituent un modèle eucaryote très usité en biologie. Une fois encore, ce sont sur ces champignons unicellulaires que la science expérimente… et progresse. © Masur, Wikipédia, DP

    S'il est facile de concevoir un projet sur ordinateurordinateur, restait à le concrétiser. Pour cela, des courtes séquences d'ADN de 750 paires de bases (pb) étaient créées, puis finalement assemblées pour former des fragments de 2.000 à 4.000 pb. Le chromosome originel était découpé au fur et à mesure tandis qu'à l'opposé, les fragments du chromosome synthétique prenaient progressivement la place des séquences manquantes. À terme, le long brin d'ADN se composait de 272.871 pb, contre 316.617 dans sa version originale, ce qui représente environ 2,5 % du génome total (12 millions de pb).

    Certains gènes ont été spécifiquement marqués de manière à faciliter les manipulations génétiques par brouillage, dans le but de visualiser portions du chromosome les plus vitales. Une fois l'opération de constructionconstruction terminée, les auteurs ont voulu la tester sur des levures, chez lesquelles ils ont remplacé la version naturelle par la version synthétique. Un observateur expérimenté n'aurait pas vu la différence, puisque leur croissance n'a semblé aucunement affectée.

    En 2020, les eucaryotes synthétiques ?

    Pourquoi s'amuser à un tel jeu de Lego ? Pour la performance... mais pas seulement. Les levures sont utilisées par l'Homme depuis 4.000 ans, pour fermenter la bière ou lever le pain, et constituent l'un des principaux modèles en biologie, à tel point que le premier séquençageséquençage complet d'un génomegénome eucaryote avait été réalisé sur ces champignonschampignons unicellulaires. En contrôlant totalement leur génome, il est possible de les pousser à fabriquer des substances d'intérêt pharmaceutique ou économique. Des médicaments par exemple, comme les artémisinines luttant contre le paludismepaludisme ou un vaccinvaccin contre l'hépatite Bhépatite B. Ou bien des biocarburantsbiocarburants, comme de l'éthanol, du butanol ou du biodieselbiodiesel.

    Si pour l'heure on ne parle que d'un seul des 16 chromosomes reconstitué en laboratoire, Jef Boeke pense que la totalité du génome pourrait bientôt être conçu intégralement. Il parle d'un an ou deux avant de pouvoir commencer les tests directement chez les levures, qui devraient prendre deux années encore selon ses estimations. Car d'autres laboratoires à travers le monde participent au projet au projet Synthetic Yeast 2.0 et collaborent ensemble. Prenons donc rendez-vous : en 2020, l'Homme aura créé des êtres eucaryotes de toutes pièces.