Des chercheurs ont réussi à assembler pièce par pièce 582.970 paires de bases, reproduisant fidèlement l'ADN d’une bactérie connue. Cette reconstruction, qui s'est arrêtée à la production du génome, ouvre la voie à la création d’un organisme vivant basé sur de l’ADN synthétique.


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    Un incunable : le premier modèle de molécule d’ADN construit en 1953 par Crick et Watson, aujourd’hui exposé au National Science Museum of London. (Image libre de droits)

    Un incunable : le premier modèle de molécule d’ADN construit en 1953 par Crick et Watson, aujourd’hui exposé au National Science Museum of London. (Image libre de droits)

    Publiée cette semaine dans Science, sous l'autorité du professeur Dan Gibson et ses collaborateurs, cette avancée a été rendue possible par la mise au point de nouvelles méthodes d'assemblage et de reproduction de fragments d'ADN produits chimiquement en laboratoire. L'équipe travaille au J. Craig Venter Institute (JCVI), un institut créé par Craig Venter qui s'est fait une spécialité de la fabrication de chaîne d'ADN. En 2003, ce chercheur avait déjà réussi à reconstruire le génome d'un virus.

    Le modèle utilisé ici est la bactérie Mycoplasma genitalium, qui vit dans l'épithélium cilié des cellules dans les parties génitales et les zones respiratoires des primatesprimates (homme compris). Sélectionné en raison de sa simplicité, cet organisme ne comporte en effet que 485 gènes, à peine plus que Carsonella ruddii, qui arbore le plus petit génome connu, avec environ 200 gènes.

    Une avancée pas-à-pas

    La première étape consistant à reséquencer entièrement le génome indigèneindigène de Mycoplasma genitalium, afin de s'assurer de l'absence totale d'erreurs. Après obtention de cette version réputée parfaite, l'équipe du JCVI a commencé à synthétiser chimiquement des fragments d'ADN afin de reconstruire des fragments comportant de 5.000 à 7.000 paires de bases. 101 de ces fragments ont été obtenus.

    Pour pouvoir différencier le génome synthétique de son équivalent naturel, les chercheurs ont incorporé des traceurs, constitués d'information atypique ne se trouvant pas dans la nature. D'autres changements ont été volontairement introduits, consistant notamment à perturber le fonctionnement d'un gène afin d'inhiber tout risque de virulence. Ces manipulations ont été réalisées avec l'aide de la la société Blue Heron Technology, ainsi que de DNADNA 2.0 et Geneart.

    L'équipe a ensuite suivi un protocoleprotocole en cinq étapes consistant à réunir les fragments entre eux, formant des assemblages de plus en plus importants évoluant vers la reconstitution complète d'un génome synthétique de M. genitalium. Dans un premier temps, des groupes de quatre fragments successifs ont été produits, obtenant 25 assemblages comprenant chacun environ 24.000 paires de bases (24 kb). Ceux-ci ont été introduits dans une bactérie Escherichia coliEscherichia coli afin d'obtenir, par clonageclonage, suffisamment d'ADN en vue des prochaines étapes ainsi que pour en valider la séquence.

    Le pas suivant a consisté à assembler trois par trois 24 assemblages, obtenant ainsi 8 blocs de 72 kb. Ceux-ci, qui réunissaient environ chacun le huitième du génome total de Mycoplasma genitalium, ont à nouveau été incorporés dans Escherichia coli pour une nouvelle production d'ADN et un nouveau séquençageséquençage de contrôle. En répétant l'opération par paires selon le même protocole, les chercheurs ont ensuite obtenu des fragments de 144 kb, soit le quart du génome complet.

    A ce stade, il devenait impossible de poursuivre l'expérience au moyen de E. coli. L'équipe a donc implanté ces blocs de 144 kb dans une levurelevure. Celle-ci a reconnu les grandes moléculesmolécules d'ADN synthétique et les a assemblées entre elles par recombinaisonrecombinaison homologue. C'est de cette façon qu'ont été obtenues les dernières constructionsconstructions, représentant un génome complet de plus de 580.000 paires de bases. Celui-ci a de nouveau été séquencé et validé. Imprimé sur du papier A4 en caractères de corps 10 (plutôt petits), le code de ce génome recouvrirait 147 pages...

    Première réplique synthétique du chromosome de <em>Mycoplasma genitalium</em> obtenue par les chercheurs du <em>J. Craig Venter Institute</em>. Crédit JCVI

    Première réplique synthétique du chromosome de Mycoplasma genitalium obtenue par les chercheurs du J. Craig Venter Institute. Crédit JCVI

    Un vaste programme en trois étapes

    Obtenue pour la première fois en juin 2007, la transplantationtransplantation de génome était la première étape essentielle dans le domaine de la génomie synthétique. Une équipe du JCVI conduite par Carile Lartigue avait alors réussi à transformer une espèces de bactérie (Mycoplasma capricolum) en un autre (Mycoplasma mycoides LC) en substituant le chromosomechromosome de la première par celui de la seconde.

    La deuxième étape, celle dont il est question ici, met en applicationapplication les acquis de cette transplantation de génome, et visait à reconstruire un génome complet. Couronnée de succès, elle ouvre la voie vers les prochaines expériences, qui consisteront à transplanter un chromosome bactérien entièrement synthétique dans un organisme vivant.

    Vers un être vivant artificiel ?

    Ces recherches constituent-elles une première étape vers la création d'une vie artificielle ? Il faut se garder d'apporter des conclusions hâtives. Le chromosome ainsi construit est la réplique, aussi parfaite que possible, d'un modèle existant déjà. Aboutir à la conception puis à l'assemblage d'un organisme vivant différent des modèles existants, donc créer une espèceespèce nouvelle, relèverait d'une toute autre complexité, et restera encore longtemps du domaine de la science-fiction.

    Eckard Wimmer, professeur de biologie moléculairebiologie moléculaire au Département de GénétiqueGénétique Moléculaire de l'Université de New York, estime, à la lecture de la publication, que l'ADN synthétique recréé par l'équipe de Venter n'était apparemment pas viable, et pense que dans le cas contraire, ce génome aurait déjà pu servir à reconstruire un organisme artificiel. Le chercheur souligne une note figurant au bas de la publication originale, mentionnant que « le vecteur n'était peut-être pas viable pour des fonctions biologiques ».

    Comme on peut s'en douter, les recherches entreprises soulèvent de nombreuses questions d'ordre éthique. Aussi, le docteur Venter et l'équipe du JCVI continuent-ils à collaborer avec les conseillers en bioéthiquebioéthique et en conformité avec les textes législatifs régissant ce domaine particulier et en toute transparencetransparence, y compris envers le public. Un groupe d'experts constitué de membres du JCVI, du Centre for Strategic and International Studies (CSIS) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a été formé sous la responsabilité de la Sloan Fondation afin d'explorer les risques et les avantages de cette technologie émergente afin d'en déterminer les abus éventuels, y compris dans le cadre du bioterrorismebioterrorisme.

    Au terme d'une étude de 20 mois et de plusieurs sessions publiques, le groupe a publié un rapport favorable en octobre 2007, rejoignant l'avis d'un autre groupe bioéthique émis par l'université de Pennsylvanie en 1999 et concluant qu'il n'apparaissait aucun motif éthique défavorable à la poursuite de recherches en ce sens.