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    Buffon fait figure de pionnier pour avoir contribué à développer le concept de temps et la notion de la durée en histoire naturelle. Il s'exprime sans ambiguïté sur ce sujet : « Tout s'opère parce qu'à force de temps tout se rencontre. Le grand ouvrier de la nature c'est le temps, par degrés, par nuances, par succession, il fait tout. »

    Buffon dit encore : « Pour juger de ce qui est arrivé et même de ce qui arrivera, nous n'avons qu'à examiner ce qui arrive. Rien n'autorise à s'écarter des effets qui arrivent tous les jours. La géologiegéologie, comme l'histoire humaine, est la résurrection de passé à la lumière du présent. » Ceci pourrait constituer l'une des premières formulations de l'actualisme.

    À gauche, Lord Kelvin. © William Thomson, <em>Wikimedia commons,</em> DP. À droite, Charles Lyell. © Kelson, <em>Wikimedia commons,</em> DP
    À gauche, Lord Kelvin. © William Thomson, Wikimedia commons, DP. À droite, Charles Lyell. © Kelson, Wikimedia commons, DP

    Darwin et « L'origine des espèces »

    Au XIXe siècle, les géologuesgéologues vont développer considérablement leurs travaux sur le terrain. L'essor de la paléontologiepaléontologie stratigraphique va leur livrer des points de repère (apparitions et extinctions des fossiles), permettant des corrélations au niveau d'un pays, puis d'un continent. Cependant, l'utilisation des fossilesfossiles, eu égard aux théories de l'époque sur l'évolution des êtres vivants, ne va pas sans poser d'importantes et lancinantes interrogations sur le temps nécessaire à cette évolution et, partant, sur la durée des époques distinguées à partir des fossiles. DarwinDarwin (1859) va s'y essayer dans L'origine des espècesespèces et propose l'écoulement du temps de l'ordre de 300 millions d'années depuis la fin du Secondaire. Ce temps, obtenu à partir d'un calcul sur la durée nécessaire au creusement d'une vallée dans le sud-est de l'Angleterre, est trop long, mais l'ordre de grandeur est correct. Cependant, quelques années avant la fin du XIXe siècle, l'âge de la Terre reste encore très indéterminé. Les propositions vont de quelques millions à des centaines de millions d'années.

    Image du site Futura Sciences

    Albert de Lapparent, à la fin du XIXe siècle, écrit qu'un âge entre 90 et 100 millions d'années « semble raisonnable », ce qui sera admis par la plupart des géologues français mais montre clairement le vide méthodologique qui demeure.

    La physique comble le vide méthodologique

    Ce sont les physiciens qui vont le combler. Déjà, en 1820, dans une approche comparable à celle de Buffon (refroidissement par rayonnement d'énergie), mais uniquement fondée sur le calcul, Fourier aboutit lui aussi à un âge de plusieurs dizaines de millions d'années. 

    Lord KelvinKelvin propose en 1864 un âge de 98 millions d'années dans une fourchette comprise entre 20 et 400 Ma. Après beaucoup de révisions il se prononcera en faveur d'un âge de 24 millions d'années (2). Kelvin, en tant que physicien, combat farouchement les principes formulés par Charles Lyell et tout particulièrement la notion de temps très long. En effet, au nom du principe de la conservation de l'énergie et compte tenu de l'existence aisément vérifiable du gradientgradient géothermique, le Terre perd de la chaleurchaleur. Or l'énergie d'un système est finie. L'activité terrestre liée à cette dissipation d'énergie va donc en diminuant au cours du temps. Pour Kelvin, l'idée d'une activité terrestre cyclique est donc fausse sur le plan fondamental. Pour contrer l'attaque de Kelvin, Lyell propose alors qu'il y ait création d'énergie à l'intérieur de la Terre : intuition géniale mais écartée par Kelvin.

    Les horloges atomiques, étalons de temps

    Le saut qualitatif et quantitatif dans la nuit des temps se produit après la découverte de la radioactivitéradioactivité par BecquerelBecquerel, en 1896. Rutherford montre que la désintégration radioactive est calculable en fonction du temps, ce qui en fait une horloge potentielle (3). Avec lui, Holmes établit une échelle chronologique absolue. On estime alors l'âge de la Terre à au moins 3 milliards d'années. C'est le début du XXe siècle. On s'aperçoit au passage que Lyell avait raison et que Kelvin avait tort : l'énergie nécessaire à un renouvellement des processus géologiques est bel et bien produite dans les matériaux terrestres.

    2 - On notera que l'ordre est bien de 400 vers 20 millions d'années et non l'inverse comme cela est mentionné.
    3 - Il est amusant de noter que lorsque Rutherford voulu présenter sa méthode de datation des roches basée sur la désintégration radioactive, Lord Kelvin, farouche opposant, mais personnage respecté, et craint, était présent à cette séance de la Royal Society. Pour éviter des éclats inutiles, Rutherford se livra à un subterfuge : il commença par un long panégyrique de Lord Kelvin, qui finit par s'endormir ; alors Rutherford présenta ses travaux devant une assemblée apaisée.