Pour ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, partons à la rencontre d'une créature mythique : le jackalope. Emmitouflez-vous dans une couverture, baissez les lumières, et laissez-vous porter par son histoire.


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    Cryptozoologie : n.f. (du gr. κρυπτός, « caché », ζῷον, « animal », et λόγος, « étude »). Étude des animaux dont l'existence n'a pas été démontrée scientifiquement, attestée uniquement par des témoignages ou l'interprétation d'indices discrets.

    Voici un cas bien curieux que la cryptozoologie. Parmi la myriademyriade de disciplines pseudoscientifiques qui gangrènent parfois la raison et le bon sens, elle semble être celle qui s'assume le plus pour ce qu'elle est. Une pseudoscience. Bien sûr, il y aura toujours des individus pour tenter de démontrer l'existence du yéti ou du monstre du Loch Ness, mais pour beaucoup, la cryptozoologie est l'occasion de s'adonner à un exercice de biologie spéculative, de combiner savoir et imagination pour donner naissance à toutes sortes de monstres et de chimèreschimères, pour le plaisir.

    Aux origines du jackalope

    Parmi ces cryptides, on trouve le jackalope : un « fearsome critter » (créature terrible) qui hante le folklore nord-américain depuis des décennies. Si vous n'en avez jamais entendu parler, il y a cependant une chance que vous en ayez déjà vu une représentation. Son nom est un mot-valise combinant les termes jackrabbit (lièvre) et antelope (antilope), mais ne le confondez pas avec Lepus alleni ou lièvre antilope, une véritable espèce de léporidé aux larges oreilles occupant les zones désertiques d'Arizona et du Mexique. Non, le jackalope est une tout autre bête. Les taxidermistestaxidermistes aiment à lui donner la forme d'un lièvre doté de bois de cerf.

    Exemple de jackalope empaillé. © Nedra, Flickr
    Exemple de jackalope empaillé. © Nedra, Flickr

    Les représentations de lièvres cornus apparaissent au Moyen Âge, avec entre autres la naissance du wolpertinger en Bavière. Notez que leur origine tient peut-être moins de la confabulation que de véritables observations, car au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle, le terme Lepus cornutus (lièvre cornu) fait son entrée dans les traités scientifiques, mais nous y reviendrons dans un instant. Pour sa part, le jackalope attendra bien des siècles avant de voir le jour, en 1934 (ou 1932, selon les sources) dans la ville de Douglas, Wyoming.

    Détournement de l'aquarelle <em>Le Lièvre</em> (Albrecht Dürer), représentant l'une des apparences que peut prendre le <em>wolpertinger</em>. © Thomas Grunfeld
    Détournement de l'aquarelle Le Lièvre (Albrecht Dürer), représentant l'une des apparences que peut prendre le wolpertinger. © Thomas Grunfeld

    Les jeunes frères Herrick, RalphRalph et Douglas, âgés d'une dizaine d'années, rentrent triomphants de la chasse. Ils ont ramené avec eux un magnifique lièvre qu'ils déposent dans l'atelier familial avant de se précipiter dans la cuisine pour dîner avec leurs parents. À leur retour, la dépouille a glissé de l'établi et gît à présent à côté d'une paire de bois de cerfs. Le regard de Douglas s'illumine alors et le jeune garçon s'exclame : « Montons-le comme ça ! ». Leur travail de taxidermie est si réussi que Roy Ball achète le trophée parodique pour la modique somme de 10 $ et l'expose dans l'entrée de son hôtel LaBonte. Celui-ci connaît un succès retentissant. Douglas devient le « lieu de naissance du jackalope », les frères Herrick font fortune en vendant leurs chimères aux touristes, and the rest, as they say, is history.

    Pas si imaginaire que ça...

    Que penser de ce drôle d'animal qui peuple les imaginaires depuis des siècles ? Si le kraken a son calmar géant et le monstre du Loch Ness son anguille, se pourrait-il que le jackalope possède sa propre explication scientifique ? Par un amusant concours de circonstances, la réponse nous est donnée en 1933, au moment même où les frères Herrick créent notre cryptide. À l'époque, plusieurs chasseurs dans l'Iowa rapportent avoir observé durant leurs expéditions des lapins dotés de bois ou, du moins, dotés d'étranges excroissances brunes au niveau de leur tête.

    Le chercheur Richard Edwin Shope (à qui nous devons la découverte de l’origine virale de la grippe) se rend alors sur place pour enquêter et fait une découverte étonnante. En analysant les protrusions émergeant de la bouche et du cou de ces fascinants spécimens, il conclut que ceux-ci sont affligés de carcinomescarcinomes kératinisants dus à un papillomavirus qui porteporte désormais son nom (SPV pour papillomavirus de Shope). Cette étude constitue l'une des premières descriptions de tumeurstumeurs provoquées par un virus chez un mammifèremammifère ; mais aussi, inopinément, la clé d'un mystère sur le point de naître.

    Exemple de lapin américain atteint du papillomavirus de Shope. © Heather A. York
    Exemple de lapin américain atteint du papillomavirus de Shope. © Heather A. York

    Aujourd'hui, bien peu de gens croient encore à l'existence du jackalope. La petite ville de Douglas continue de vendre des permis de chasse et des trophées aux touristes souhaitant prétendre qu'ils ont traqué le légendaire léporidé. Mais si vous souhaitez le voir au moins une fois de vos propres yeuxyeux, je vous invite à le chercher entre les ammonitesammonites et les bocaux de formol qui reposent sur les étagères de plus d'un cabinet de curiosités.

    Et de onze ! Rendez-vous dans deux semaines pour un nouveau chapitre du <em><a href="https://w-o-nderings.com/cabinet-de-curiosites" target="_blank">Cabinet de curiosités</a></em>. © nosorogua, Adobe Stock, Futura
    Et de onze ! Rendez-vous dans deux semaines pour un nouveau chapitre du Cabinet de curiosités. © nosorogua, Adobe Stock, Futura