L'Arctique a subi des réchauffements énigmatiques depuis un siècle. Ils sont peut-être dus indirectement à des séismes dans l'Arc des Aléoutiennes, selon un éminent géophysicien russe.


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    La Terre est un système dynamique complexe avec des boucles de rétroactionsboucles de rétroactions décrites par des équations différentielles non linéaires et des systèmes d'équationséquations aux dérivées partielles. De nombreux phénomènes chimiques et géophysiques sont donc connectés les uns aux autres, de sorte que pour comprendre et pouvoir prédire le plus précisément possible la géodynamique de notre Planète bleuePlanète bleue il est nécessaire d'identifier ces phénomènes et leurs couplages.

    Nous savons que l'Humanité est très majoritairement responsable du réchauffement climatique mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des influences autres qui entrent partiellement en jeu et des instabilités dans le système Terre que nous ne pouvons négliger, car elles pourraient conduire à un réchauffement bien pire que celui envisagé comme le plus probable dans les modèles des climatologuesclimatologues.

    Ceux-ci se sont par exemple intéressés à l'effet de l'activité solaire sur la physique des nuages pour conclure finalement que son influence sur le réchauffement climatique était clairement négligeable. Mais on se pose encore des questions sur les réserves d'hydrates de méthane naturelles qui se cachent sous l'eau et dans le pergélisol des régions arctiques.


    Une vidéo de l'Ifremer sur le potentiel et les dangers des clathrates. © Ifremer

    Depuis des décennies, les géologuesgéologues et les océanographes connaissent en effet l'existence en bordure des continents de gigantesques zones où s'accumulent ces hydrates de méthane, ou clathratesclathrates, comme l'a expliqué Futura à plusieurs reprises dans différents articles à ce sujet. Il s'agit de glace contenant des quantités non négligeables de méthane, or c'est un puissant gaz à effet de serre : un seul kilogrammekilogramme de CH4 équivaut à 25 kilogrammes de CO2 dans l'atmosphère.

    Si le méthane piégé dans les clathrates est stable dans des conditions de température et de pressionpression données, il suffit, par exemple, que les océans se réchauffent un peu pour qu'il se libère. On comprend aisément, vu le pouvoir d'amplification de l'effet de serre du méthane, que le processus pourrait s'emballer avec libération de plus en plus massive de ce gazgaz, au fur et à mesure que la température de la planète augmenterait. Les prédictions les plus pessimistes du Giec pourraient donc devenir réalité et même être dépassées ou, pire, survenir beaucoup plus tôt.

    Des volcans et des séismes proches de l'Arctique

    En ayant ces considérations à l'esprit, on comprend tout l'intérêt d'une publication dans le journal Geosciences d'un article émanant de Leopold Lobkovsky, membre de l'Académie russe des sciences et chef du Laboratoire de recherche géophysique sur les marges arctiques et continentales de l'océan Mondial, une division du mythique Institut de physiquephysique et de technologie de Moscou (Moscow Institute of Physics and Technology en anglais, et Московский Физико-Технический институт en russe, en abrégé MIPT). Le géophysicien y avance une hypothèse fondée sur des données qui va certainement alimenter les débats sur la stabilité des clathrates et ses implications sur le climatclimat.


    Un extraordinaire voyage dans la péninsule du Kamchatka. © Vadim Makhorov

    Le volcanologuevolcanologue d'origine russe Haroun Tazieff est encore connu de nombreux Français mais peu sans doute savent que la Russie possède une région particulièrement volcanique, la péninsulepéninsule du Kamchatka, à l'extrême est du pays. On y trouve le Kluchevskoy volcanic group (KVG) contenant notamment cinq volcansvolcans actifs : les Klyuchevskoy, Bezymianny, Tolbachik, Shiveluch et le Kizimen.

    Il fait partie de la chaîne volcanique de Kuril-Kamchatka qui est le résultat de la subductionsubduction de la plaque Pacifique plongeant sous la péninsule du Kamchatka. On est en effet précisément sur la fameuse ceinture de feu du Pacifiqueceinture de feu du Pacifique. Un peu plus à l'est du Kamchatka, et toujours sur cette ceinture, on trouve rapidement l'Arc des Aléoutiennes qui se poursuit jusqu'en Alaska avec d'autres régions volcaniques comme la vallée des Dix Mille Fumées.

    La Russie a donc développé elle aussi une communauté de volcanologues et de géophysiciens de la tectonique des plaquestectonique des plaques qui raisonnent comme leurs collègues mondiaux dans le cadre de ce paradigme de la géologiegéologie. Or, Leopold Lobkovsky suggère maintenant un lien entre l'activité sismique importante de l'Arc des Aléoutiennes et de curieux pics dans le réchauffement climatique de l'Arctique qui n'ont pas d'explication dans le cadre des modèles actuels du réchauffement global.

    Variations de l'anomalie de la température de l'air arctique depuis 1900. Les lignes rouges épaisses indiquent deux phases de réchauffement brutal. Données compilées par <em>Arctic and Antarctic Research Institute</em>. © Leopold Lobkovsky, Geosciences
    Variations de l'anomalie de la température de l'air arctique depuis 1900. Les lignes rouges épaisses indiquent deux phases de réchauffement brutal. Données compilées par Arctic and Antarctic Research Institute. © Leopold Lobkovsky, Geosciences

    Du méthane libéré par des ondes de déformation mais pas sismiques

    L'Arctique semble bel et bien avoir subi deux périodes de réchauffement brutal : d'abord dans les années 1920 et 1930, puis à partir de 1980 et jusqu'à ce jour. Or, il semble tout aussi avéré que l'Arc des Aléoutiennes a bien été le site de deux séries de grands tremblements de terretremblements de terre au XXe siècle, chaque série précédant d'environ 15 à 20 ans une brusque élévation de température  sur des régions de l'Arctique, distantes de plusieurs milliers de kilomètres.

    Selon l'Académicien, ce ne sont pas les ondes sismiquesondes sismiques générées à ces occasions qui auraient en fait temporairement déstabilisé les régions arctiques possédant des hydrates de méthane, dont une partie aurait alors été libérée, produisant un effet de serre local. Il s'agirait en fait d'ondes de déformation, de contraintes dans la lithosphèrelithosphère dont les temps de propagation se comptent en décennies à l'échelle de la Terre. Ces ondes sont connues et on peut calculer leurs vitessesvitesses de propagation (environ 100 kilomètres par an) depuis qu'elles ont été considérées par le grand géophysicien Walter M. Elsasser, l'un des pionniers de la théorie de la géodynamo.

    Il n'est pas le seul à suspecter des événements physiques capables de produire des suintements de méthane à partir des clathrates ou du pergélisol. Des chercheurs du Centre for Arctic gas hydrate, environment and climate (Cage) norvégien ont également proposé des effets similaires causés par les marées lunaires.

    Toujours est-il qu'il conclut son article en précisant bien sa pensée : « L'auteur est loin de penser que les changements climatiques observés dans l'Arctique et, bien sûr, le réchauffement climatique global, sont déterminés exclusivement par le mécanisme de déclenchement sismogène décrit ici. Le système climatique de la Terre est complexe et pour sa description, il est tout à fait naturel d'utiliser des modèles couplésmodèles couplés impliquant des facteurs géochimiques, géophysiques et météorologiques, interagissant les uns avec les autres. Le mécanisme du réchauffement climatique de nature géodynamique, discuté dans cet article, est essentiellement un ajout aux modèles existants, et vise principalement à expliquer les raisons du changement brutal observé dans les tendances climatiques de l'Arctique aux XXe et XXIe siècles. »


    Un survol en réalité virtuelle de l'éruption du volcan Tolbachik dans la péninsule du Kamchatka. © AirPano VR