Dans ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, nous oublions la grisaille un instant pour partir à la découverte d'un drôle d'instrument : l'héliographe. Chaussez vos lunettes de soleil, installez-vous confortablement près de votre fenêtre, et commençons.
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Aujourd'hui peut-être plus que jamais, il ne fait aucun doute que le climat et à plus petite échelle la météo jouent un rôle capital dans nos existences. Capables de favoriser la prolifération de la vie ou au contraire de couper court à sa progression, les variations météorologiques ont sûrement fait partie des premiers signaux que les humains ont appris à utiliser pour interpréter et prédire leur environnement. Et au fil de notre évolution, de nouveaux moyens de mesure ont commencé à émerger pour mieux les quantifier. Un demi-millénaire avant l’ère commune, les Grecs anciens traçaient les premières ébauches de ce que l'on appellerait de nos jours la pluviométrie. En -400, les Indiens installaient des récipients destinés à collecter la pluie autour de leurs cultures pour obtenir une meilleure appréciation des conditions et des contraintes auxquelles ils devraient s'adapter.
Les premiers moyens de thermométrie sont imaginés au début de l'ère commune, puis développés entre le XVIe et le XVIIIe siècle pour finalement donner naissance aux thermomètres modernes en 1724. En 1802, le néphologue Luke Howard propose une nomenclature pour classer les nuages. Les épisodes de neige et de grêle sont également scrupuleusement observés, les grêlons mesurés et les résultats reportés. Mais le soleilsoleil, pour sa part, reste récalcitrant à ces examens détaillés. Comment quantifier quotidiennement la duréedurée d'ensoleillement sans garder les yeuxyeux constamment rivés vers un ciel ponctué de nuages ? Comment estimer son intensité sans y perdre sa rétinerétine ? La solution est apportée par un celtiste extravagant répondant au nom de John Francis Campbell, en 1853.
Le Highlander et le soleil
Bien qu'il descende d'une riche famille de propriétaires terrestres, John Campbell connaît une jeunesse bien différente de celle qu'expérimentent habituellement les enfants issus de son milieu social. Son démocrate de père le place en effet sous la tutelle d'un joueur de cornemuse aux côtés duquel il se forme à la culture et à la mentalité des Highlands, un héritage qu'il défendra avec ferveur tout au long de sa vie. Insatiable curieux et grand aventurier, John Campbell apprend à parler huit langues, voyage à travers le monde et explore aussi bien le domaine de la culture que celui des sciences. S'il a acquis sa célébrité en devenant un brillant collectionneur de contes gaéliques (donnant ainsi une chance à la tradition orale d'être préservée à l'écrit), il s'est également intéressé à la géologie et, vous l'aurez deviné, à la météorologie.
Or, en 1853 donc, John Campbell a une idée : enregistrer l’ensoleillement en exploitant l'énergieénergie même du soleil. Son invention est simple - elle consiste en une simple sphère de verre placée dans un bol en boisbois - mais son élégance tient dans son ingéniosité. Lors de son déplacement dans le ciel, le soleil projette ses rayons sur la sphère qui les concentre à la manière d'une loupe. Le faisceau de lumièrelumière intense qui en résulte brûle le bois de manière plus ou moins prononcée selon la quantité d'ensoleillement, traçant ainsi un arc de cercle (un héliogramme) dans le bol à mesure que la journée avance. Placé dans un endroit suffisamment dégagé pour que la lumière ne soit pas obstruée, l'appareil permet ainsi d'enregistrer la durée et la quantité d'ensoleillement au fil des semaines et des mois, calcinant petit à petit l'intérieur du bol.
L'héliographe de Campbell-Stokes
Campbell réalise des centaines de mesures avec son « cadran solaire enregistreur » (répondant aujourd'hui plus volontiers au nom d'héliographehéliographe). Il le teste, le perfectionne, l'emmène en Égypte pour le mettre à l'épreuve du soleil cuisant puis compile ses résultats dans un rapport commandité par la House of Commons en 1857. Malgré le succès de son invention cependant, il est quelque peu frustré par son manque de précision. Un dérivé de son appareil en fonction à l'observatoire de Greenwich emploie pour sa part un bol de métalmétal dans lequel une bande de tissu imperméabilisé est placée puis changée quotidiennement, fournissant ainsi un résultat beaucoup plus clair et détaillé. Campbell, inspiré par cette itération expérimente avec différents types de matériaux, mais c'est un mathématicienmathématicien et physicienphysicien qui donnera à l'héliographe la forme qu'on lui connaît aujourd'hui.
Vous avez d'ailleurs possiblement déjà entendu son nom. On le retrouve, entre autres, dans le nombre de Stokes, la loi de Stokes ou encore les équationséquations de Navier-Stokes. Sir George Gabriel (Stokes) est un autre brillant chercheur, cette fois-ci dans le domaine de la mécanique des fluides, de l'optique et de la géodésiegéodésie. En 1879, il propose sa propre amélioration de l'héliographe de Campbell. La sphère de verre est montée sur un axe en demi-cercle permettant d'ajuster son orientation en fonction de la latitudelatitude de l'utilisateur. Entre la sphère et l'axe, un croissant de métal doté de trois encoches permet d'accueillir les bandes de papier qui serviront à enregistrer le rayonnement solairerayonnement solaire. Chaque encoche permet de placer le papier en fonction de la distance à l'équateuréquateur de l'utilisateur, et trois types de bandes peuvent être utilisés en fonction de la saisonsaison (et donc de la position du soleil dans le ciel), fournissant ainsi un héliogramme d'une grande précision.
L'héliographe brille toujours
Notons tout de même que malgré ces améliorations, l'appareil reste imparfait. À l'aubeaube et au crépusculecrépuscule, les rayons du soleil traversent une plus grande portion de l'atmosphèreatmosphère et se retrouvent tellement atténuésatténués qu'ils ne parviennent pas à laisser leur trace sur le papier. La mesure de l'ensoleillement peut également être grandement dégradée par un ciel très changeant et dans les régions polaires, l'utilité de l'héliographe se retrouve rapidement compromise lorsque la sphère est recouverte d'une épaisse couche de gelgel.
Néanmoins, en dépit de tous ces désavantages (pour lesquels des solutions plus ou moins satisfaisantes ont été trouvées au cours du temps), l'héliographe de Campbell-Stokes reste aujourd'hui très largement utilisé et fournit des données précieuses aux domaines de la météorologie, de l’énergétique ou encore de l’écologie. En 1964, l'Organisation météorologique mondiale (WMO) en fait l'héliographe de référence intérimaire pour tous les pays membres et fournit une liste d'indications permettant de standardiser son utilisation et sa lecture. Aux pôles, l'enregistreur solaire est désormais accompagné de son propre système de chauffage pour lutter contre les ventsvents glacés. Assurons-nous donc de lui garder, nous aussi, une place ensoleillée sur les étagères de notre Cabinet de curiosités.
Chasseurs de Science
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