Dans ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, nous nous aventurons entre rivières et marais à la découverte de la phrygane, un petit insecte aux talents d'orfèvre incomparables. Nous y serons rejoints par un jeune artiste animé par la volonté de sublimer le travail de ces artisanes invisibles. Prêts à plonger ?
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Science et art ont ceci de merveilleux qu'ils parviennent l'un comme l'autre à susciter notre émerveillement et à nous amener à nous questionner sur le monde qui nous entoure. Si certains aimeraient les présenter comme des entités antagonistes, la réalité est que ces deux manières d'appréhender notre environnement sont aussi complémentaires qu'essentielles l'une à l'autre. Or peu d'objets attisent autant la convoitise des collectionneurs de curiosités que ceux qui parviennent à mêler subtilement le savoir-faire de l'artisan à l'objet naturel, la sensibilité humaine à l'intelligenceintelligence animale. Et c'est d'un tel objet que nous allons parler aujourd'hui. Mais tout d'abord, partons à la rencontre d'une artiste dont les talents ne sont plus à démontrer : la phrygane.
La phrygane, artisane sous-marine
Se contenter de dire qu'elle est un trichoptère serait bien injuste. Car si elle possède en effet une paire d'ailes graciles et duveteuses arrivée à l'âge adulte (trikhos « poil » et pteron « aile », en grec), la phrygane est avant tout une créature de l'eau. Habitante des mares, des rivières et des lacs, elle émerge de son œuf sous la surface, où elle passera la majeure partie de sa vie aux stades de larve puis de pupe. Elle est d'ailleurs une favorite des moucheurs (ou pêcheurs à la mouche)), qui lui ont donné de nombreux surnoms selon les régions : cherfaix, porteporte-bois, caset, ver d'eau, échevin, moine, clapotte, traîne-bûche ou encore portefaix.
Au premier abord, la larve de phrygane ne se distingue pas particulièrement de celle d'autres insectes aquatiques. Mesurant tout juste deux à trois centimètres, avec son long corps segmenté, brun, émeraude, jaune, ou gris, mince ou grassouillet, elle pourrait aisément passer inaperçue, à part peut-être au regard de quelques poissons gourmands. Mais cette naïade est une originale, et plutôt que d'aller nue sous l'onde limpide, elle aime à se parer des costumes les plus excentriquesexcentriques. Le bas de son corps est ainsi vêtu d'un long tube de soie qu'elle orne soigneusement d'un assemblage de matériaux. Feuilles, sablesable, bois, coquillescoquilles d'escargots ou petits cailloux, chaque espèceespèce a sa spécialité et rivalise de créativité pour former ces fourreaux d'une finesse incomparable.
De nombreux chercheurs se sont demandé à quoi pouvaient bien servir ces étuis, confectionnés et entretenus avec tant de soin. Et après plus d'un siècle de débat, la réponse est partagée. Pour certaines espèces, le fourreau facilite la respiration en augmentant l'apport d'oxygène aux branchiesbranchies. Pour d’autres, il agit comme une armure minérale contre les attaques des truitestruites et des rascasses. Et dans certains milieux, le délicat écrin de feuilles entourant le corps de l'animal lui permet de se camoufler à l'abri des prédateurs.
Travail avec l'artiste
Dans les années 1980, un jeune artiste du Sud de la France a une idée. Orpailleur amateur, Hubert Duprat a entendu parler de ces petites créatures et se demande ce que donnerait la rencontre des phryganes avec quelques paillettes d'or alluvionnaire. Il fait donc l'acquisition d'un aquarium qu'il remplit d'eau fraîche déchlorée, de paillettes, de pépites et de fils d'or, de perles et de pierres précieusespierres précieuses et y place plusieurs larves. Rapidement, les insectes se mettent au travail et commencent à construire de délicates pièces d'orfèvrerie avec le lapis-lazuli, le rubis et le diamantdiamant qui leur ont été fournis.
Parfois, l'artiste les change de milieux afin de créer des alternances dans les motifs des étuis. D'autres fois, il retire une paillette d'or par ci, une par là afin que celles-ci soient remplacées par des opalesopales. Ainsi, ces petits joaillers conçoivent tantôt des carapaces d'or ceinturées de cabochons de turquoise, tantôt d'épaisses armures de métalmétal flamboyant, ornées de saphirs et de perles. Hubert Duprat va jusqu'à breveter son procédé et, durant des années, agglomère la moindre petite pépite d'information qu'il trouve sur les insectes à travers la littérature, l'art ou l'histoire en une gigantesque « trichoptérothèque ». Son livre, Le Miroir du Trichoptère, paru en 2020 est l'aboutissement de ce travail de collecte, le fourreau dans lequel l'artiste compile tout ce que le courant lui a apporté au cours de cette expérience.
Sublimées par l'or et le minéralminéral précieux, ou dans leur forme la plus pure, les fourreaux des phryganes démontrent que le monde sauvage possède ses propres artisans, et que la beauté est partout pour peu que l'on prenne le temps de regarder ce qu'il se passe au fond de nos cours d'eau, entre les branches des buissons, et sous les souches d'arbresarbres fourmillantes de vie. Quant aux œuvres issus de la collaboration entre Hubert Duprat et les phryganes, mêlant l'objet scientifique et l'artistique, il va sans dire que nous devions forcément leur trouver une place au sein de notre Cabinet de curiosités.