Selon un collectif de chercheurs, le programme de recherche de la Darpa visant à inoculer des gènes de résistance à des plantes via des insectes pourrait constituer une future arme biologique très puissante. Les défenseurs du projet, eux, assurent que leurs recherches ont un but pacifique et visent au contraire à assurer la sécurité alimentaire nationale.

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    L'armée américaine est en train de développer une future arme biologique d'une efficacité redoutable. Voilà en substance le cri d'alarme lancé par un collectif de scientifiques et de juristes dans le magazine Science le 4 octobre dernier. Dans leur viseur : le programme Insect Allies développé par la Darpa (l'agence de recherche du département américain de la défense), qui envisage d'utiliser des insectes porteurs de virus pour modifier les caractéristiques génétiques de plantes.

    Selon les signataires, qui ont également lancé un site Internet, ce procédé pourrait être détourné à des fins offensives pour détruire des cultures, par exemple en envoyant sur des champs sains un virus décimant une plante ciblée ou entraînant une stérilité des graines, ce qui pourrait engendrer une pénurie alimentaire à grande échelle. Les chercheurs vont même plus loin en affirmant que le programme contrevient à la convention sur les armes biologiques, ratifié en 1975 par 22 États, et qui interdit le développement ou le stockage d'armes biologiques.

    L’HEGAA (<em>Horizontal Environmental Genetic Alteration Agents</em>) consiste à utiliser des virus génétiquement modifiés pour modifier les chromosomes d’une espèce cible, animale ou végétale. © Derek Caetano-Anollés

    L’HEGAA (Horizontal Environmental Genetic Alteration Agents) consiste à utiliser des virus génétiquement modifiés pour modifier les chromosomes d’une espèce cible, animale ou végétale. © Derek Caetano-Anollés

    Adapter les plantes à des circonstances exceptionnelles

    Créé en 2017 et financé à hauteur de 27 millions de dollars (23 millions d'euros), Insect Allies travaille sur l'utilisation d'insectes porteurs de virus génétiquement modifiés capables d'infecter une plante pour altérer un ou plusieurs de ses gènesgènes, une technique appelée Horizontal Environmental Genetic Alteration Agents (HEGAA). Contrairement aux OGM, il serait ainsi possible de changer les caractéristiques d'une plante en cours de saison pour la rendre résistante à une sécheresse passagère ou à une maladie.

    Mais selon les cinq signataires de l'article de Science, parmi lesquels Guy Reeves, de l'Institut Max PlanckMax Planck (Allemagne), et Christophe Boëte, chercheur à l'Institut des sciences de l'évolution de Montpellier, il existe un risque de contaminationcontamination incontrôlée et il serait bien plus facile d'utiliser d'autres techniques, comme la vaporisationvaporisation sur les champs d'ARNi (ARNARN interférent).

    La Darpa veut-elle transformer les insectes en armes de guerre ? © Dylan Egon

    La Darpa veut-elle transformer les insectes en armes de guerre ? © Dylan Egon

    Des outils « futuristes » mais « maîtrisés »

    Des critiques balayées par Blake Bextine, le responsable du programme Insect Allies à la Darpa. « Nos recherches sont menées en toute transparencetransparence, respectent l'éthique et sont parfaitement régulées, plaide-t-il. Le programme vise à défendre les États-Unis contre une pénurie alimentaire majeure susceptible de menacer la sécurité nationale ». Selon lui, cette technique est beaucoup plus sûre et ciblée que les alternatives, comme la vaporisation ou les modifications par CRIPSR. « Ces techniques sont chères, imprécises, inefficaces ou dommageables pour l'environnement », soutient Blake Bextine.

    De plus, la modification traditionnelle par sélection génétiquegénétique prend des années et n'est pas adaptée à une situation de crise. Avec les virus, le génomegénome de la plante n'est pas modifié de façon permanente. « Elle retourne à son état naturel la saison d'après, rassure le chercheur, qui se défend de jouer aux apprentis sorciers. Nous développons peut-être des outils futuristes, mais les mécanismes biologiques sous-jacents sont parfaitement maîtrisés ». Le programme est complètement ouvert et sous la supervision du Département de l'Agriculture, de l'Agence de Protection de l'environnement (EPA) et de la FDA (Food and Drug AdministrationFood and Drug Administration), qui régule les produits alimentaires et sanitaires, indique-t-il. Enfin, il oblige la mise en place de trois systèmes d'urgence différents où le virus pourrait rapidement être désactivé.

    Les premiers essais d’<em>Insect Allies</em> ont été menés avec succès sur du maïs. © K. Thalhofer - Fotolia.com

    Les premiers essais d’Insect Allies ont été menés avec succès sur du maïs. © K. Thalhofer - Fotolia.com

    Manipulations génétiques : avancée scientifique ou menace pour l’humanité ?

    Cette future arme biologique est encore loin d'être au point. La première démonstration a consisté à inoculer un gène de fluorescence dans un plant de maïsmaïs grâce à un puceronpuceron porteur de virus. Le maïs est effectivement devenu fluorescent. L'utilisation de la génétique apparaît en tout cas de plus en plus comme un recours face aux problèmes environnementaux ou sanitaires.

    En septembre, des moustiques génétiquement modifiés pour rendre les femelles stériles ont été relâchés au Burkina Faso afin de stopper la propagation de la malariamalaria. En Australie, le gouvernement vise à éradiquer les carpescarpes qui menacent l'écosystèmeécosystème en diffusant un virus de l'herpèsherpès modifié dans les rivières. Des technologies qui suscitent autant d'espoirs que de controverses.