L’opérateur de la centrale de Fukushima Daiichi a prévu l’achèvement du démantèlement des réacteurs endommagés d’ici 2051. Un objectif extrêmement ambitieux au vu des défis techniques considérables. Patrice François, expert à l’Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire (IRSN), nous relate les opérations en cours et les problèmes qui restent à résoudre.


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    Le 11 mars 2011, un puissant séisme de magnitudemagnitude 9 secouait le sous-sol marin au large du japon, entraînant un tsunami qui allait balayer la côte est du Japon et entraîner la mort de plus de 23.500 personnes. Une catastrophe qui a aussi occasionné l’accident nucléaire de la centrale nucléaire de Fukushima, dont trois réacteurs ont explosé, répandant dans l'airair de la vapeur radioactive et contaminant la région pour plusieurs années.

    Dix ans après, et malgré les travaux titanesques entrepris par l'opérateur Tepco pour procéder au nettoyage et au démantèlement des réacteurs endommagés, on est encore « très près de la ligne de départ », a avoué le gouverneur de la préfecture de Fukushima lors d'un point presse le 17 février dernier. « Jusqu'à 10.000 personnes travaillent quotidiennement sur le site », témoigne Patrice François, expert sûreté et démantèlement à l'IRSN.

    1,2 million de mètre cubes d’eau contaminée sont stockés dans des réservoirs de 1.000 m<sup>3</sup> chacun dans la centrale de Fukushima Daiichi. © Susanna Loof, IAEA
    1,2 million de mètre cubes d’eau contaminée sont stockés dans des réservoirs de 1.000 m3 chacun dans la centrale de Fukushima Daiichi. © Susanna Loof, IAEA

    Étape 1 : récupérer les combustibles usagés dans les piscines

    Cette étape, qui a débuté en décembre 2011, devrait s'achever en 2031. Elle consiste à retirer les débris issus de l'explosion et à rétablir les moyens de manutention. « Normalement, les combustiblescombustibles usagés des piscines de chaque réacteur sont transférés au bout de 3 à 6 mois dans une piscine centralisée », indique Patrice François. Le problème, c'est que cette piscine était déjà à 93 % de sa capacité au moment de l'accidentaccident. Du coup, il a fallu construire un site supplémentaire d'entreposage à sec pour libérer de la place. Une fois retiré de la piscine centrale, le combustible est donc entreposé dans des modules en bétonbéton situés à l'intérieur du site. L'emplacement est conçu pour accueillir 50 « colis » contenant entre 37 et 52 éléments combustibles. Ses capacités devront sans doute être augmentées, a reconnu Tepco.

    Étape 2 : stabiliser les réacteurs

    Les réacteurs doivent être refroidis pour maintenir une température inférieure à 20 °C. « Les réacteurs 1, 2 et 3 sont stabilisés, mais il faut pour cela injecter continuellement de l'eau douce à raison de 150 m3 par jour, explique Patrice François. Du fait de l'inétanchéité des cuves et des enceintes de confinement, cette eau douce s'écoule dans les sous-sols des bâtiments où elle se mélange aux infiltrations d'eaux souterraines et aux résidus d'eau mer qui se sont accumulés dans les sous-sols des bâtiments réacteurs. En principe, cela fonctionne en circuit fermé, mais on récupère quand même de l'eau excédentaire, que l'on stocke dans d'immenses réservoirs ». Ainsi, 1,2 million de mètres cubes d'eau contaminées sont actuellement stockés sur site, et on est en train d'atteindre la saturation : les capacités sont de 1,3 million de mètres cubes et il n'est guère possible de les augmenter.
     

    Aperçu des travaux entrepris pour retirer le combustible usé du réacteur n° 3. Ce dernier doit être transféré dans une piscine centralisée, pour être ensuite définitivement stocké à sec. Le retrait des 566 barres de combustible a été achevé en février 2021, avec 4 ans de retard sur l’échéancier prévu. © Tepco, YouTube

    Étape 3 : gérer les eaux contaminées

    Comme on l'a vu, les capacités de stockage des eaux contaminées devraient atteindre leur limite d'ici l'été 2022. « À ce stade, il existe deux possibilités réalisables techniquement : construire une unité d'évaporation pour évacuer l'eau ou la déverser dans la mer après traitement », poursuit notre expert. Dans les deux cas, l'opération va rejeter du tritium, soit dans l'atmosphère, soit dans l'eau de mer. « Théoriquement, le rejet dans l'eau de mer est préférable car on maîtrise mieux les flux de courants marins », indique Patrice François. Lorsque la centrale était en activité, la valeur limite autorisée des rejets en tritium était fixée à 22 térabecquerels par an. « Mais, si on veut respecter ce seuil, l'évacuation de l'eau prendra 20 à 30 ans », calcule-t-il. Tepco souhaiterait donc augmenter cette limite, mais aucune autorisation n'a pour l'instant été délivrée car cette demande se heurte à une forte opposition des pêcheurs et des pays voisins (Chine, Corée...) qui craignent l'impact des eaux contaminées sur la faunefaune et la flore marine.

    Le saviez-vous ?

    Le déroulement de la catastrophe

    1. Le tremblement de terre coupe les lignes électriques de la centrale. Les générateurs d’urgence sont activés mais sont inondés par le tsunami 50 minutes plus tard.

    2. En l’absence d’alimentation électrique, les pompes qui font circuler l'eau de refroidissement tombent en panne.

    3. Les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 surchauffent, puis entrent en fusion.

    4. La vapeur et l’hydrogène s’accumulent dans les enceintes des réacteurs. Les bâtiments des réacteurs 1, 3 et 4 explosent laissant échapper de la vapeur radioactive dans l’atmosphère. La chaleur est évacuée dans le réacteur 2.

    Étape 4 : retirer les cœurs fondus

    Lors de la fusionfusion des réacteurs, des débris métalliques se sont mélangés au combustible usé pour former une sorte de magmamagma appelé « coriumcorium ». Ce corium, hautement radioactif, ne peut évidemment pas être récupéré par des moyens humains. « Cette partie est la plus délicate, car il y a beaucoup d'incertitudes quant à l'état exact des installations, insiste Patrice François. On ne sait pas exactement où est localisé le corium, son état chimique et physiquephysique, quelle action l'eau de mer a pu avoir dessus, etc. ». En janvier 2018, Tepco a réussi à introduire un robotrobot dans le réacteur n° 2 et d'autres explorations ont été menées en 2019. L'an prochain, il testera un bras mécanique télécommandé pour récupérer de petites quantités de débris de combustible qui se trouveraient au fond du réacteur de la tranche 2. « En l'absence de connaissances précises, l'échéancier de cette étape est encore très flou », reconnaît Patrice François.
     

    Le robot envoyé en 2019 au cœur du réacteur n° 2 a permis d’explorer l’état des installations. Il a pu soulever cinq morceaux de corium mesurant entre 1 et 8 cm. On voit au début de la vidéo des gouttes d’eau contaminée tomber, ainsi que les traces du rayonnement dues à la radioactivité. © Tepco, YouTube

    Étape 5 : démanteler les réacteurs

    Cette ultime étape conduira au démantèlement complet des installations, avec une chance fixée à 2051. « Cela peut sembler beaucoup, mais à Tchernobyl, on s'est donné 100 ans [la duréedurée de vie de l’enceinte de confinement] pour démanteler un seul réacteur. À Fukushima, on a 3 réacteurs à démanteler en 40 ans ! » souligne Patrice François. Mais il faut bien l'avouer, on en est encore seulement au stade des études de faisabilité sur les différents moyens à mettre en œuvre.

    40 ans et 62 milliards d’euros

    Au total, il faudra encore 30 ans et une somme faramineuse de 8.000 milliards de yens (62 milliards d'euros) pour retirer le combustible nucléaire intact, les débris de combustible fondu resolidifié, démonter les réacteurs et éliminer l'eau contaminée. Mais, selon le Japan Center for Economic Research, la somme pourrait dépasser les 400 milliards d'euros, sans compter l'indemnisation des victimes et la décontamination. Les défis techniques sont considérables, mais le calendrier, très ambitieux, est tenable, affirme Patrice François. Fukushima a, en tous les cas, servi de leçon dans le monde entier pour établir des standards de sécurité encore plus rigoureux. « Mais il serait dangereux de croire que le risque zéro est possible », conclut OlivierOlivier Dubois, adjoint au directeur de l'expertise de sûreté de l'IRSN. « Fukushima nous oblige à imaginer l'inimaginable et à nous y préparer », avait ainsi prévenu, en 2013, Jacques Repussard, le président de l'IRSN.