Sais-tu quel animal bavard aux plumes grises est le maestro des vocalises ? Aujourd’hui, on va parler du perroquet gris du Gabon, dans Bêtes de Science. 


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    Nous sommes au Cameroun, au sein du parc national de Lobéké, qui se trouve dans le bassin du fleuve Congo. La forêt tropicale humide où nous nous trouvons s'étend sur plus de huit pays différents, dans le creux du continent africain. C'est la deuxième plus grande forêt sur Terre, après la forêt amazonienne. Le nombre d'espèces de plantes et d'animaux présentes ici est absolument vertigineux ! De nombreux touristes affluent chaque année pour tenter d'apercevoir les léopards, les éléphants ou même les gorilles, qui prospèrent au sein des barrières protégées du parc. Mais nous, ce sont des animaux moins imposants qui nous ont amenés ici. Et pour espérer les voir, il faut.. lever la tête et tendre l'oreille !

    Cet article est une retranscription du podcast Bêtes de Science, à découvrir sur le site de Futura et toutes les bonnes plateformes d'écoutes. © Futura

    Un perroquet jacasseur originaire d'Afrique

    Tu entends ? Ils sont tout là-haut, sur les branches les plus élevées, à plusieurs mètres au-dessus de nos têtes. Ces jacasseurs sont des perroquets gris du Gabon ! On les appelle encore parfois, perroquets jaco, mais c'est un nom un peu daté maintenant. Et comme souvent, en forêt, ils sont très durs à voir car ils vivent perchés très haut, et cachés des prédateurs qui pourraient vouloir les croquer au sol. On voit les feuilles qui bougent quand ils grignotent des fruits ou des graines, mais guère plus... Allons près du petit point d'eau qui est là-bas et cachons-nous. Avec un peu de chance, ils descendront y boire ! Gagné ! Tu les vois bien ? Une dizaine d'oiseaux s'est posée près de la petite mare, et alors que le plus courageux trempe son becbec dans l'eau pour boire, suivi d'un autre, le reste du groupe semble sur ses gardes et fait le guet à côté.

    Psittacus erithacus : voici son nom latin. Psittacus veut dire perroquet, et erithacus évoque le nom d'un oiseauoiseau qui imite très bien les sons, dans les écrits antiques grecs. On retrouve ce mot dans le nom du rouge-gorge, par exemple, qui a pour nom latin Erithacus rubeculaErithacus rubecula ! On imagine toujours les perroquets très grands et colorés, comme les aras qui habitent la forêt amazonienne, mais ce n'est pas le cas de nos perroquets gris africains. Ils font à peu près la taille d'un petit pigeon, en plus trapu. Leur plumage est tout gris, comme leur nom l'indique, mais ils sont dotés de plumes d'un rouge éclatant au niveau de la queue. Leur bec épais, noir et crochu, est surmonté d'une zone dépourvue de plumes, toute blanche, qui fait ressortir leurs yeuxyeux clairs. D'ailleurs, tu vois comment ils guettent et penchent la tête dans des positions étranges, pour observer tout autour d'eux ? Les yeux des perroquets sont positionnés sur les côtés de leur tête, pas comme nous, qui les avons sur l'avant de notre visage. Cela leur permet de surveiller les alentours, car ce sont des oiseaux craintifs, qui sont à la merci de nombreux prédateurs. C'est aussi pour ça qu'ils sont si difficiles à observer !

    Un animal social menacé par son succès

    Nous avons de la chance ! Regarde ces deux oiseaux, un peu à l'écart. Tu ne trouves pas qu'ils sont un peu différents des autres ? Eh oui, leurs yeux sont noirs ! Ce sont des bébés. Enfin de grands bébés puisqu'ils volent et possèdent toutes leurs plumes. Mais ils restent longtemps avec leurs parents. Les perroquets gris du Gabon, comme tous les oiseaux de cette grande famille, sont très sociaux ! Ils vivent longtemps et forment le plus souvent des couples fidèles pour toute la vie. Les petits restent plusieurs mois avec leurs parents. Ils peuvent même parfois les aider à élever leurs petits frères et sœurs qui naîtront l'année suivante. Plusieurs couples et familles se regroupent en grand nombre pour boire, comme ici, manger ou dormir. Les groupes se séparent et se reforment au fil de la journée. On pense que cette façon de vivre en groupes, qui se font et se défont, jouerait un rôle important dans le développement de leur intelligenceintelligence. Vivre ainsi dans une société dynamique, qui bouge tout le temps, nécessite de se souvenir de ses compagnons et des relations qui les lient entre eux.

    Cette grande intelligence joue malheureusement en défaveur de nos perroquets, car elle les rend très attractifs à nos yeux. Aujourd'hui, les perroquets gris du Gabon risquent de disparaître dans leur milieu naturel, car ils sont massivement capturés pour être vendus comme animaux de compagnie. Les braconniers, très pauvres, peuvent gagner entre 10 et 15 dollars américains pour un seul oiseau, ce qui représente une somme importante pour eux. Et comme beaucoup de gens sont demandeurs, eh bien, les perroquets deviennent des cibles de choix. C'est aussi pour ça que nous avons croisé des rangers à l'accueil du parc. Ils patrouillent et surveillent les abords de la réserve. Mais, malgré les efforts de protection, les gris du Gabon sont déjà déclarés éteints dans certains pays où ils étaient présents, comme au Togo, au Bénin et au Ghana. Depuis 2016, ils sont classés en danger par l'Union internationale pour la Conservation de la nature, l'IUCNIUCN, et il est interdit de vendre ou d'acheter des oiseaux issus du milieu naturel, car ils sont inscrits sur l'annexe de la Cites l'organisme qui régule le commerce international des espèces sauvages. Mais trêve de noms compliqués et revenons-en à notre psittacidé. Qu'est-ce qui distingue le gris du Gabon des autres perroquets et le place tout en haut du podium des intelligences animales ?

    Irene Pepperberg et son oiseau superstar

    Tous les perroquets sont des animaux futés, inventifs, qui vivent longtemps et apprennent vite. Leur vie en société leur permet aussi d'espionner et de piquer des idées ou des techniques aux autres. Mais ce qui a placé les gris du Gabon sous la lumièrelumière des projecteursprojecteurs est leur incroyable capacité à copier les sons et à imiter les voix humaines. Beaucoup d'oiseaux le peuvent, et pas que des perroquets. Les mainates, l'oiseau-lyre ou les corbeaux en sont aussi capables. Mais le gris du Gabon est probablement l'un des plus doués. Beaucoup de propriétaires d'oiseaux veulent ce perroquet spécifiquement dans le but de le faire parler. À la fin des années 1970, Irene Pepperberg, une chercheuse américaine diplômée en chimiechimie, change complètement de carrière. Les études sur l'apprentissage du langage chez les chimpanzéschimpanzés sont alors à la mode, et, convaincue que les oiseaux sont moins bêtes que leur petit cerveaucerveau ne le laisserait penser, elle décide de mener ses propres expériences. Elle achète un perroquet, qu'elle appelle Alex, pour Animal Language Experiment ou Expérience sur le Langage Animal, qui va devenir un véritable compagnon pour elle.

    Pendant 30 ans, elle mène de nombreuses expériences afin de lui faire apprendre des mots bien précis : des formes, des couleurscouleurs, des matièresmatières, des chiffres, pour ensuite l'interroger, et conclure s'il est capable, ou non, de réfléchir par lui-même et de répondre à ses questions. La première étape, celle de lui faire apprendre les mots et leur signification, a pris plusieurs années, car il faut montrer au perroquet l'objet ou la quantité dont on veut lui apprendre le nom, et s'assurer qu'il ne se trompe pas ou ne le confonde pas avec autre chose. Ensuite, pour tester sa compréhension, la chercheuse et ses étudiants présentaient un plateau avec plusieurs objets dessus, et interrogeaient Alex. Combien y a-t-il d'objets en boisbois avec quatre côtés ? De quelle couleur est l'objet en laine ? Quel objet est violet ? En variant les questions, et en répétant l'exercice des centaines de fois, Alex a démontré qu'il ne faisait pas que répéter ou imiter. Il était capable de répondre correctement à l'exercice !

    Après des années d'entraînement intensif, il pouvait nommer 50 objets différents, 7 couleurs, 5 formes, et les nombres jusqu'à 6. Mais Alex ne se contentait pas de dire un seul mot à la fois : il pouvait carrément formuler des phrases courtes comme « je veux le cube », ou « je veux aller sur la chaise » pour obtenir ce qu'il souhaitait. Mieux encore, il pouvait combiner tous ces mots pour désigner jusqu'à 100 objets différents. Il a même été capable de comprendre les concepts d'« identique » et de « différent », tout comme de « plus grand » ou de « plus petit », et même celui « d'aucun » quand l'objet ou ses caractéristiques étaient absents du plateau. Encore plus impressionnant : il pouvait additionner (jusqu'à 6 objets maximum). Si on lui présentait des noixnoix cachées sous des gobelets plastiquesplastiques opaques et qu'on lui demandait le total de noix sous ces deux gobelets, il donnait le bon résultat. Et il comprenait même le concept du zéro, une notion plutôt compliquée à se représenter.

    Tous les perroquets ne sont pas égaux

    Mais, même si les performances incroyables d'Alex ont bouleversé notre façon de percevoir les oiseaux et leur intelligence, il faut ajouter... un peu de nuance. Déjà, un seul individu a été étudié : Alex. Et pour valider un savoir scientifique, il faut le répéter plein de fois chez plein d'animaux différents. Irene Pepperberg l'admet elle-même : Griffin et Athéna, les autres perroquets qu'elle étudie toujours aujourd'hui, ne réussissent pas aussi bien qu'Alex. Et puis, la manière dont Alex a vécu, seul et entouré d'humains à son service, ne représente pas forcément la façon dont vivent habituellement les gris du Gabon. Aussi, si Alex parlait si bien, c'est parce qu'il a noué une relation intense et unique avec Irene. Pendant 15 ans, il vivait seul avec elle, ce qui, comme je te l'ai dit au début, est plutôt inhabituel pour cet oiseau, qui vit en couple ou en famille dans son milieu naturel. L'équipe du laboratoire de Nanterre, a essayé pendant plusieurs années de reproduire les résultats obtenus par Alex, avec plusieurs perroquets mais avec un succès disons... plus limité. Un de leurs perroquets, Léo, ne parlait même pas du tout ! Pas. Un. Mot ! Il faut dire que, quand ils sont à plusieurs, les oiseaux parlent en général beaucoup moins. Si les perroquets nous imitent, c'est pour discuter avec nous, mais si on les laisse avec d'autres oiseaux, ils communiquent entre eux, et n'ont pas besoin de nous faire la causette !

    Prendre un perroquet comme animal de compagnie n'est donc pas du tout une bonne idée, si ton objectif est de le faire parler. Déjà, il y a des risques qu'il n'en ait pas envie et qu'il ne le fasse jamais, parce que ça ne correspond pas à sa personnalité. Et puis, pour être pleinement heureux, il lui faut des copains, des pièces entières dédiées pour qu'il puisse voler et beaucoup d'attention. Un perroquet, ça crie aussi beaucoup , alors il faut être patient et supporter le bruit... Et comme il se sert beaucoup de son bec pour explorer le monde qui l'entoure, attends-toi à ce qu'il mâchouille tout ce qu'il trouve, même tes affaires favorites. Bref, même si tu en as très envie, rappelle-toi qu'avoir un perroquet chez soi demande beaucoup de travail et de sacrifices. Et que c'est un engagement d'au moins 60 ans ! Autant dire qu'il faut vraiment bien y réfléchir avant de se lancer.

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