Sais-tu quel animal nocturne et discret est capable de courir sur les murs, mieux que Spiderman ? Aujourd’hui, on va parler de la tarente de Maurétanie dans Bêtes de Science.
 


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    Après les pluies de ce début de mois d'avril, la chaleurchaleur s'installe un peu plus chaque jour. Ici, à Toulouse, la ville a déjà adopté une allure estivale. Il fait régulièrement plus de 20 °C en journée, les fleurs s'épanouissent à tous les coins de rue et les passants et passantes arborent des vêtements légers plutôt que les manteaux d'hiver, déjà relégués au placardplacard jusqu'à la prochaine saison froide.

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    Une chasseresse nocturne et urbaine 

    Le soir venu, les rues sont animées par les rires et les cliquetis des verres en terrasseterrasse. Chez les autres animaux, on s'active aussi. Les insectes qui se faisaient discrets jusqu'alors, s'exposent à nouveau et profitent de la chaleur revenue. Notre héroïne du jour, d'ailleurs, en raffole de cette chaleur. Et avec le retour des soirées aux températures douces, il y a de bonnes chances pour qu'on puisse la croiser en pleine partie de chasse. Rendez-vous à 22 h, impasse de la Colombette. C'est en plein centre, non loin de la station de métro Jean Jaurès, où règnent donc brique et bitumebitume. Mais ici, tout est paisible. De grands pans de végétation s'accrochent à la brique rouge toulousaine, et encadrent la terrasse accueillante du café scientifique logé au fond de l'impasse.

    L'Eurêkafé, café scientifique situé impasse de la Colombette à Toulouse. © Eurêkafé
    L'Eurêkafé, café scientifique situé impasse de la Colombette à Toulouse. © Eurêkafé

    Et puis, il y a une lampe halogènehalogène, qui de sa lumièrelumière douce illumine la petite cour intérieure, désormais déserte. Les moucherons obnubilés lui tournent autour, parfois rejoints par quelques papillons de nuitpapillons de nuit plus imposants. Un festin s'annonce pour... Mais oui ! Là voilà ! Notre chasseresse est de sortie. Immobile, le ventre collé au murmur, elle est tout près du cercle lumineux de la lampe. Tu la vois ? C'est un petit lézard de la famille des geckos, appelé tarente de Maurétanie, de son nom latin Tarentola mauritanica. Son nom évoque son milieu d'origine, la Maurétanie, un ancien royaume berbère constitué de plusieurs tribus humaines, dont le siège se trouvait au nord du Maroc actuel. Quant au mot tarente, il est plus mystérieux. Certains pensent qu'il évoque un certain type d'araignéesaraignées, nommées tarentules, dont la morsuremorsure était considérée venimeusevenimeuse, tout comme celle de notre gecko. Sauf que c'est faux ! Si les tarentes représentent bel et bien un danger pour les insectes et les araignées dont elles se nourrissent, elles ne produisent pas de venin !

    Un gecko trapu et rugueux !

    L'individu qui nous fait l'honneur de sa présence ce soir est déjà de belle taille. Une douzaine de centimètres à vue de neznez, du bout du museau au bout de la queue. D'ailleurs, sa queue est aussi longue que son corps ! Les plus gros individus mesurent jusqu'à 15 cm, alors que les bébés tout juste sortis de l'œuf font moins d'un centimètre de long, trop mignons ! En revanche, j'ignore si c'est un mâle ou une femelle... Les différences sont minimes, on voit parfois une petite bosse à la base de la queue des mâles, mais à cette distance, impossible de le savoir !

    Une tarente de Maurétanie. Un reptile ressemblant à un lézard, mais dont les yeux dorés sont plus larges et fendus d'une pupille verticale en zigzag. Sa peau ornée de petites crêtes est couleur sable. © François Mignard
    Une tarente de Maurétanie. Un reptile ressemblant à un lézard, mais dont les yeux dorés sont plus larges et fendus d'une pupille verticale en zigzag. Sa peau ornée de petites crêtes est couleur sable. © François Mignard

    Contrairement au lézard des murailles au corps et au nez allongés, et recouvert d'écailles lisses, notre tarente est trapue et arbore une allure rugueuse de petit chevalier en armure. En anglais, on la surnomme parfois « gecko crocodilecrocodile » Ça en impose ! Son corps est recouvert de petits picots mous, et sous sa peau, des plaques dures appelées ostéodermes renforcent ses protections, un peu comme chez son cousin géant, le dragon de Komodo, dont je t'ai déjà parlé dans un épisode précédent. Quant à sa couleurcouleur, elle lui permet de se camoufler dans les roches et sur les murs où elle vadrouille. On trouve donc des tarentes dont la teinte varie du beige clair au brun foncé, presque noir, avec ou sans tache. Elle peut aussi ajuster sa couleur selon la chaleur : claire la nuit, elle adopte une couleur plus sombre la journée, pour mieux capter les rayons du soleilsoleil. Comme elle dépend de la température extérieure, elle a besoin de bien se réchauffer pour être active !

    Doigts adhésifs et queue détachable 

    Notre chasseresse écailleuseécailleuse a d'autres particularités. Regarde ses yeux. En pleine lumière, comme c'est le cas ce soir autour de cette lampe, sa pupille, la partie noire de son œilœil, se réduit en une fente verticale très fine ! Dans l'obscurité, au contraire, elle s'élargit et s'arrondit, comme celle des chats pour capter un maximum de lumière. Et puis, si tu la fixe pendant plusieurs longues secondes, tu verras qu'elle ne cligne pas des yeux ! Elle n'a pas de paupière mobilemobile, comme nous ! Si elle a besoin de s'humidifier les yeux, hop, un coup de langue et c'est réglé ! Pratique !

    Je ne sais pas si tu vois bien, mais jette un oeil à la queue de notre tarente. Tu ne remarques rien ? À peu près au milieu de sa longueur, les picots disparaissent ! La deuxième partie de sa queue, jusqu'à la pointe, est lisse ! Cela veut dire qu'elle a déjà perdu sa queue, et que celle que nous voyons aujourd'hui a repoussé ! Quand elles sont poursuivies, et en cas de fort stressstress, les tarentes peuvent abandonner un morceau de leur queue derrière elles. C'est un prix élevé à payer, mais cela leur permet de se sauver en distrayant les prédateurs. Car la queue continue de bouger quelque temps, même après s'être détachée ! Mais heureusement, au fil de leurs changements de peau successifs, la queue se reforme. Trop fortes !

    Les tarentes peuvent vivre jusqu'à 10 ans, si elles ne se font pas croquer par des prédateurs, notamment des chats domestiques. Sacrifier un petit morceau de queue vaut bien le coup, pour atteindre ces âges avancés. Et, tiens toi bien, ce n'est pas leur seul superpouvoir ! Tu vois comme notre tarente tient bien sur la paroi verticale, sans aucun effort apparent ? Eh bien, on ne peut pas le voir d'ici, mais elle possède sous chacun de ses doigts, des lamelles de peau adhésives, qui agissent comme des ventouses et qui lui permettent de grimper, vagabonder et courir à toute vitessevitesse sur les murs. Mieux que Spiderman ! 

    Les geckos sont équipés sous leurs pattes de lamelles adhésives, qui leur permet de grimper aux murs. © Ali Dhinojwala, University of Akron
    Les geckos sont équipés sous leurs pattes de lamelles adhésives, qui leur permet de grimper aux murs. © Ali Dhinojwala, University of Akron

    Les tarentes ont leurs ennemis dans le nez !

    Oh là... nous ne sommes plus seuls. Ce drôle de grognement, c'est quand les tarentes se disputent. Comme elles sont très territoriales, elles n'aiment pas trop croiser leurs voisines, qu'elles... guident vers la sortie. Et regarde qui voilà. Une deuxième tarente ! Notre héroïne l'a vue avant nous. Ou plutôt sentie. Regarde comme elle sort rapidement la langue de sa bouche : elle hume l'airair et peut ainsi identifier l'odeur de l'intruse. Des études récentes, chez un autre gecko, le gecko tokay, ont démontré que les femelles gecko sont capables de différencier leur propre odeur de celle d'un individu inconnu. Elles tirent davantage la langue pour sentir quand c'est une odeur d'un congénère qu'elles ne connaissent pas. Ça n'a l'air de rien comme ça, mais ce résultat suggère que les geckos savent différencier leur corps de celui des autres, qu'ils se reconnaissent, et donc qu'ils ont conscience d'eux-même. Pas mal pour des petits lézards ! La deuxième tarente, plus petite, s'est rapprochée de la lampe pour grignoter des insectes attirés par la lumière. Mais d'un mouvementmouvement de tête vif, la plus grosse des deux lui fait comprendre qu'elle n'est pas la bienvenue. Ouste ! 

    De grandes voyageuses...parfois involontaires !

    Si elles aiment les milieux secs et rocailleux, les tarentes de Maurétanie se retrouvent de plus en plus aisément dans nos villes, où elles trouvent de la nourriture, de la chaleur et des abris, que ce soit pour pondre leurs oeufs dans une fissure de mur ou pour se reposer pendant la journée, bien cachées derrière des volets. Même si la cohabitation avec les humains, et surtout leurs animaux de compagnie, comme des chats un peu trop joueurs, ont des conséquences sur les tarentes, elles ne sont pas menacées. Au contraire, il semblerait bien qu'elles étendent leur territoire : nos petits lézards partent à la conquête du monde ! 

     

    Un aperçu de l'expansion de la tarente de Maurétanie grâce à l'étude Geckolocalisation. La carte montre que l'animal est présent depuis la pointe Sud de la Corse jusqu'à Calais, tout au nord du pays. © Geckolocalisation
    Un aperçu de l'expansion de la tarente de Maurétanie grâce à l'étude Geckolocalisation. La carte montre que l'animal est présent depuis la pointe Sud de la Corse jusqu'à Calais, tout au nord du pays. © Geckolocalisation

    À l'origine, on trouvait la Tarente de Maurétanie uniquement sur le pourtour méditerranéen : au nord de l'Afrique, au sud de la Grèce et de l'Italie, ainsi qu'au sud-est de la France, où on la croise depuis le début du XIXe siècle. Cette zone du monde a toujours été un carrefour, et un lieu d'échanges importants où les gens et les marchandises circulent beaucoup. On pense donc que c'est en partie en étant déplacée sur les bateaux que notre tarente a posé ses ventouses chez nous pour la première fois. Mais elle continue à voyager au gré de nos échanges. Aujourd'hui, on la trouve même au Mexique, en Argentine, en Uruguay et dans le Sud des États-Unis, en Californie et en Floride ! La voilà bien loin de sa Méditerranée d'origine ! 

    Toi aussi, piste les tarentes !

    Depuis quelques années, on voit de plus en plus de tarentes se déplacer vers le Nord. Notre petite bête semble en pleine expansion ! En France métropolitaine, la tarente est désormais une habituée des rues toulousaines, et on la voit de plus en plus gambader sur les murs à Bordeaux et à Lyon. Une étude, débutée en 2021 par plusieurs scientifiques du laboratoire Évolution et Diversité Biologique à l'université de Toulouse, dont la chercheuse Jessica Côte, ont voulu savoir jusqu'où la tarente pouvait être vue sur notre territoire. Ce projet de science dite « participative » est ouvert à toutes et à tous, et toi aussi, tu peux aider les scientifiques à mener leur recherche.

    Pour rejoindre l'étude, il te suffit de répondre au questionnaire en ligne, que tu peux trouver sur le site intitulé GeckoLocalisation et d'indiquer si tu as vu ou non, une tarente chez toi. Les premiers résultats montrent que certaines d'entre elles ont été aperçues jusqu'à Saint-Malo, et même à Lille et Calais, tout au Nord, près de la Belgique ! La difficulté maintenant c'est de détricoter tout ça et d'essayer de comprendre comment elles sont arrivées là. Quand certains individus sont vus tout seuls, loin des autres, on peut penser qu'ils ont été déplacés accidentellement lors de transport de marchandises. Une tarente, ça se cache bien, et en chassant les insectes, elle peut facilement se retrouver dans des cageots de fruits et de légumes... Mais plus au sud, au nord du Lot, par exemple, les résultats suggèrent que la tarente remonte toute seule, sans être transportée par des humains, car elle trouve les conditions de chaleur, d'abri et de nourriture qui lui conviennent.

    Une remontée géographique due au dérèglement climatique

    Ce phénomène a déjà été observé chez d'autres lézards et chez des serpents, qui dépendent tous beaucoup de la température extérieure pour mener leur vie. Même s'ils n'ont pas le sang froid comme on l'entend souvent, ils ne peuvent pas réguler leur température comme le font les mammifèresmammifères et les oiseaux. Tu l'as remarqué, en général, tu vas avoir plus chaud en été et plus froid en hiver, mais ton corps, lui, reste à une température relativement constante, entre 36,6 et 38 °C. Balèze ! On dit qu'on est endothermes, un mot qui signifie qu'on est capable de générer et contrôler la chaleur à l'intérieur de notre corps. Alors que les reptilesreptiles, eux, sont ectothermes. Leur température interne dépend directement de la température extérieure. C'est d'ailleurs pour ça que tu verras régulièrement les lézards se dorer la pilule au soleil : ils font le plein d'énergieénergie ! S'il fait froid par contre, ils auront du mal à se réchauffer, et resteront généralement cachés et immobiles. Avec le dérèglement climatique, le Nord de l'Europe est en train de monter en température. Les hivers y sont plus doux, les étés plus chauds, et nos geckos y trouvent de nouveaux endroits où poser leurs valises !

    Pour se réchauffer, les lézards et autres reptiles ont besoin de s'exposer à la lumière du Soleil. © Jim, Adobe Stock
    Pour se réchauffer, les lézards et autres reptiles ont besoin de s'exposer à la lumière du Soleil. © Jim, Adobe Stock

    Il semblerait aussi que la diffusiondiffusion de la tarente de Maurétanie se fasse au détriment d'autres geckos. Par exemple, le phyllodactyle d'Europe qui était très facilement observable en 2009, est devenu beaucoup plus rare en 2017, 8 ans plus tard. On observe la tendance inverse chez la tarente, qui est aujourd'hui beaucoup plus répandue qu'elle ne l'était en 2009. Alors comment expliquer la disparition de l'un, et l'expansion de l'autre ? Est-ce que la tarente s'adapte mieux à la ville et aux changements de température que le phyllodactyle ? Ou bien est-ce que la tarente, plus grosse pique ses abris et sa nourriture aux autres geckos ? On l'ignore encore... mais les scientifiques sont sur le coup et cherchent des réponses ! En attendant, la tarente a de beaux jours devant elle !