Le secteur aérien est souvent pointé du doigt pour ses émissions de gaz à effet de serre. Et plus généralement, la pollution qu’il engendre. Mais les paquebots de croisière n’ont, en la matière, pas grand-chose à lui envier.


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    En 2023, quelque 31,5 millions de touristes ont fait -- ou feront -- le choix de la croisière sur l'océan. Offrant au secteur le rebond post-Covid le plus important de tous les secteurs du tourisme. Et le dernier rapport de l'industrie de la croisière s'en réjouit. D'ici 2028, la capacité d'accueil de la flotte mondiale des paquebots devrait augmenter de près de 20 %. Mais cet engouement pose question. Parce que même si l'industrie vante les progrès qu'elle réalise en matièrematière de réduction et de contrôle des pollutions émises et se pose même comme un exemple d'offre de tourisme responsable et durable, la réalité pourrait bien être moins reluisante.

    Les paquebots émettent toujours trop de gaz à effet de serre

    Le transport maritime, que l'on parle de transport de marchandise ou de tourisme, compte pour seulement 3 % des émissionsémissions de gaz à effet de serre (GESGES). Et des objectifs de réduction de ces émissions ont été fixés. En dix ans, d'ailleurs, de véritables progrès ont été faits. Une réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) de presque 50 % parfois.

    À regarder au-delà de ces pourcentages, toutefois, les chiffres ne sont pas bons. La Fédération européenne pour le transport et l'environnement estime ainsi qu'en 2022, les paquebots qui ont croisés sur les mers européennes ont émis 17 % de CO2 en plus qu'en 2019. Il faut reconnaître qu'ils ont été 26 % de plus à voguer sur nos eaux. Le résultat, tout de même, c'est que, selon les calculs de Greenly, ces plus de 200 paquebots ont émis en 2022 autant de CO2 que 5 236 vols Paris-New-York avec 220 passagers à bord !

    Mais le plus inquiétant, finalement en matière de climat, pourrait finalement venir des émissions de méthane (CH4). Elles ont tout simplement été multipliées par cinq sur la période 2019-2022. Et la tendance devrait se poursuivre. Parce que, pour limiter leurs émissions de CO2, les constructeurs ont fait le choix de la propulsion au gaz naturel liquéfiégaz naturel liquéfié. Le fameux GNL, majoritairement composé de méthane. Près de la moitié des bateaux de croisière commandés aujourd'hui comptent sur le GNL -- le MSC World Europa a été le premier du genre construit en France par les Chantiers de l'Atlantique. Or, un seul d'entre eux émet autant de CH4 que plus de 10 000 vaches. Parce que les moteurs utilisés par les paquebots s'avèrent peu étanches. Ainsi les fuites à l'usage, notamment, sont nombreuses. Le gain en émissions de GES entre un paquebot alimenté au classique fioulfioul lourd et un paquebot GNL ne serait pas de plus de 5 à 10 %, finalement.

    L’industrie des paquebots compte aussi sur les technologies qui permettent par exemple d’optimiser les routes pour gagner en efficacité énergétique. © NAN, Adobe Stock
    L’industrie des paquebots compte aussi sur les technologies qui permettent par exemple d’optimiser les routes pour gagner en efficacité énergétique. © NAN, Adobe Stock

    Les paquebots polluent enfin moins notre air

    Si les constructeurs ont fait le choix du GNL, c'est aussi parce qu'il est réputé permettre de limiter d'autres pollutions. Et ce, de manière spectaculaire : jusqu'à 98 % pour les suies, 99 % pour les oxydes de soufresoufre (SOx) et 85 % pour les oxydes d'azoteoxydes d'azote (NOx). Pour gérer ces pollutions-là, les paquebots sont aussi de plus en plus souvent équipés de systèmes de filtrationfiltration et de purification de leurs gaz d'échappement.

    Ainsi, alors que le trafic des bateaux de croisière a augmenté de 26 % en Europe entre 2019 et 2022, les émissions de SOx -- responsables des pluies acides et de problèmes respiratoires de type asthmeasthme et emphysèmeemphysème -- n'ont grimpé « que » de 9 % -- correspondant tout de même aux émissions d'un milliard de voituresvoitures -- et celles de NOx de 18 %. L'augmentation des émissions de particules fines de type PM2.5, elle, a suivi celle du trafic. Car utiliser du fioul lourd bon marché à forte concentration en soufre fait immanquablement augmenter ces émissions-là.

    Un paquebot peut émettre autant de SOx en un jour que 30 000 camions.

    Rappelons ici qu'aujourd'hui la teneur en soufre dans les combustiblescombustibles marins doit être inférieure à 0,5 %. Et cette limite sera rabaissée à 0,1 % en 2025. Mais longtemps, elle a pu atteindre les 1,5 % pour les bateaux de croisière. Soit 1 500 fois plus que la limite tolérée pour notre diesel.

    Certains paquebots utilisent désormais la chaleur générée dans la salle des machines pour chauffer l’eau de leurs piscines. © Jackis Davies, Adobe Stock
    Certains paquebots utilisent désormais la chaleur générée dans la salle des machines pour chauffer l’eau de leurs piscines. © Jackis Davies, Adobe Stock

    Mais les croisières sont à l’origine de pollutions accrues dans les eaux

    Les experts alertent toutefois sur le fait que, si l'utilisation des systèmes d'épuration des gaz d'échappement a permis d'améliorer la qualité de l'airair, elle menace aujourd'hui les océans. Une conséquence directe du principe de fonctionnement de ces purificateurspurificateurs qui pulvérisent de l'eau dans les tuyaux d'échappement. Résultat : de l'eau contaminée -- aux métauxmétaux lourds (plombplomb, nickelnickel, cuivrecuivre, mercure), aux particules fines, aux nitrates et aux nitrites ou encore aux hydrocarbureshydrocarbures polyaromatiques (HAP) -- rejoint la mer. « Selon les chiffres de l'International Council on Clean Transportation, les bateaux de croisière équipés d'épurateurs émettent au moins 10 milliards de tonnes d'eau de lavage chaque année », commente pour nous Clara Nassif, experte climat chez Greenly. Déjà, le Portugal a interdit l'usage des épurateurs en cycle ouvert dans tous ses ports, l'Espagne dans certains d'entre eux et la Belgique, à moins de quelque 5 kilomètres de ses côtes. Seuls les épurateurs dits en cycle fermé prennent soin de ne quasiment pas rejeter d'eau polluée dans les océans.

    Les océans pollués par les eaux déversées par les paquebots

    En cours de croisière, les paquebots ont pris pour habitude de déverser à la mer leurs eaux uséeseaux usées. Les eaux issues des évierséviers, des blanchisseries, des douches et des cuisines. Après tout de même un passage par un système d'épuration. Les experts estiment qu'un bateau de croisière transportant 3 000 passagers -- les plus gros peuvent en transporter plus de deux fois plus -- rejette ainsi quelque 3,8 millions de litres d'eaux dites grises en une seule semaine de voyage. Le tout contenant des produits chimiques et potentiellement des métaux qui vont polluer les écosystèmesécosystèmes marins.

    Et c'est sans parler des eaux noires. Celles issues de nos toilettes. Elles aussi sont déversées dans les océans. Près de 800 000 litres pour chaque paquebot par semaine de voyage. Des eaux riches en bactériesbactéries, notamment. Avec le risque qu'elles viennent perturber, là encore, les écosystèmes marins.

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    S'ajoute à tout cela, bien sûr, le fioul lourd qui alimente encore la plupart des bateaux de croisière. Le combustible fossilefossile le plus sale du marché et dont les paquebots de taille moyenne consomment 150 tonnes par jour -- c'est deux fois plus pour l'immense Wonder of the Seas. Pas seulement pour leur propulsion. Mais aussi pour alimenter leur bord en électricité. D'autant que peu de ports sont aujourd'hui à même de proposer un raccordement aux croisières en escale. Et il peut arriver qu'il s'échappe du fioul lourd dans les eaux, lorsque les moteurs sont défectueux, lors de travaux de maintenance ou de réparation ou en cas d'accidentaccident.

    Les croisières produisent beaucoup de déchets.

    Parmi les polluants que l'on oublie aussi parfois, il y a les déchetsdéchets produits à bord. Les experts estiment que les paquebots comptent pour le quart des déchets solidessolides générés par le trafic maritime. En une seule journée, un bateau de croisière moyen produirait ainsi jusqu'à 7 tonnes d'ordures. Cela pourrait monter jusqu'à presque 20 tonnes pour un géant de type Wonder of the Seas. Avec le risque que tout ou partie de ces papiers, cartons, morceaux d'aluminiumaluminium ou de plastique finissent dans l'océan.

    En certains endroits, comme à Venise (Italie), le passage des paquebots peut endommager les fondations de bâtiments, parfois d’intérêt historique. L’interdiction d’accès aux plus gros paquebots a permis au port de Venise de passer de port le plus pollué d’Europe en 2019 à la 41e place en 2021. Amsterdam (Pays-Nas) vient de prendre la même décision pour protéger son patrimoine et la santé de ses habitants. © Valeri Luzina, Adobe Stock
    En certains endroits, comme à Venise (Italie), le passage des paquebots peut endommager les fondations de bâtiments, parfois d’intérêt historique. L’interdiction d’accès aux plus gros paquebots a permis au port de Venise de passer de port le plus pollué d’Europe en 2019 à la 41e place en 2021. Amsterdam (Pays-Nas) vient de prendre la même décision pour protéger son patrimoine et la santé de ses habitants. © Valeri Luzina, Adobe Stock

    La pollution sonore générée par les bateaux de croisière

    Autre pollution générée par les paquebots : la pollution sonorepollution sonore. Le résultat non seulement des machines qui tournent pour faire avancer les bateaux de croisière, mais aussi de toutes les activités de divertissement proposées à bord. Cette pollution sonore pose surtout problème aux écosystèmes marins. Les orques et les dauphins y sont peut-être tout particulièrement sensibles.

    L’activité des paquebots perturbe les milieux

    La liste des pollutions générées par les bateaux de croisière ne serait pas complète sans mention des perturbations physiquesphysiques dont les paquebots sont responsables. Lorsqu'ils prélèvent ou rejettent de grandes quantités d'eau de ballast, par exemple. Quelque 1 000 tonnes d'eau peuvent ainsi être chargées dans une région de l'océan puis relâchées dans une autre. Avec les microorganismesmicroorganismes, la végétation et la pollution qui les accompagnent.

    Le saviez-vous ?

    En 2022, la flotte des croisières MSC à elle seule a émis autant de dioxydes de soufre que près de 300 millions de voitures. Le Groupe Carnival et sa flotte de 63 paquebots ont émis 43 % de dioxydes de soufre de plus que l’ensemble des voitures d’Europe !

    Les bateaux de croisière menacent aussi les récifs coralliensrécifs coralliens. Lorsqu'ils jettent et lèvent l'encre, surtout. En 2017, le MS Caledonian a ainsi détruit plus de 5 000 mètres carrés de coraux en Indonésie. Des dégâts estimés à près de 20 millions de dollars.

    Enfin, les collisions entre paquebots et rorqualsrorquals, épaulardsépaulards, baleines et autres dauphins peuvent se produire. Des collisions qui, si elles ne tuent pas, peuvent blesser ces animaux marins.

    Et tout cela pour ne mentionner que les pollutions d'usage occasionnées de ces paquebots qui emportent des millions de touristes sur les océans du monde chaque année. L'empreinte écologiqueempreinte écologique sur l'ensemble du cycle de vie -- de la constructionconstruction au démantèlement --, on l'imagine assez bien, serait encore plus marquée.