En France, un nouveau bleu apparaît à la fin du XVIIIe siècle : le bleu national ! Aujourd’hui toutes les équipes sportives françaises jouent en maillot ou vêtement bleu dans les compétitions internationales ; la France est emblématiquement associée à cette couleur. Comment expliquer l’enracinement du bleu dans l’identité française ?


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    Le bleu, par son emplacement contre la hampe, est perçu comme la couleur la plus importante du drapeau tricolore. Ce bleu est né avec la Révolution française mais il rappelle inévitablement celui des armoiries royales (« d'azur semé de fleurs de lis d'or ») apparues au XIIe siècle. L'azur devient la couleur de la monarchie au XIIIe siècle, puis celle de l'Etat à l'époque moderne et celle de la Nation à la Révolution.

    Bannière du roi de France, du XIVe au XVIIe siècle. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Bannière du roi de France, du XIVe au XVIIe siècle. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Histoire de la cocarde tricolore

    Avant la naissance du drapeau national, il est intéressant de se pencher sur celle de la cocarde, accessoire que l'on place sur les chapeaux ou les vêtements, dont l'usage est antérieur à 1789. Sous Louis XV et Louis XVI, la cocarde est en tissu ou en papier, en forme de cercle ou de nœud, avec ou sans rubans. Elle est décorative mais permet aussi d'exprimer une opinion ou de signaler l'appartenance à un groupe ou une institution. Très utilisée par les militaires, la cocarde va être adoptée par les civils et l'on constate qu'elle devient très répandue dès le mois de juin 1789, pour afficher son appartenance à tel mouvement d'opinion ou son attachement à la monarchie. La couleur du roi est le blanc, celle de la garde nationale créée en juillet, le bleu et le rouge. Le 14 juillet 1789, lors de la prise de la Bastille, la cocarde tricolore n'existe pas encore ; elle est créée dans les jours qui suivent, dans des circonstances que l'on ne connaît pas vraiment. Vers le 20 juillet, les premières cocardes tricolores apparaissent, avec le blanc placé au centre.

    Cocarde royaliste blanche pour chapeau (le bleu est présent avec les armoiries "<em>d'azur semé de fleurs de lis d'or</em>") ; inscription "vive le roi, vive la nation", diamètre 12 cm, soie blanche, 1790. © ADER NORDMANN.
    Cocarde royaliste blanche pour chapeau (le bleu est présent avec les armoiries "d'azur semé de fleurs de lis d'or") ; inscription "vive le roi, vive la nation", diamètre 12 cm, soie blanche, 1790. © ADER NORDMANN.

    Pourquoi avoir choisi le bleu et le rouge pour encadrer le blanc du roi ? On peut souligner que ce sont des couleurs à la mode depuis une dizaine d'années ; en effet, ce sont celles choisies par les Etats-Unis d'Amérique pour leur drapeau national. La France a combattu auprès des insurgés américains pour leur indépendance et l'opinion publique française s'est passionnée pour la Révolution américaine. Le drapeau des Etats-Unis est en quelque sorte un « contre drapeau » anglais, puisqu'il a les mêmes couleurs avec une signification totalement différente. A noter que l'Union Jack britannique est bleu, blanc, rouge depuis 1603, lorsque Jacques roi d'Ecosse devient également roi d'Angleterre.

    Le 10 juin 1790, l'Assemblée Constituante déclare la cocarde tricolore « nationale » et le 14 juillet, jour de la fête de la Fédération, le Champ de Mars parisien est entièrement bleu, blanc, rouge. La cocarde prend une signification politique : le 8 juillet 1792, l'Assemblée législative impose le port de la cocarde tricolore à tous les hommes puis la Convention l'impose aux femmes, le 21 septembre 1793. Après la chute de Robespierre et l'instauration du Directoire, on peut de nouveau s'afficher sans cocarde, sans risque d'emprisonnement.

    Cocarde patriotique pour chapeau, blanc au centre, diamètre 66 mm, période Révolution française. © Bertrand Malvaux.
    Cocarde patriotique pour chapeau, blanc au centre, diamètre 66 mm, période Révolution française. © Bertrand Malvaux.

    Naissance du drapeau français

    Entre 1790 et 1812, les trois couleurs nationales affichées sur les cocardes, vont progressivement prendre place sur les drapeaux officiels. Dès l'automneautomne 1790, les bateaux de la Marine arborent un pavillon à trois bandes verticales (rouge, blanc, bleu) avec le rouge situé près de la hampe. Ce choix permet de ne pas confondre le nouveau drapeau avec celui des Provinces Unies (bandes tricolores horizontales).

    Dessin du drapeau français entre 1790 et 1794, le bleu est à droite. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Dessin du drapeau français entre 1790 et 1794, le bleu est à droite. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Le 15 février 1794, la Convention Nationale décrète que pour tous les navires de la République, le pavillon sera identique : trois bandes tricolores verticales de même largeur, avec le bleu contre la hampe ; les nuances de couleur ne sont pas précisées et ne le seront jamais. Ce nouveau drapeau devient national sous l’Empire : il flotte sur le palais des Tuileries, sur les bâtiments officiels, et dès 1812, remplace tous les pavillons des régiments de l'armée de terre. Sous les deux restaurations royalistes (1814-1830), la cocarde et le drapeau blancs réapparaissent obligatoirement. Le drapeau tricolore flotte sur les barricades lors de la Révolution de Juillet (1830) et le futur roi Louis Philippe, lieutenant général du royaume, ordonne que le drapeau bleu, blanc, rouge redevienne drapeau officiel de l'Etat. Il l'est sans interruption depuis 1830 jusqu'à aujourd'hui.

    Louis Philippe à l'Hôtel de Ville de Paris, le 31 juillet 1830 ; par Eloi Firmin Féron en 1837. Château de Versailles. © RMN - Grand Palais / Gérard Blot.
    Louis Philippe à l'Hôtel de Ville de Paris, le 31 juillet 1830 ; par Eloi Firmin Féron en 1837. Château de Versailles. © RMN - Grand Palais / Gérard Blot.

    Le bleu militaire et politique

    La Révolution française a contribué à la naissance du bleu militaire et politique, celui des soldats puis des défenseurs de la République. Les Gardes françaises, régiment d'élite créé en 1564, relevant de la Maison du roi, ont un uniforme bleu. En juillet 1789, ils fraternisent avec le peuple prenant la Bastille et s'engagent dans les compagnies de la Garde Nationale, en apportant leur veste bleue. Le bleu est rendu obligatoire pour toutes les armées en 1794.

    Officier de la Garde Nationale, pendant les émeutes parisiennes de janvier 1791 ; par Bizard, 1791. Musée de la Révolution française, château de Vizille (Isère). © Wikimedia Commons, domaine public.
    Officier de la Garde Nationale, pendant les émeutes parisiennes de janvier 1791 ; par Bizard, 1791. Musée de la Révolution française, château de Vizille (Isère). © Wikimedia Commons, domaine public.

    C'est au cours des guerres de Vendée que le bleu militaire devient une couleur politique, opposée au blanc de l'armée catholique royaliste. Cette dualité bleu - blanc va traverser la vie politique française durant le XIXe siècle. Le blanc reste la couleur des monarchistes, le bleu celle des républicains, après la Révolution de 1848. Sous la Troisième République, le bleu représente la droite républicaine face au rouge des socialistes. Le bleu évolue encore entre le XIXe et le XXe siècle : il est d'abord la couleur des républicains de progrès, puis celle des modérés et des centristes, pour devenir le bleu des conservateurs, face au rouge socialiste et communiste. Il faut encore souligner ici le rôle déterminant de la Révolution française dans le choix des couleurs politiques modernes.

    Armes de la République française, créées sous la IIIe République, à noter cette présence très importante du bleu. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Armes de la République française, créées sous la IIIe République, à noter cette présence très importante du bleu. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Le bleu imposé à la tenue des soldats français, est tributaire de matièresmatières tinctoriales américaines (l'indigo), qui n'arrivent plus en France à partir de 1806, en raison du blocus continental décidé par Napoléon Ier. Après 1815, la France est toujours dépendante des plantations anglaises d'indigo, ce qui amène le roi Charles X à ordonner, pour les soldats d'infanterie, le port d'un pantalon rouge garancegarance (à la place du bleu) à partir de 1829. Très voyant, ce pantalon rouge est responsable de pertes considérables dans l'armée française, au début de la Première Guerre mondiale. Au printemps 1915, toutes les troupes françaises reçoivent des uniformes « bleu horizon » (bleu gris en référence à la ligne d'horizon ou "ligne bleue des Vosges", ligne qui sépare la France de l'Alsace allemande depuis 1871). En 1919, le « bleu horizon » représente la couleur de nombreux députés qui siègent à l'Assemblée Nationale avec leurs anciens uniformes de soldats ; ils vont siéger ainsi jusqu'en 1924, donnant le nom de « Chambre bleu horizon » au Palais Bourbon.

    Soldats en uniforme "bleu horizon", Première Guerre mondiale. Agence d'images de la Défense. © ECPAD.
    Soldats en uniforme "bleu horizon", Première Guerre mondiale. Agence d'images de la Défense. © ECPAD.

    Au XXe siècle, le bleu est devenu la couleur la plus portée dans le vêtement occidental : s'il est la couleur préférée des Français et des Européens, est-ce en partie au jean (bleu indigo) qu'il le doit ? Vêtement de travail né entre 1860 et 1865, grâce au tailleur new-yorkais Levi-Strauss, il se révèle incontournable pour la jeunesse à partir des années 1950 ; c'est un véritable phénomène de mode mondial et malgré des tentatives de diversification des couleurs, le bleu résiste et domine !