En septembre 1066, une flotte impressionnante estimée à sept cents navires, aborde les côtes du sud de l’Angleterre. Le duc de Normandie Guillaume a décidé de partir à la conquête de la couronne d’Angleterre que le roi anglo-saxon Harold s’est attribuée. Pour réaliser son objectif, Guillaume doit affronter plusieurs obstacles majeurs : la traversée de la Manche, la constitution d’une flotte et d’une armée de chevaliers prêts à quitter la Normandie pour plusieurs mois.


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    Château de Falaise (Calvados), lieu de naissance de Guillaume, fils du duc de Normandie. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Château de Falaise (Calvados), lieu de naissance de Guillaume, fils du duc de Normandie. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Né à Falaise (Calvados) vers 1028, Guillaume est le fils du duc de Normandie Robert le Magnifique ; il succède à son père à l'âge de huit ans. En 1052, le roi anglo-saxon Edouard le Confesseur sans héritier direct, promet de laisser la couronne d'Angleterre à Guillaume. En 1053, Guillaume épouse Mathilde, fille du comte Baudouin de Flandres. En 1064, Harold comte de Wessex vient en Normandie et fait le serment de soutenir Guillaume dans la succession à la couronne d'Angleterre, après la mort d'Edouard. En janvier 1066, le roi Edouard décède, Harold lui succède malgré le serment fait à Guillaume. La Tapisserie de Bayeux constitue le témoignage contemporain essentiel des événements qui présentent l'affrontement entre Guillaume et Harold.

    Statue équestre de Guillaume le Conquérant à Falaise. © Laurent Ridel.
    Statue équestre de Guillaume le Conquérant à Falaise. © Laurent Ridel.

    La Tapisserie de Bayeux

    Ce n'est pas la reine Mathilde qui a tissé cette immense broderie : elle fait 70 mètres de long et cinquante centimètres de large et ne peut être l'ouvrage d'une seule personne. A son origine, les historienshistoriens penchent pour l'oeuvre d'un atelier spécialisé qui a travaillé sur commande du demi-frère de Guillaume, l'évêque Odon de Bayeux. La Tapisserie représente l'un des plus importants documents historiques du Moyen Age : on y observe les différentes étapes de la conquête, la préparation de l'expédition, le débarquement, la bataille d'Hastings... L'immense broderie reflète le point de vue normand et constitue une œuvre destinée à légitimer l'invasion de Guillaume, sa montée sur le trône et la justesse du châtiment infligé à Harold représenté comme parjure, reniant un serment sacré.

    Tapisserie de Bayeux, scène 30 : couronnement d'Harold roi d'Angleterre, par l'archevêque Stigand en janvier 1066 ("ici siège Harold, roi des Anglais"). © Wikimedia Commons, domaine public.
    Tapisserie de Bayeux, scène 30 : couronnement d'Harold roi d'Angleterre, par l'archevêque Stigand en janvier 1066 ("ici siège Harold, roi des Anglais"). © Wikimedia Commons, domaine public.

    La Tapisserie est un récit moralisateur et toutes les sources viennent des Normands ; les vaincus n'ont pas laissé de témoignages. Le peuple normand (« Nordmann », homme du nord) tient son origine des invasions vikings qui ont eu lieu à partir du IXe siècle. Sur la Tapisserie de Bayeux, on remarque quelques symboles de cet héritage : les figures de proue des navires à fond plat, caractéristique des drakkars. Tête de dragons ou de taureaux, elles sont enlevées en abordant les côtes pour ne pas effrayer les populations, comme le montre précisément la Tapisserie.

    Tapisserie de Bayeux, scène 48 : flotte normande à la conquête de l'Angleterre (drapeau normand de Falaise en haut du mât). © Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine - RMN - Grand Palais / Jean Courbeix / Simon Guillot. 
    Tapisserie de Bayeux, scène 48 : flotte normande à la conquête de l'Angleterre (drapeau normand de Falaise en haut du mât). © Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine - RMN - Grand Palais / Jean Courbeix / Simon Guillot. 

    Les raisons de la conquête et la bataille d’Hastings

    Selon les sources normandes, le roi d'Angleterre  Edouard le Confesseur fait de Guillaume de Normandie, qui est son petit-neveu, l'héritier du trône car il n'a pas de descendance directe. En 1064, Edouard envoie Harold en Normandie, afin de lui proposer la couronne d'Angleterre : Guillaume fait jurer à Harold de le soutenir le jour où le trône sera vacant. En janvier 1066, Edouard décède et Harold se fait couronner avec l'accord des aristocrates du royaume. Harold est donc parjure, c'est la tapisserie qui l'explique ainsi : en fait, Harold a autant de droits que Guillaume car les nobles anglais l'ont choisi.

    Lorsque Guillaume et ses chevaliers débarquent au sud-est de l'Angleterre en septembre 1066, Harold et son armée sont partis au nord du royaume, où vient de débarquer le roi de Norvège. Harold doit donc faire face à deux débarquements simultanés : il écrase les Norvégiens à la bataille de Stamford BridgeBridge puis part à la rencontre du duc de Normandie. A Hastings, en octobre 1066, les deux armées présentent les mêmes effectifs (7000 à 8000 hommes) mais n'ont pas la même technique de combat. L'armée anglaise est composée exclusivement de fantassins alors que les Normands comptent des archers et surtout des chevaliers armés de lances. L'armée normande dispose d'une forte proportion de soldats étrangers : sur les trois corps de l'armée de Guillaume, les Normands n'en composent qu'un seul ; figurent également des Bretons, des Flamands et des Français. Ce ne sont pas des mercenaires : Guillaume a fait appel à des nobles ayant des liens personnels avec lui.

    Tapisserie de Bayeux, scène 52 : assaut de la chevalerie normande contre les fantassins anglais. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Tapisserie de Bayeux, scène 52 : assaut de la chevalerie normande contre les fantassins anglais. © Wikimedia Commons, domaine public.

    La mort d'Harold assure la victoire aux Normands : Guillaume peut entrer dans Londres et se faire couronner roi le 25 décembre 1066, dans l'abbaye de Westminster. Par son couronnement, Guillaume contrôle une partie de l'Angleterre (Londres, Winchester, Canterbury) ; la soumission des autres régions (ouest et nord) demeure théorique. Guillaume appelé désormais « le Conquérant », va faire face à des révoltes anglo-saxonnes : les historiens anglais évoquent l'écrasement des rébellions dans les régions septentrionales, par le massacre de la population et la politique de la terre brûlée. En 1071, cinq ans après Hastings, l'Angleterre est totalement contrôlée sauf le royaume d'Écosse et les petits royaumes gallois indépendants.

    Couronnement de Guillaume le Conquérant qui devient Guillaume Ier roi d'Angleterre, Noël 1066 ; miniature extraite du <em>Flores Historiarum</em>, XIIIe siècle. Bodleian Library, Université d'Oxford. © Wikimedia Commons, domaine public.
    Couronnement de Guillaume le Conquérant qui devient Guillaume Ier roi d'Angleterre, Noël 1066 ; miniature extraite du Flores Historiarum, XIIIe siècle. Bodleian Library, Université d'Oxford. © Wikimedia Commons, domaine public.

    Guillaume Ier, roi d’Angleterre

    En Normandie, le duc Guillaume est vassal du roi de France : il lui doit fidélité alors que Guillaume roi d'Angleterre ne lui doit aucun hommage. Comme il cumule deux titres distincts dans la pyramide vassalique française et anglaise, Guillaume ne tente pas de fusionner l'administration et les lois de ses deux territoires. Le gouvernement du royaume d'Angleterre est de fait plus complexe que celui du duché de Normandie : Guillaume ne parle pas le vieil anglais ; pour communiquer avec ses nouveaux sujets, il a besoin d'interprètes.

    Carte des possessions territoriales de Guillaume le Conquérant vers 1070. Site lhistoire.fr. © L'Histoire.
    Carte des possessions territoriales de Guillaume le Conquérant vers 1070. Site lhistoire.fr. © L'Histoire.

    L'Angleterre est divisée en « shires » (comtés), chaque comté est régi par un « sherif », officier royal au statut comparable à celui des vicomtes normands, qui gère les questions administratives, militaires et judiciaires et qui est chargé de la collecte des impôts royaux. Pour superviser son territoire, Guillaume doit s'y déplacer en permanence mais à partir de 1072, il séjourne majoritairement sur le continent : il traverse donc la Manche une vingtaine de fois entre 1067 et 1087. Un service très performant de courrier circule d'un bout à l'autre de ses possessions. Guillaume se fait seconder par des personnes de confiance : sa femme Mathilde et son demi-frère Odon de Bayeux. Mathilde a été une véritable partenaire de gouvernement : pendant la conquête de l'Angleterre, elle est régente du duché de Normandie ; en 1068, elle est couronnée reine d'Angleterre à Westminster.

    Tour Blanche ("White Tower") de Guillaume le Conquérant, dans l'enceinte de la Tour de Londres. Photo Bernard Gagnon, 2007. © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Tour Blanche ("White Tower") de Guillaume le Conquérant, dans l'enceinte de la Tour de Londres. Photo Bernard Gagnon, 2007. © Wikimedia Commons, domaine public. 

    En Angleterre, Guillaume le conquérant perpétue la collecte du « danegeld », à l'origine taxe foncière versée par les populations en échange de leur sécurité et protection face aux VikingsVikings. L'Angleterre est le seul pays d'Occident à appliquer ce type de taxe. Guillaume contrôle l'ensemble des domaines royaux et des propriétés d'Harold (le comte de Wessex possède environ un tiers du territoire anglais), ce qui fait de lui le plus grand propriétaire du royaume. A Noël 1085, Guillaume ordonne dans un but fiscal, le recensement de toutes les propriétés foncières d'Angleterre, comté par comté : c'est la rédaction du « Domesday Book ». Le roi et duc Guillaume décède à Rouen, le 9 septembre 1087 : son fils aîné Robert reçoit le duché de Normandie, son deuxième fils Guillaume (II) devient roi d'Angleterre.

    Pièce en bronze à l'effigie de Guillaume Ier roi d'Angleterre (inscription "<em>Willelmus Rex</em>"). British Museum, photo PHGCOM. © Wikimedia Commons, domaine public. 
    Pièce en bronze à l'effigie de Guillaume Ier roi d'Angleterre (inscription "Willelmus Rex"). British Museum, photo PHGCOM. © Wikimedia Commons, domaine public. 

    A savoir

    La conquête de 1066 inaugure une longue période de destin commun entre Normandie et Angleterre : jusqu'en 1204, le duché de Normandie et le royaume d'Angleterre auront le même souverain. Le legs essentiel qui en découle, appartient au domaine linguistique : plusieurs milliers de mots de l'anglais moderne proviennent en fait de l'ancien normand.