Le traité de libre-échange signé entre la France et l’Angleterre, le 26 septembre 1786, est un accord commercial conçu pour mettre un terme définitif à la guerre économique qui les occupe depuis le début du XVIIIe siècle. Il constitue une première tentative d’ouverture des barrières commerciales entre ces deux grandes puissances européennes, dans une période de critique du protectionnisme.


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    Une période de paix favorable à un accord commercial s'ouvre entre les deux pays, après la guerre d’indépendance américaine et la signature du traité de Versailles de 1783. La signature d'un traité de commerce est davantage souhaitée par les autorités françaises qui y voient le moyen de rétablir les finances publiques, gravement déséquilibrées par plus d'un siècle de guerres et surtout par l'incapacité de la monarchie à engager d'indispensables réformes fiscales. On considère donc que la paix, passant par une entente commerciale avec l'Angleterre, devient le meilleur moyen d'assainir le budget de l'État.

    Les initiateurs du projet

    L'accord de commerce franco-anglais est signé par les négociateurs William Eden pour l'Angleterre et Gérard de Rayneval pour la France : le traité porteporte la marque des physiocrates François Quesnay et surtout Pierre Samuel Dupont de Nemours, l'un des rédacteurs du traité de Versailles de 1783. Ils perçoivent la libéralisation des échanges commerciaux comme la condition du progrès économique. Le gouvernement de Louis XVI espère stimuler la production nationale en l'exposant à la concurrence de l'industrie britannique, jugée plus performante.

    Portrait de Pierre Samuel Dupont de Nemours (1739-1817), auteur inconnu ; musée et bibliothèque Hagley, Wilmington, États-Unis. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public
    Portrait de Pierre Samuel Dupont de Nemours (1739-1817), auteur inconnu ; musée et bibliothèque Hagley, Wilmington, États-Unis. © Wikimedia Commons, domaine public

    Charles Alexandre de Calonne (1734-1802), contrôleur général des finances de Louis XVI est l'instigateur du traité, côté français. Favorable à l'essor de la pensée libérale que connaît la France durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, il pense que l'abaissement des droits de douanes permettrait de développer les exportations de produits agricoles français vers une Angleterre protégée par les « Corn Laws », série de textes réglementaires adoptés à partir de 1773, pour limiter les importations de céréalescéréales étrangères. Il espère également que certains secteurs industriels français (horlogerie, cuir...) vont accéder plus largement au marché anglais.

    Calonne estime que le choc concurrentiel provoqué par le traité va obliger les entrepreneurs français du textile à imiter les Anglais qui s'engagent dans la voie de la mécanisation. Selon lui, les Français seraient à même d'utiliser plus rapidement ces inventions que les industriels anglais, entravés par les « privilèges exclusifs » des détenteurs de brevets qui en restreignent ainsi la généralisation. Pour accélérer l'innovation technique en France, il envoie des « espions industriels » outre-Manche.

    Mule jenny (inventée par l'Anglais Samuel Crompton en 1779), machine à dévidage et torsion automatique des fils, seul exemplaire subsistant en état de marche en France, daté de 1825 ; filature des Calquières, Lozère. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public 
    Mule jenny (inventée par l'Anglais Samuel Crompton en 1779), machine à dévidage et torsion automatique des fils, seul exemplaire subsistant en état de marche en France, daté de 1825 ; filature des Calquières, Lozère. © Wikimedia Commons, domaine public 

    L’application du traité et ses conséquences

    Le résultat des négociations du traité n'est pas conforme aux attentes des Français qui n'obtiennent pas la levée des prohibitions sur les soieries lyonnaises. Mais les droits de douane sont réduits pour les tissus de laine et de coton, et les produits issus de la métallurgie. À court terme, les conséquences du traité sont plus favorables à l'Angleterre qu'à la France : les exportations britanniques passent de 13 millions de livres en 1784 à 86 millions en 1792, alors que celles de la France vers l'Angleterre passent de 20 à 60 millions de livres. Les entreprises textiles du nord de la France et de la région parisienne sont particulièrement touchées par la concurrence des produits anglais, aux coûts de fabrication plus faibles.

    L'accord satisfait cependant les exportateurs de vin et de produits de luxe, mais les secteurs de biens manufacturés courants sont durement frappés par l'arrivée massive des textiles, de la quincaillerie et des poteries britanniques. Certaines régions déjà fragilisées telles la Normandie et la Picardie, traversent une période de crise ; les produits du coton importés depuis la Grande-Bretagne représentent 5 à 6 % de la consommation française. Cela suffit à entraîner des difficultés pour les entreprises textiles du royaume, hostiles dès le départ à l'accord.

    La Tamise et la City de Londres par Canaletto en 1746-1747. Galerie Nationale de Prague. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public 
    La Tamise et la City de Londres par Canaletto en 1746-1747. Galerie Nationale de Prague. © Wikimedia Commons, domaine public 

    Les exportateurs français de vin vont par contre multiplier leurs ventes beaucoup plus rapidement que d'autres pays producteurs, puisque ce type de traité commercial est le seul signé en Europe, à la fin du XVIIIe siècle. Cependant, le choc que l'on espérait salutaire pour les finances de l'État, s'avère trop brutal car le traité entre en vigueur sans l'unification nécessaire du marché intérieur français, ce qui aurait renforcé l'économie nationale face à la concurrence anglaise. En effet, le royaume de France dispose toujours en 1786, de frontières douanières intérieures qui permettent de taxer toutes les marchandises qui circulent d'une province à une autre, suivant différents régimes d'imposition. Ces taxes appelées traites, sont également perçues sur tous les produits qui entrent et sortent du royaume ; elles seront supprimées en octobre 1790.

    Le port de Marseille par Claude Joseph Vernet en 1754. Musée national de la Marine, palais de Chaillot, Paris. © Musée national de la Marine, A. Fux
    Le port de Marseille par Claude Joseph Vernet en 1754. Musée national de la Marine, palais de Chaillot, Paris. © Musée national de la Marine, A. Fux

    Un traité de libre-échange bénéfique ?

    Le traité a entraîné un développement des flux d'échanges de part et d'autre de la Manche, favorable à la croissance, mais plus important pour la Grande-Bretagne, ce qui a transformé l'excédent commercial antérieur de la France en déficit. Globalement, l'Angleterre voit ses exportations en France multipliées par trois alors que les exportations françaises n'augmentent que de 50 %. Toutefois, le traité a des effets bénéfiques pour l'économie française : les observateurs de l'époque constatent un développement industriel spectaculaire et la baisse des prix en France profite aux consommateurs. La période d'application du traité est malheureusement trop courte pour que l'on puisse juger définitivement de ses effets car dès février 1793, la guerre reprend entre les deux pays, mettant fin aux accords (le traité est abrogé) et inaugurant une longue période de protectionnisme jusqu'au traité de commerce franco-britannique de 1860.