Au milieu du XVIIIe siècle, Montesquieu, Diderot et Mirabeau expriment un grand intérêt pour la démographie et estiment tous, à tort, que le chiffre de la population française ne cesse de diminuer depuis la décennie 1680-1690. Voltaire fait partie des rares opposants à cette idée générale de dépopulation : il contribue ainsi à faire rebondir les débats et à susciter des études plus pointues sur la question, tel le Tableau de la population de la France de l’abbé Jean-Joseph Expilly (1719-1793) présenté au roi Louis XVI en 1780.

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    Pour étudier la démographie française de l'Ancien Régime, les historienshistoriens puisent leurs informations dans les sources fiscales et les registres paroissiaux plus ou moins bien tenus. Vers 1700, on estime à 20 millions le nombre d'habitants du royaume de France. Un Européen sur quatre est français : la France est alors considérée comme un géant démographique. Les historiens démographesdémographes du XXe siècle supposent que les Français seraient 22 millions en 1715, plus de 25 millions vers 1760 et probablement 28 millions en 1790. On assiste à une hausse constante de la population française de 40 % en un siècle. L'abbé Expilly dénombre 24.129.200 Français en 1780. Il explique d'ailleurs à Louis XVI que son travail a débuté vingt ans auparavant, ce qui indiquerait un résultat assez proche de celui annoncé pour 1760 (25 millions).

    Page 5 du <em>Tableau de la population de la France</em>, établi par l'abbé Expilly en 1780. On voit apparaître le nombre total de Français (24.129.200) en bas de la page. Monographie imprimée, BnF, département Réserve des textes rares. © Gallica, BnF. Domaine public

    Page 5 du Tableau de la population de la France, établi par l'abbé Expilly en 1780. On voit apparaître le nombre total de Français (24.129.200) en bas de la page. Monographie imprimée, BnF, département Réserve des textes rares. © Gallica, BnF. Domaine public

    La France entame sa transition démographique

    À partir des années 1740, on constate que le taux de mortalité diminue régulièrement ; il a chuté en moyenne de 10 % à la veille de la Révolution, passant de sa valeur traditionnelle de 35 ‰ à environ 30 ‰. Durant la période 1740-1790, la natalité se maintient encore à un taux élevé de 37 à 38 ‰. Ce nouvel aspect des courbes (baisse de mortalité accompagnant une natalité encore forte) constitue la première étape de la transition démographique.

    La seconde étape caractérisée par une baisse de la fécondité (rapport entre nombre de naissances et nombre de femmes mariées en âge de procréer) s'amorce dès les années 1770. On observe de nouveaux comportements dont le recul de l'âge au mariage : il concerne l'ensemble du territoire, avec 28 ans en moyenne pour les hommes et 26 ans pour les femmes, à la veille de la Révolution.

    Tableau de Jean-Baptiste Greuze peint en 1761 : <em>L'accordée du village</em>. Représentation de fiançailles, discussions portant sur la dot de la future mariée entre deux familles de paysans aisés. © Musée du Louvre

    Tableau de Jean-Baptiste Greuze peint en 1761 : L'accordée du village. Représentation de fiançailles, discussions portant sur la dot de la future mariée entre deux familles de paysans aisés. © Musée du Louvre

    On constate aussi une réduction volontaire du nombre d'enfants par couple : à Rouen, par exemple, le nombre d'enfants par femme mariée est proche de six en 1729 ; il atteint 4,5 vers 1789. Cette nouvelle attitude de limitation des naissances s'observe dans le Bassin parisien, les vallées de la Seine, de la Loire et de la Garonne. Elle se diffuse ensuite en auréoles autour des grandes villes. Au contraire, d'autres régions comme l'Alsace dotée d'un fort particularisme culturel, maintiennent une féconditéfécondité élevée.

    Avec la réduction volontaire du nombre d'enfants par couple, on constate également que le modèle familial le plus courant est déjà celui, très moderne, de la « famille nucléaire », c'est-à-dire formée par le noyau parents-enfants. Les « familles souches » associant plusieurs noyaux, se retrouvent dans les Pyrénées, la Haute-Provence, le Massif central, plus généralement les régions de montagne : la forte cohésion familiale traduit une stratégie de conservation du patrimoine. Dans les villes, la tendance est à la réduction du nombre de personnes par foyer : trois en moyenne à la fin du siècle.

    La question de l’espérance de vie

    La mortalité infantile ne diminue pas vraiment au XVIIIe siècle, puisqu'un enfant sur trois n'atteint pas l'âge d'un an. La mise en nourrice, très en vogue dans les villes, provoque de véritables hécatombes : vers 1770, on estime que 2/3 des nouveau-nés lyonnais et 75 % des nourrissons parisiens décèdent de cette manière.

    Les études (effectuées au XXe siècle) ont établi que l'espérance de vieespérance de vie à la naissance était de l'ordre de 25 ans vers 1780. Cette mesure, qui indique l'âge moyen au décès, a été mal interprétée car ce n'est pas à 25 ans que la majorité des Français mouraient. Après la première année de vie, la mortalité diminuait assez vite mais à l'âge de 10 ans, la moitié des enfants avaient disparu. Ceux qui survivaient jusqu'à 20 ans avaient encore devant eux une espérance de vie d'environ 35 ans : ils mouraient donc en moyenne autour de 55 ans. Un adulte sur deux approchait la soixantaine. Même s'ils étaient peu nombreux, il y avait des vieillards dont le rôle social était important.

    D'après les relevés de l'abbé Expilly, on sait que l'âge médian est 25 ans en 1780 : cela signifie que 50 % des Français ont moins de 25 ans à cette période. Les démographes ont eu tendance à confondre l'âge médian de la population avec son espérance de vie ! Ainsi 14 millions de Français sur 28 ont moins de 25 ans en 1790. La France est entrée de plain-pied dans la transition démographique : l'augmentation et la jeunesse de sa population ont des conséquences très favorables sur le dynamisme économique du pays.