Dans les années 1650, les tissus de coton imprimés appelés « Indiennes » se répandent en Europe et en France, avec l’intensification du commerce entre Orient et Occident. Ces étoffes légères aux décors colorés et variés, encouragent le goût des Européens pour l’exotisme et les Compagnies des Indes n’ont aucun mal à écouler leurs considérables cargaisons de toiles en provenance d’Inde.

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    Le secret technique des Indiennes repose sur le principe du « mordant », sel métallique imprimé à la planche de boisbois, qui fixe la matière colorante sur la fibre de coton lorsque le tissu est plongé dans un bain de teinture. Des ateliers d'indiennage ouvrent en Angleterre, en Hollande, en Suisse... En France, l'importation et la fabrication des toiles de coton imprimées connaissent un tel succès que les métiers lyonnais de la soie  et les manufactures royales de laine s'insurgent contre la forte concurrence de cette nouvelle activité. En octobre 1686, un Arrêt du Conseil d'État du Roi prohibe les « toiles de coton peintes aux Indes ou contrefaites dans le royaume ». Louis XIV et Colbert veulent protéger les manufactures textiles françaises : il est désormais interdit d'importer ou de fabriquer des Indiennes.

    Échantillons de planches d’impression avec maillet d’imprimeur et tissu imprimé, fin XVIII<sup>e</sup> siècle. Musée de la Toile de Jouy, Jouy-en-Josas. © Cliché Hervé Gyssels, Photononstop

    Échantillons de planches d’impression avec maillet d’imprimeur et tissu imprimé, fin XVIIIe siècle. Musée de la Toile de Jouy, Jouy-en-Josas. © Cliché Hervé Gyssels, Photononstop 

    Le tissu à l’indienne devient un phénomène de mode

    Cependant plus les mesures d'interdiction s'intensifient, plus le pouvoir monarchique échoue à enrayer ce véritable phénomène de mode qui va, pour la première fois, concerner toutes les classes sociales. Les Français veulent porter des Indiennes ! La prohibition encourage une très forte contrebande : les portesportes d'entrée des Indiennes étrangères sont les régions frontalières et les ports. Des ateliers d'indiennage existent sur le territoire du royaume pendant la période de prohibition (à Marseille, Le Havre, Rouen, Paris, Angers, Orange) mais ils ne peuvent vendre leur production qu'à l'étranger.

    Robe en Indienne, fin XVIII<sup>e</sup> siècle ; exposée au Musée de la Marine de Rochefort, propriété d’Anne Berthoud. © Cliché Isabelle Bernier

    Robe en Indienne, fin XVIIIe siècle ; exposée au Musée de la Marine de Rochefort, propriété d’Anne Berthoud. © Cliché Isabelle Bernier

    Une opportunité commerciale pour la ville de Mulhouse

    Ce contexte particulier explique l'essor des manufactures d'Indiennes à Mulhouse, petite république indépendante (rattachée à la France en 1798) enclavée dans la province d'Alsace. En 1746, des négociants mulhousiens financent la première manufacture de la ville, investissant leurs capitaux dans ce nouveau secteur envisagé comme une formidable opportunité commerciale. Les fabriques d'Indiennes qui s'implantent dans la cité bénéficient du contexte de la prohibition française qui est levée par Arrêt du Conseil d'État en octobre 1759. Cela leur permet de détenir une avance technique et commerciale très importante sur les manufactures qui s'installent dans le royaume dès les années 1760. En Alsace, en Normandie, à Paris, à Lyon, à Marseille, dans le Sud-Ouest, l'indiennage s'implante sur l'ensemble du territoire : la France compte environ cent-dix fabriques d'Indiennes en 1785 et vingt-quatre à Mulhouse.

    Les débuts de l’ère industrielle

    L'entreprise devenue la plus célèbre est la manufacture de Jouy-en-Josas, créée par Christophe-Philippe Oberkampf en 1760 : le motif monochrome (« toile de Jouy ») représentant généralement des personnages dans un décor champêtre devient mondialement connu et copié.

    Détail agrandi d’une toile de Jouy, « les occupations de la ferme », dessin de Jean-Baptiste Huet, manufacture Oberkampf, entre 1785 et 1792, impression à la plaque de cuivre et non à la planche de bois. © <em>Creative Commons</em>, domaine public
     
    Détail agrandi d’une toile de Jouy, « les occupations de la ferme », dessin de Jean-Baptiste Huet, manufacture Oberkampf, entre 1785 et 1792, impression à la plaque de cuivre et non à la planche de bois. © Creative Commons, domaine public

    À la fin du XVIIIe siècle, la manufacture d'Indiennes préfigure déjà le portrait de l'usine contemporaine avec la concentration des bâtiments industriels, des moyens de production et des hommes ; les besoins en main-d'œuvre sont nombreux et provoquent de massives migrations vers les villes manufacturières. La hiérarchisation des activités dans le processus de fabrication se structure et les investissements en capitaux de plus en plus importants font apparaître des sociétés par actions. Des activités complémentaires viennent se greffer autour de l'indiennage : tissage des toiles de coton (n'étant plus importés, ils sont fabriqués), élaboration de certains produits utilisés dans le processus d'impression, comme l'amidonamidon. La fabrication d'Indiennes sollicite également le secteur du charboncharbon (pour les chaudières de teinture des tissus) ou le commerce des produits tinctoriaux (indigo, garance, curcuma ...) et des produits chimiques.

    À savoir

    L'indiennage va contribuer à l'essor de l'industrie chimique qui lui est spécialement destinée dès la fin du XVIIIe siècle. À Rouen, la fabrication d'acide sulfurique apparaît en 1766 puis, à Lyon en 1787, jumelée à une fabrication d'acide nitrique. L'usine de Javel, à Paris, produit du chlore dès 1777 et fabrique également du vitriol. Les trois premières régions de la chimie sont nées !