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    L'histoire est riche de tentatives de rationalisation des correspondances entre sons et couleurs. Les premières réflexions sur ce sujet datent de l'Antiquité.

    Quelles sont les correspondances entre les sons et les couleurs ? © CristianFerronato - Domaine public

    Quelles sont les correspondances entre les sons et les couleurs ? © CristianFerronato - Domaine public

    AristoteAristote faisait remarquer que, de la même façon qu'il existe des sons mélodieux ou dissonants, il existe des couleurs agréables ou choquantes. Il considérait le noir et le blanc comme des couleurs extrêmes qui, mélangées en proportions convenables, conduisent à toutes les autres couleurs. Le philosophe pensait alors que l'harmonie des couleurs était régie par des relations entre nombres analogues à celles de l'harmonie musicale que les pythagoriciens avaient étudiées à l'aide de cordes vibrantes : les sons consonants correspondaient à des rapports simples des longueurs des cordes. Ainsi, un rapport de 2 pour l'octave, 3/2 pour la quinte, 4/3 pour la quarte, etc.

    La classification d'Aristote perdurera jusqu'au XVIIe siècle, et divers parallèles entre l'harmonie des couleurs et l'harmonie musicale furent proposées, comme celle de Marin Cureau de la Chambre (1596-1669).

    L’harmonie des couleurs mise en relation avec les intervalles musicaux par Marin Cureau de la Chambre dans : <em>Nouvelles observations et conjectures de l’iris</em> (1650). © Domaine public

    L’harmonie des couleurs mise en relation avec les intervalles musicaux par Marin Cureau de la Chambre dans : Nouvelles observations et conjectures de l’iris (1650). © Domaine public

    Il faudra attendre Newton pour apporter davantage de science dans la compréhension des couleurs. Son grand mérite est d'avoir montré que la lumière blanche n'est pas homogène mais constituée de divers rayons qui nous apparaissent différemment colorés et que l'on peut combiner pour reconstituer la lumière blanche.

    Cercle chromatique de Newton paru dans son ouvrage <em>Opticks </em>(1704). Les couleurs (dont les noms sont donnés en latin) ont été ajoutées, ainsi que la signification des lettres A, B, C, D, E, F, G qui correspondent en français aux notes la, si, do, ré, mi, fa, sol. © B. Valeur

    Cercle chromatique de Newton paru dans son ouvrage Opticks (1704). Les couleurs (dont les noms sont donnés en latin) ont été ajoutées, ainsi que la signification des lettres A, B, C, D, E, F, G qui correspondent en français aux notes la, si, do, ré, mi, fa, sol. © B. Valeur 

    Newton s'était efforcé d'établir une analogieanalogie entre les couleurs et les sept notes de la gamme diatonique : do, ré, mi, fa, sol, la, si, comme le montre son cercle chromatique. 

    Le physicienphysicien fondait cette analogie sur les largeurs des bandeslargeurs des bandes colorées que produit la décomposition de la lumière blanche du Soleil par un prisme : il les mettait en correspondance avec la longueur des cordes vibrantes capables d'émettre les notes de la gamme diatonique. En réalité, il est impossible d'isoler dans l'arc-en-ciel des bandes correspondant à une couleur donnée avec des frontières précises. Alors pourquoi cet illustre savant s'est-il aventuré à ce type de rapprochement vaseux ? À la fin de sa vie, sa volonté d'être en accord avec la cohérence de la création et l'harmonie du monde l'a emporté... au détriment de la rigueur scientifique. C'est particulièrement vrai pour l'indigo : il l'a introduit dans sa liste de couleurs pour que celle-ci en comporte sept. Newton était très influencé par la symbolique de ce chiffre rencontré fréquemment dans l'histoire et la religion. Alors, si on vous appris que l'arc-en-ciel comportait sept couleurs : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge, c'est Newton qui est le responsable de cette idée reçue qui n'a aucun fondement scientifique.

               Analyse statistique des correspondances entre sons et couleurs : diagramme réalisé à partir des propositions de 38 auteurs, recensées par Philippe Junod (dans <em>La couleur</em>, éditions Le léopard d'or, 1994, pp. 63-82). Les propositions les plus fréquentes sont reportées à droite sur une octave d’un instrument à clavier. © B. Valeur

               Analyse statistique des correspondances entre sons et couleurs : diagramme réalisé à partir des propositions de 38 auteurs, recensées par Philippe Junod (dans La couleur, éditions Le léopard d'or, 1994, pp. 63-82). Les propositions les plus fréquentes sont reportées à droite sur une octave d’un instrument à clavier. © B. Valeur

    Newton était loin d'être le seul à vouloir faire correspondre couleurs et notes de la gamme. Jusqu'à nos jours, les propositions se chiffrent par dizaines. De leur grande diversité émerge néanmoins une préférence subjective pour l'association de la gamme diatonique ascendante aux couleurs spectrales dans l'ordre des longueurs d'ondelongueurs d'onde décroissantes, c'est-à-dire des fréquencesfréquences croissantes, ce qui est physiquement justifié. La figure ci-dessus montre les correspondances les plus fréquemment proposées.

    Abordons maintenant la question de fond : peut-on établir une correspondance entre sons et couleurs de façon rationnelle sur la base des caractéristiques des ondes sonoresondes sonores et lumineuses ? Du point de vue des fréquences des ondes, aucun pont ne peut être jeté entre les sons et des couleurs : il n'y a pas de recouvrement entre les domaines de fréquences des sons audibles par l'oreille humaine (de 20 à 20.000 hertzhertz) et des ondes lumineuses visibles par l'œil humain (400.000 milliards à 800.000 milliards de hertz). Il n'y a pas non plus recouvrement des domaines de longueurs d'onde : de 1,7 cm à 17 m pour les ondes sonores dans l'airair, et de 400 à 700 nm (nanomètresnanomètres) pour la lumière. Peut-on passer d'un domaine de fréquences à l'autre par un facteur multiplicatif ? Impossible. Un intervalle d'une octave correspond au doublement de la fréquence. Or le domaine de fréquences de la lumière visible s'étend sur environ une octave alors que les fréquences sonores couvrent plus de 10 octaves !

    Plaçons-nous maintenant sur le plan de la physiologie de la perception en rappelant que la couleur n'existe pas en soi : c'est une constructionconstruction de notre cerveaucerveau. À une longueur d'onde donnée de la lumière, notre cerveau associe une couleur, mais l'inverse n'est pas vrai : l'impression de jaune peut résulter aussi bien d'une lumière monochromatique à 580 nm que d'un mélange de lumières verte (530 nm) et rouge (700 nm). Il n'y a donc pas de relation biunivoque entre couleur et longueur d'onde (ou fréquence). En revanche, notre oreille sait distinguer un son pur (une seule fréquence) et un son complexe (plusieurs fréquences), et reconnaître plusieurs notes dans un accord.

    Pour toutes ces raisons, la correspondance son-couleur est impossible sur des bases rationnelles. Et pourtant... certaines personnes ont une sensation colorée en entendant des sons : c'est l'audition colorée ou synopsiesynopsie.