La Russie poursuit ses étranges manœuvres en orbite. Un satellite d’observation, supposé être inactif, a réalisé un changement d’orbite pour rejoindre un autre satellite russe dont la mission est secrète. Une compagnie américaine a scruté leur inquiétant ballet, mettant en lumière une nouvelle forme de guerre dans l’espace.


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    L'affaire remonte à à la fin de l'année 2022 et a été révélée par la compagnie américaine LeoLabs, spécialisée dans la traque de satellites en orbite depuis le sol terrestre. Deux satellites russes se sont mis à réaliser des manœuvres conjointes de rendez-vous et de proximité. Une démonstration de capacité que l'armée russe s'est bien gardée de communiquer.

    Duo dangereux en orbite basse

    Le premier satellite est un ancien satellite d'observation à haute résolutionrésolution du gouvernement russe, nommé Resurs-P3. Celui-ci s'est transformé en satellite zombie. Peu après son lancement en 2016, Resurs-P3 est supposé non-opérationnel à la suite de l'échec du déploiement d'un de ses panneaux solaires. Pourtant, le 11 novembre 2022, celui-ci change radicalement d'orbite pour rejoindre celle du satellite de l'armée CosmosCosmos-2562, dont la charge utile est inconnue.

    D'abord, Resurs-P3 s'est rapproché de Cosmos-2562, puis pendant un an, les deux ont exécuté des manœuvres une à deux fois par semaine. © LeoLabs
    D'abord, Resurs-P3 s'est rapproché de Cosmos-2562, puis pendant un an, les deux ont exécuté des manœuvres une à deux fois par semaine. © LeoLabs

    À quoi ont-ils joué ? LeoLabs estime que Cosmos-2562 dispose de capteurscapteurs électro-optiques capables d'imager avec une bonne résolution la charge utile d'un satellite duquel il se rapproche. Resurs-P3 aurait joué la cible. LeoLabs estime également que Cosmos-2562 est en mesure de collecter des signaux électroniques reçus par un satellite dont il est proche. S'il est difficile de décrypter les informations échangées par ce satellite, l'armée russe peut tout de même identifier les bandes de fréquencesbandes de fréquences utilisées et les brouiller.

    Watch space zombies

    LeoLabs alerte sur le besoin de surveiller davantage des satellites supposés inactifs, pouvant se transformer en zombie. Déjà, lors de l’exercice français de guerre spatiale AsterX23 du Commandement de l'Espace de l'Armée de l'Air et de l'Espace, le scénario prenait en compte un satellite ennemi dormantdormant en orbite géostationnaire, lequel se réveille pour attaquer un satellite de télécommunication Syracuse.

    Le 17 octobre dernier, Resurs-P3 s'est désorbité, et Cosmos-2562 pourrait bien le suivre d'ici peu, d'après les données de LeoLabs. La Russie continue ses manœuvres discrètes en orbite. En octobre dernier, un satellite espion s’était approché de satellites de communication en orbite géostationnaire.

    Les satellites en orbite géostationnaire sont rigoureusement suivis. Certains sont espionnés par des satellites classifiés, comme le Russe Luch Olymp. © Kratos Defence
    Les satellites en orbite géostationnaire sont rigoureusement suivis. Certains sont espionnés par des satellites classifiés, comme le Russe Luch Olymp. © Kratos Defence

    La guerre des étoiles entre la Chine et les États-Unis a-t-elle déjà commencé ?

    Article de Daniel ChrétienDaniel Chrétien, publié le 23 février 2023

    L'événement date de 2022 mais rappelle à quel point les orbites peuvent être surveillées. La Chine envoie de plus en plus de satellites espions dans l'espace, cherchant à montrer aux États-Unis qu'ils ne sont pas les seuls maîtres là-haut.

    C'est un étrange numéro que jouent la Chine et les États-Unis en orbite géostationnaire. Espionnage ou intimidation ? Ce qui est sûr, c'est que ce genre d'incident avec la Chine (tout comme avec la Russie) est de plus en plus fréquent. Sur le plan de la sémantique, il est difficile de qualifier ces événements autrement que comme des incidents, plutôt que comme des actes de guerre. Car les intentions restent encore trop confuses.

    La puce à l'oreille

    Le 23 décembre 2021, une fuséefusée Long March 7A décolle du Wenchang Space Center et dépose les deux satellites Shiyan-12 01 & 02 en orbite de transfert géostationnaire. Ces satellites du gouvernement chinois ont un but classifié, ils sont référencés comme des démonstrateursdémonstrateurs de manœuvres en orbite haute.

    Dans les premiers mois de 2022, les deux satellites atteignent leur position en orbite géostationnaire. Leur arrivée met la puce à l'oreille aux États-Unis. Le gouvernement américain décide d'envoyer un de leurs satellites espions à proximité des Shiyan-12. Le Pentagone dispose de plusieurs satellites de surveillance du trafic spatial en orbite géostationnaire. Sa constellation GSSAP a été déclassifiée et dévoilée au public en 2014. Au début 2022, deux nouvelles unités rejoignaient l'orbite géostationnaire.

    Le ballet entre les satellites USA 270 et les Shiyan-12. © Comspoc

    Manœuvres et contre-manœuvres

    Peu après leur arrivée, le satellite espion américain USA 270 change sa position pour se rapprocher des Shiyan-12 afin de voir à qui on a affaire. À son approche, les satellites chinois se sont alors déplacés de part et d'autre d'USA 270. Shiyan-12 02 s'est alors placé entre USA 270 et le Soleil. Cette position lui permettait de voir la face éclairée du satellite espion américain. Avec le Soleil dans les yeuxyeux, USA 270 avait du mal à traquer Shiyan-12 02.

    Les États-Unis savent désormais à qui ils ont affaire. Ils ne sont plus les seuls à pouvoir inspecter d'autres satellites en orbite géostationnaire. Avec la paire Shiyan-12, la Chine le peut aussi. Ce genre d'événement est de plus en plus fréquent, et de plus en plus traqué.

    Tracé du ballet d'USA 270 et des Shiyan-12 01 & 02. Ce dernier se place à la fin entre le Soleil et USA 270, position idéale. © Comspoc
    Tracé du ballet d'USA 270 et des Shiyan-12 01 & 02. Ce dernier se place à la fin entre le Soleil et USA 270, position idéale. © Comspoc

    La Chine teste ses capacités en orbite haute

    L'image de l'orbite géostationnaire change peu à peu. On connaît bien son utilité pour accueillir les gros satellites de télécommunication. Mais de plus en plus d'entre eux servent essentiellement de support aux communications des forces armées en opération au sol, comme c'est le cas avec les satellites français Syracuse.

    Certaines manœuvres auprès de ces éléments stratégiques peuvent mettre en difficulté les opérations au sol. En 2018, l'ancienne ministre de la Défense Florence Parly avait révélé que les communications du satellite franco-italien en orbite géostationnaire Athena-Fidus avaient été interceptées par un satellite russe, et avait qualifié cet incident « d'acte d'espionnage ».

    Le satellite Athena-Fidus en salle anéchoïde. L'interception de ses communications par le satellite espion russe Louch-Olymp a notamment servi de prétexte à la France pour disposer d'un commandement de l'espace. © Thales Alenia Space
    Le satellite Athena-Fidus en salle anéchoïde. L'interception de ses communications par le satellite espion russe Louch-Olymp a notamment servi de prétexte à la France pour disposer d'un commandement de l'espace. © Thales Alenia Space

    La Chine a même montré sa capacité à capturer un satellite en orbite géostationnaire. En janvier 2022 également, le satellite de nettoyage d'orbite Shijian-21 capture un satellite du réseau GPSGPS chinois Beidou et le transporte vers une orbite cimetièreorbite cimetière, 3 000 kilomètres plus haut, pour libérer l'espace, puis redescend à sa place. Les Américains avaient réussi ces manœuvres de rendez-vous avec les véhicules d’extension de mission MEV de Northrop Grumman.

    Trajectoire de Shijian-21 et du satellite défunt Beidou-2 G2. © Comspoc

    Une intensité inédite du trafic

    Si le problème de surpopulation en orbite basse est bien connu, l'orbite géostationnaire est de plus en plus peuplée elle aussi. Contre 480 satellites opérationnels en 2017, il y en a désormais près de 600 aujourd'hui ! La surveillance du trafic à cette altitude s'est également accrue et est plus transparente. Grâce à des structures comme Comspoc, les manœuvres de la Chine longtemps restées secrètes sont désormais connues du grand public.