Pour comprendre les propriétés électroniques de toute une catégorie de nouveaux matériaux(1), les physiciens proposent des concepts théoriques que seule l'expérimentation peut valider. De nombreuses années peuvent s'écouler entre la description qualitative d'un phénomène et sa compréhension en profondeur. C'est le cas d'un phénomène appelé "transition de Mott" décrit dès 1949. La revue Science du 3 octobre publie la première étude fine de ce phénomène, menée par des chercheurs du CNRS.

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    Cette avancée de la physique fondamentale résulte d'une collaboration entre les expérimentateurs Patrice Limelette, Denis Jérome et Pawel Wzietek du Laboratoire de Physique des Solides d'Orsay (CNRS - université de Paris Sud) et le théoricien Antoine Georges du Laboratoire de physique théorique de l'Ecole Normale Supérieure (CNRS - ENS - Université de Paris 6), ainsi que les chimistes P. Metcalf et J.M Honig de l'Université Purdue (USA).

    Lorsque les interactions entre les électrons d'un métal deviennent trop fortes, il peut se produire une localisation des électrons qui restent accrochés aux atomes constituant le réseau cristallinréseau cristallin. Le transport de charge n'est alors plus possible : le solide devient un isolant. Cet isolant est cependant d'une nature bien différente des isolants conventionnels (comme les semi-conducteurs par exemple). Il porteporte le nom d'isolant de Mott, du nom de Sir Nevil Mott, prix Nobel 1977, qui avait compris ce mécanisme physique dès 1949. Ce phénomène joue un rôle essentiel dans la physique de toute une classe de matériaux, les "matériaux à électrons fortement corrélés", qui sont l'objet d'un intérêt considérable depuis une quinzaine d'années.

    Comme tout changement d'état entre deux phases de la matièrematière, la transition entre un métal et un isolant de Mott doit obéir à des lois bien précises, de nature thermodynamiquethermodynamique par exemple, que décrivent la théorie de phénomènes critiques. Un des exemples les plus familiers est celui d'un fluide que l'on chauffe jusqu'à ce qu'il se vaporise. Cette transition entre l'état liquideétat liquide et l'état gazeuxétat gazeux est en général discontinue (on connaît le diagramme de phasesdiagramme de phases de la transition liquide-gaz depuis le 19ème siècle). Au point critique de ce diagramme, la transition devient continue. A ce point, les propriétés de la transition deviennent similaires à celles d'un très grand nombre d'autres systèmes physiques sans lien apparent avec la transition liquide-gaz d'un fluide : par exemple la transition correspondant à l'apparition du ferromagnétismeferromagnétisme. Les physiciensphysiciens parlent d'universalité du comportement critique au point de transition.

    L'expérience menée par les chercheurs du CNRS révèle qu'à travers la transition de Mott les électrons d'un solide subissent un changement d'état qui possède toutes les caractéristiques de la transition liquide-gaz dans un fluide. De manière imagée, on peut considérer que, dans la phase métallique, les atomes ayant perdu un électron ou ayant un électron en trop sont très nombreux : il s'agit d'une phase de haute densité analogue à l'état liquide. Dans l'isolant de Mott, au contraire, ces configurations électroniquesconfigurations électroniques sont rares et de ce point de vue cette phase est analogue à un état gazeux. L'expérience a permis de montrer quantitativement que les lois d'échelle de la transition métal-isolant de Mott sont identiques à celles de la transition liquide-gaz, la conductivitéconductivité jouant le rôle de la densité de fluide. On peut considérer que l'électron se comporte comme une onde du coté métallique de la transition, et comme une particule du coté isolant.

    Les expériences d'Orsay ont été effectuées sur un matériaumatériau qui constitue l'exemple le plus spectaculaire d'une transition de Mott : l'oxyde de vanadiumvanadium(2). Comme toute recherche dans ce domaine, l'élaboration d'une structure chimique de haute qualité constitue le point de départpoint de départ du matériau étudié. L'équipe française a ainsi collaboré avec des spécialistes reconnus de la chimiechimie de ce matériau. La technique utilisée est unique dans le domaine des mesures fines sous pressionpression. Un balayage en pression est couplé à des mesures de transport, dans un régime de haute température (300 à 500 degrés KelvinKelvin) avec une stabilité en température d'une fraction de degré. Un très grand nombre de point de mesures de conductivité a été effectué. L'analyse de ces données a révélé les comportements critiques universels de la transition de Mott(3).

    Cette expérience confirme ainsi certaines prédictions des approches théoriques de cette transition, développées au cours de ces dernières années par les théoriciens français et américains.

    Notes :

    (1) Ce sont les matériaux à électrons fortement corrélés, dont les oxydes de métauxmétaux de transition constituent un exemple important (et parmi, eux les oxydes de cuivrecuivre supraconducteurssupraconducteurs à haute température). Les propriétés électroniques remarquables de ces oxydes sont susceptibles d'avoir des applicationsapplications dans le domaine de la micro-électronique et des technologies de l'information et de la communication.
    (2) Les propriétés remarquables de l'oxyde de vanadium V2O3 ont été mises en évidence pour la première fois par Marc Foëx, chercheur au laboratoire CNRS de Bellevue (publication aux Comptes Rendus de l'Académie des Sciences en 1946). Cet oxyde a également été l'un des grands thèmes de recherche des laboratoires Bell aux Etats-Unis dans les années 70.
    (3) La transition de Mott a aussi été observée et étudiée en détails par le Laboratoire de physique des solides d'Orsay dans les conducteurs organiques, matériaux mis en valeur par la découverte de la supraconduction organique dans le même laboratoire en 1980.