Les propriétés des solides, comme la conduction, ne s'expliquent vraiment qu'avec la mécanique quantique. Il y a 67 ans, le grand physicien David Pines avait prédit l'existence de quanta d'énergie exotique dans le gaz d'électron des métaux, quanta qui n'avaient jamais été encore détectés et qui pourraient jouer un rôle dans des matériaux supraconducteurs exotiques. Le démon de Pines, comme on appelle ces particules exotiques, vient finalement de tomber dans le piège tendu par les physiciens.


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    L'existence des neutrinosneutrinos avait été prédite au tout début des années 1930 mais il a fallu attendre le milieu des années 1950 pour les détecter. De même le boson de Brout-Englert-Higgs avait été prédit au milieu des années 1960 et il faudra attendre le début des années 2010 pour faire sa découverte expérimentale.

    Il s'agissait dans les deux cas de particules que nous considérons comme élémentaires, bien que certaines théories aient été proposées pour les décrire comme des particules composites. Dans un avenir proche, nous le saurons peut-être. Il en va tout autrement pour les particules dont l'existence avait été prédite théoriquement dans le domaine de la physique du solide il y a presque 67 ans, en 1956, par le physicienphysicien états-unien David Pines.

    Le chercheur avait été amené à introduire une nouvelle quasi-particule. Il s'agissait d'un nouvel avataravatar des états quantiques analogues aux photons des ondes électromagnétiques, mais émergeant d'un traitement quantique de certaines ondes dans un milieu constitué d'un très grand nombre de particules. L'exemple le plus simple et le plus connu étant celui des phonons. En effet, on sait bien qu'il existe des ondes sonoresondes sonores dans les solides. Les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique imposent à ces ondes d'avoir comme la lumièrelumière un aspect corpusculaire, l'énergieénergie sonique ne peut donc exister que sous la forme de paquetspaquets d'énergie.

    David Pines et David Bohm avaient découvert théoriquement en 1952 l'existence des plasmonsplasmons dans les métauxmétaux.


    Les bandes d'énergie et la théorie quantique de la conduction dans les métaux. © Synchrotron Soleil

    Un gaz d'électrons dans des bandes d'énergie

    On sait qu'un métal est un réseau cristallinréseau cristallin d'atomesatomes dans certaines conditions. La mécanique quantique nous dit que les électronsélectrons dans les atomes se trouvent sur des niveaux d'énergie. Quand des atomes se retrouvent dans un cristal, ils exercent sur eux des forces, de sorte que ces niveaux d'énergie se démultiplient tout en étant très serrés. Comme le montre la vidéo ci-dessus, il se forme alors au lieu d'une série discrète de niveaux d'énergie très minces une série de bandes d'énergie. Dans la bande dite de valencevalence, les électrons restent collés à leurs atomes mais dans la bande de conductionbande de conduction, une partie des électrons des atomes peut se déplacer librement en constituant une sorte de gazgaz ou de fluide chargé.

    Là aussi, les lois de la mécanique quantique nous disent que des ondes sonores dans ce gaz d'électrons vont être constituées de paquets d'énergie que l'on a appelés tout naturellement des plasmons. Ces quasi-particules se comportent comme si elles étaient chargées et avec une massemasse assez importante, de sorte qu'il faut de l'énergie pour les créer.

    En 1956, Pines découvre qu'il existe d'autres quasi-particules cousines des plasmons dans le gaz d'électrons libres des métaux. Cette fois-ci, les quanta d'énergie sont sans masse et sans charge et ne peuvent donc pas produire du rayonnement en mouvementmouvement ni être affectés par les champs électromagnétiqueschamps électromagnétiques. Pines appelle donc ces particules élusives des « démonsdémons ». Ce sont elles qu'une équipe de chercheurs dirigée par Peter Abbamonte, professeur de physique à l'université de l'Illinois à Urbana-Champaign (États-Unis), annonce avoir découvert dans un article publié dans Nature.

    Comme on l'a dit, les plasmons sont massifs, de sorte qu'à température ambiante il n'y a pas assez d'énergie, d'une certaine façon, pour les créer. Ce n'est pas le cas pour les démons, ce qui a laissé penser depuis longtemps qu'il pourrait exister à toute température et surtout être impliqués, paradoxalement et indirectement, dans certains phénomènes de supraconduction exotiquesexotiques.

    Une découverte fortuite avec des faisceaux d'électrons

    Malheureusement, la neutralité des démons signifie qu'ils ne laissent pas de signature dans les expériences standards sur la matièrematière condensée. Comme l'explique Abbamonte, dans un communiqué de l'University of Illinois, en physique du solide, « la grande majorité des expériences sont réalisées avec la lumière et mesurent des propriétés optiques, mais le fait d'être électriquement neutre signifie que les démons n'interagissent pas avec la lumière. Un type d'expérience complètement différent était nécessaire » et c'est pourquoi il a fallu autant de temps pour mettre en évidence expérimentalement les démons.

    En fait, il s'agit d'une découverte par sérendipitésérendipité.

    Une découverte fortuite. Abbamonte et ses collaborateurs étudiaient le ruthénate de strontiumstrontium, un métal similaire aux supraconducteurssupraconducteurs à haute température sans en être un, en espérant y trouver des indices pour la quête du Graal de la supraconductivitésupraconductivité à température ambiante.

    Les physiciens avaient donc entrepris de mesurer ce qui se passait quand des faisceaux d'électrons traversaient une feuille de ce métal. C'est en mesurant les caractéristiques des électrons en sortie qu'ils sont tombés sur un effet inattendu, techniquement ce qui est appelé un mode électronique sans masse. C'est en cherchant une explication qu'ils ont fini par se rendre à l'évidence, ils observaient les effets de la présence des démons de Pines, 67 ans après la prédiction théorique du chercheur.

    David Pines (1924–2018). © Minesh Bacrania
    David Pines (1924–2018). © Minesh Bacrania

    Le saviez-vous ?

    Le physicien David Pines est surtout connu pour ses travaux sur la théorie quantique des mouvements collectifs des électrons dans les métaux. Mais il doit aussi sa célébrité aux extensions de cette théorie aux supraconducteurs, aux noyaux atomiques et aux étoiles à neutrons. Il avait entrepris des études de physique à l'Université de Californie à Berkeley avec l’espoir de devenir le thésard de Robert Oppenheimer après-guerre, en allant ensuite à l’Université de Princeton à la fin des années 1940.

    Mais Oppenheimer n’étant pas disponible, c’est un de ses anciens étudiants, David Bohm, qui va diriger son doctorat. Bohm s’est fait connaître notamment par sa théorie alternative de la mécanique quantique. Pines et Bohm vont montrer que le gaz d’électron dans les métaux peut se comporter comme un plasma avec des ondes de densité que l’on peut quantifier comme c’est le cas pour les ondes sonores dans un solide.

    Après sa thèse, il est parti en 1952 à l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign (UIUC) pour travailler avec le physicien John Bardeen avec lequel il découvrira en 1954 parmi les premiers éléments de la théorie de la supraconductivité ordinaire, appelée désormais de Bardeen-Cooper-Schrieffer (BCS) et développée en 1957. En collaboration avec le prix Nobel de physique Aage Bohr, il va comprendre et montrer que l’on peut appliquer la théorie BCS à la physique nucléaire. Il appliquera aussi plus tard la théorie des superfluides aux étoiles à neutrons.