Futura-Sciences était à Cadarache pour décrypter Iter et le projet West, des étapes importantes pour produire un jour de l'électricité commerciale avec un réacteur thermonucléaire, via la fusion contrôlée. Ce deuxième volet fait la lumière sur un élément clé d’Iter, un « divertor » en tungstène refroidi par l’eau, qui n’a encore jamais été testé dans un réacteur sur une longue durée de fonctionnement. C'est précisément l'objectif du projet West avec le tokamak Tore Supra.

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    C'est après la seconde guerre mondiale que l'humanité a commencé à explorer le chemin menant à la fusion contrôlée. L'histoire de la fusion débute vraiment avec les travaux des chercheurs britanniques, mais ce sont les physiciensphysiciens russes qui vont faire les progrès les plus significatifs avec les machines dont Iter sera l'héritier, les tokamaks. On ne peut être que stupéfait par le fait que les performances des tokamaks progressent depuis 50 ans en suivant quasiment la loi de Mooreloi de Moore.

    Les performances des accélérateurs de particules évoluent presque aussi vite et ce qui n'a rien d'étonnant puisqu'il s'agit là aussi de maîtriser des paquetspaquets de particules chargés dans un vide poussé, plongés dans des champs électromagnétiques. De plus, les aimants du LHC, l'accélérateur le plus puissant au monde, sont directement extrapolés de ceux de Tore Supra, le tokamak du CEA. Par ailleurs, l'un des anciens directeurs du Cern, Robert Aymar, a été le chef de projet de Tore Supra.

    Une vue de Tore Supra. Les expériences sur la fusion contrôlée sont réalisées en injectant des glaçons de deutérium de 3,5 mm lancés jusqu'à 4 km/s. C'est dans la partie centrale du plasma, dans le tore, que les températures sont les plus élevées. Son chauffage est assuré grâce à l'injection d'ondes électromagnétiques. © CEA

    Une vue de Tore Supra. Les expériences sur la fusion contrôlée sont réalisées en injectant des glaçons de deutérium de 3,5 mm lancés jusqu'à 4 km/s. C'est dans la partie centrale du plasma, dans le tore, que les températures sont les plus élevées. Son chauffage est assuré grâce à l'injection d'ondes électromagnétiques. © CEA

    Rappelons que Tore Supra est le plus grand tokamak à aimants supraconducteurs au monde. La machine européenne Jet (Joint European Torus) est bien la plus grande installation de recherche sur la fusion existante, capable de fusionner du deutérium et du tritium (ce qui n'a pas été accompli avec Tore Supra). Mais ses aimants n'exploitent pas le phénomène de la supraconduction et il y a donc de fortes pertes par effet Jouleeffet Joule. De plus, contrairement à Tore Supra et comme bien d'autres tokamaks, les éléments du Jet face au plasma ne sont pas refroidis en permanence comme ce sera le cas avec IterIter. Surtout, le Jet ne permet pas de créer des plasmas performants sur de longues duréesdurées.

    Presque les mêmes conditions qu'à la surface du Soleil

    Des aimants supraconducteurs, une paroi interne face au plasma refroidie en permanence par un circuit d'eau à haute pressionpression et la capacité de produire des plasmas stables sur le long terme, voilà des caractéristiques que Tore Supra partage avec Iter. Grâce à un dispositif appelé Limiteur pompé toroïdal (LPT) placé sur son plancherplancher, et qui est le lieu principal d'échange de chaleurchaleur entre le plasma et le tokamak, Tore Supra a atteint le record du monde de durée pour un plasma quasi stationnaire le 4 décembre 2003 : 6 minutes et 30 secondes. Un dispositif similaire fait partie de ce que l'on appelle un divertor.

    Cet élément assure plusieurs fonctions essentielles. L'une d'elles consiste à dévier (divert en anglais) puis soustraire du plasma les noyaux d'héliumhélium produits par la fusion nucléairefusion nucléaire, une fois qu'ils lui ont communiqué leur énergieénergie. Sans cette extraction, la réaction de fusion serait perturbée par l'accumulation de ces noyaux. L'autre fonction est de recevoir l'essentiel des flux de chaleur provenant du plasma.

    Comme avec le LPT, la partie du divertor en contact avec le plasma doit être capable de supporter des flux de chaleur très importants, pouvant atteindre 10 à 20 MW par m2. On prend toute la mesure de la contrainte pesant sur les ingénieurs lorsque l'on compare ces flux à ceux qui règnent à la surface du Soleil : environ 70 MW par m2 par avec une température de 6.000 K.

    Lorsqu'il fonctionnait encore, Tore Supra était piloté à partir d'une salle de contrôle où les chercheurs surveillaient le plasma grâce aux multiples capteurs équipant le tokamak. Un écran permettait de voir à l'intérieur de la machine. Comme le montre la photo, le plancher du tore est une zone de contact importante avec le plasma. Le plasma central, à très haute température, émet dans une gamme de longueurs d'onde différente (vers les rayons X) et apparaît transparent pour la caméra. © P. Stroppa, CEA

    Lorsqu'il fonctionnait encore, Tore Supra était piloté à partir d'une salle de contrôle où les chercheurs surveillaient le plasma grâce aux multiples capteurs équipant le tokamak. Un écran permettait de voir à l'intérieur de la machine. Comme le montre la photo, le plancher du tore est une zone de contact importante avec le plasma. Le plasma central, à très haute température, émet dans une gamme de longueurs d'onde différente (vers les rayons X) et apparaît transparent pour la caméra. © P. Stroppa, CEA

    Un divertor en tungstène pour la fusion avec le tritium

    Il est possible de supporter ces flux sans que la paroi du tokamak face au plasma ne se vaporise. Dans le cas de Tore Supra, une couche du type des matériaux composites en fibre de carbonefibre de carbone ou CFCCFC (bien connu dans le domaine de l'industrie spatiale) fait l'affaire. Elle est liée à un puits de chaleur en cuivrecuivre, refroidi par la circulation d'eau pressurisée à une température d'environ 200 °C. Malheureusement, le carbone a tendance à se lier chimiquement avec le tritium utilisé pour la réaction de fusion, lequel n'est finalement qu'un isotopeisotope de l'hydrogènehydrogène. Or, le tritium est très rare sur Terre, car il est radioactif et se désintègre avec une période de 12,3 années. On sait le produire artificiellement dans des centrales à eau lourde de type Candu (CANada Deuterium UraniumUranium en référence à l'utilisation de l'oxyde de deutériumoxyde de deutérium, soit eau lourde, et du combustiblecombustible à l'uranium naturel), mais en faibles quantités.

    En tapissant l'intérieur d'un tokamak avec du lithiumlithium, le flux de neutronsneutrons à 14 MeV produits par la réaction de fusion permet la transformation de ce lithium en tritium et hélium. Mais l'on ne sait pas encore maîtriser ce flux avec des matériaux capables de le supporter longtemps : c'est l'objectif des recherches menées avec l'International Fusion Materials IrradiationIrradiation Facility (IFMIF). Il faudra donc alimenter Iter en tritium et il ne sera pas acceptable que celui-ci soit rapidement consommé par le carbone de son divertor. Une solution est connue depuis longtemps : remplacer la couche de carbone par du tungstènetungstène (de symbole chimique W à cause du minéralminéral appelé wolframitewolframite qui en contient). C'est précisément ce qui fait tout l'intérêt du projet West (W Environment in Steady-state Tokamak en anglais, où W est le symbole du tungstène) porté par le CEA.


    Le divertor d'Iter est bien visible dans cette vidéo d’explication du projet West. On voit aussi une présentation de Tore Supra une fois que ses modifications seront terminées. Il contiendra alors des éléments en tungstène refroidis et l'équivalent du divertor d'Iter. Toute la question est de savoir comment vont se comporter le plasma et le tungstène sur de longues durées dans cette configuration. © Matière vidéos, CEA, YouTube

    West, un banc d'essai pour Iter

    C'est Gabriele Fioni, l'actuel directeur des sciences de la matièrematière du CEA qui a pris la décision formelle de se lancer dans cette grande aventure cette année. « Le lancement de ce projet appelé West était urgent, car West devra répondre à des questions essentielles sur les matériaux qui seront utilisés dans Iter. Iter Organization soutient ce projet et nous demande d'être prêts dès 2015 », souligne-t-il. Selon Alain Bécoulet, chef de l'Institut de recherche sur la fusion magnétique (IRFM) : « C'est le projet West qui fait entrer Tore Supra dans le groupe des machines qui préparent Iter. »

    Le but de West est de permettre la mise au point d'un divertor avec du tungstène dans des conditions de fonctionnement proche d'Iter en modifiant dans ce but Tore Supra. Des tests de résistancesrésistances d'éléments en tungstène ont déjà été effectués aux conditions qui régneront dans Iter. Jet a ainsi permis de mesurer l'influence de pièces en tungstène non refroidies sur les performances du plasma de fusion. Malheureusement, les caractéristiques des pièces refroidies et non refroidies sont très différentes. Le concept de divertor avec des éléments en fibre de carbone a aussi déjà été testé avec Tore Supra.

    Il reste donc à déterminer comment va se comporter un tokamak comme Tore Supra et a fortiori Iter, avec un divertor refroidi utilisant du tungstène. Faudra-t-il modifier les conditions d'obtention d'un plasma stable, ou corriger des instabilités non désirées qui pourraient apparaître ? Comment va vraiment se comporter le tungstène exposé à des plasmas stables pendant de longues durées ? Il était prévu de commencer avec un divertor en carbone pour Iter, mais le tungstène devait lui succéder. On pense maintenant que les expériences pourraient directement débuter avec un divertor en tungstène. Le projet West offre la possibilité de prendre les devants et de faire des économies aussi bien de temps que d'argentargent.

    La fusion sera chaude, pas froide

    Une partie du financement du projet West a déjà été trouvée, mais Gabriele Fioni ne cache pas que dans le contexte économique actuel, même pour des projets qui auront des retombées directes sur la vie de milliards de personne, il est difficile de trouver des crédits. Pourtant, West est clairement une étape importante pour le succès d'Iter et à plus long terme de Demo. Rien que pour la région Paca, les débuts du projet Iter ont rapporté indirectement presque un milliard d'euros, et ce n'est qu'un début.

    Malgré des annonces répétées, la fusion froide reste une chimèrechimère qu'aucune expérience n'a jamais démontrée. Gabriele Fioni se souvient de son intérêt lors de la fameuse annonce de Fleischmann-Pons en 1989 et il avait même tenté de refaire l'expérience, sans succès. Il rappelle que si les deux chimistes avaient vraiment obtenu une réaction de fusion, la production de neutrons aurait dû les tuer. Iter semble plus que jamais mériter son nom, et le chemin vers la fusion contrôlée passe par West.