Dans son rapport annuel, la Cour des comptes, qui contrôle le bon emploi et la bonne gestion des fonds publics, s'est intéressée au programme Ariane 6. Elle note que ce lanceur pourrait ne pas être suffisamment compétitif à très court terme et préconise, notamment, une évolution rapide. Si l'analyse globale de la Cour des comptes est bonne, nous avons jugé certains commentaires comme des approximations (des raccourcis) et contrevérités que nous souhaitons expliquer. 


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    Dans son dernier rapport, la Cour des comptes, l'organisme en charge de contrôler le bon emploi et la bonne gestion des fonds publics, s'est notamment intéressée à la politique des lanceurs spatiaux. Elle a donc audité le programme Ariane 6. Prévu pour juillet 2020, ce lanceur qui succédera à Ariane 5Ariane 5 a été conçu pour rivaliser efficacement avec ses concurrents et s'adapter à la nouvelle donne du modèle économique du New Space.

    Or, pour les fonctionnaires et les magistrats financiers de la Cour des comptes, Ariane 6Ariane 6 n'apparaît pas « suffisamment compétitif pour s'imposer et risque de ne pas être durablement compétitif face à la concurrence américaine, notamment de SpaceXSpaceX et son Falcon 9 ». La Cour des comptes estime qu'Ariane 6 accuse un retard technologique car ArianeGroup, la société qui réalise Ariane 6, et l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne qui la finance, ont «  fait le choix prudent du recours à des technologies maîtrisées par rapport à celui de la rupture technologique du réutilisable, à laquelle les acteurs européens ne croyaient pas en 2014 », date à laquelle a été décidée Ariane 6.

    Selon nous, ce point de vue de la Cour des comptes sur le programme Ariane 6 n'est pas aussi pertinent qu'il y paraît. S'il est vrai qu'avec Ariane 6 les coûts d'utilisation et de développement sont les critères principaux de son développement, d'où le choix d'un lanceur cost driven, plutôt qu'un lanceur de rupture, tel que l'a été Ariane 5 lors de sa mise en service en juin 1996 (techno driven), il n'est pas certain que la réutilisabilité soit économiquement pertinente. 

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    En soulignant que sur le plan technologique SpaceX maîtrise la récupération et la réutilisation de l'étage principal du Falcon 9, la Cour des comptes a évidemment raison, mais là ou le bât blesse, c'est quand elle écrit que cette maîtrise ouvre « ainsi la voie à de nouvelles baisses de coûts, lui permettant de proposer des prix encore plus bas sur le marché commercial ». Rien n'est moins sûr. Car d'abord la situation financière de SpaceX n'est pas aussi saine et solide qu'elle y paraît. L'entreprise a, en décembre 2018, raté une levée de fonds en vendant seulement 273 millions de dollars d'actions sur les 500 M$. À cela s'ajoutent des doutes sur sa rentabilité réelle. Et d'autre part il faut savoir que SpaceX a une double politique de prix, avec des lancements facturés au gouvernement américain deux fois plus cher qu'aux acteurs commerciaux du secteur privé. Plus surprenant encore, selon Stéphane Israël, le P.-D.G d'ArianespaceArianespace, le prix proposé au gouvernement américain serait « sensiblement plus élevé que celui que nous offrons, avec Ariane 6, aux clients institutionnels européens ».

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    Pour revenir à la réutilisabilité, si techniquement l'industrie spatiale européenne parviendra évidemment à mettre au point un tel étage, et cela ne fait aucun doute, le rendre économiquement attractif dans un schéma à quelque douze lancements par an (nombre de lancements annuel prévu pour Ariane 6) est une autre affaire. Certes, sur le papier, l'utilisation d'un étage réutilisableétage réutilisable a de quoi séduire, d'autant plus que sa fiabilité sera accrue grâce à la correction progressive des défauts rencontrés sur le matériel au fur et à mesure de son utilisation. Pour Ariane 6, l'intérêt économique d'un élément partiellement réutilisable nous paraît pas si évident avec un équilibre économique difficile à trouver.

    Vue d'artiste d'ELA-4, le futur pas de tir d'Ariane 6 au Centre spatial guyanais. © ESA, D. Ducros
    Vue d'artiste d'ELA-4, le futur pas de tir d'Ariane 6 au Centre spatial guyanais. © ESA, D. Ducros

    Cela dit, si pour maintenir la compétitivité d'Ariane 6 face à la concurrence, la technologie du réutilisable est la voie à suivre, comme en est convaincue la Cour des comptes, ArianeGroup, l'Agence spatiale européenne et le Cnes n'ont évidemment pas attendu les conclusions de ce rapport pour envisager ce type d'évolution, si finalement cette technologie était la bonne voie. D'abord avec Prometheus, un nouveau moteur européen dix fois moins cher que le Vulcain et potentiellement réutilisable et aussi le petit démonstrateurdémonstrateur de lanceur réutilisable Callisto qui devrait voler en 2020. Ces deux programmes constituent les premières briques technologiques sur lesquelles les Européens doivent capitaliser pour développer un nouvel étage réutilisable pour assurer l'évolution nécessaire d'Ariane 6.

    Enfin, n'oublions pas que les lanceurs Ariane garantissent à l'Europe un accès indépendant à l'espace, ce qui est d'ailleurs la principale raison d'être d'Ariane. Ce service commercial, que fournit Arianespace aujourd'hui, pourrait tout aussi bien s'apparenter à un service public au regard de la place considérable prise par l'utilisation de l'espace dans nos sociétés modernes. Sans d'ailleurs que les citoyens en aient toujours pleinement conscience. Dit autrement, s'il ne fait aucun doute qu'avec Ariane 6, il « s'agit d'avoir l'assurance de pouvoir lancer des satellites à des prix compétitifs et sans restriction d'usage », note avec raison la Cour des comptes, il faut aussi garder à l'esprit que la rentabilité d'un service public ne doit pas seulement être vue sous l'angle de son coût.

    Enfin, on signalera une contrevérité quand la Cour des comptes écrit que SpaceX a ravi à Arianespace la position de leader mondial sur le marché commercial. En 2018, sur le plan commercial, Arianespace a maintenu son leadership en signant 18 contrats de lancement, dont 8 satellites de télécommunication à placer en orbite de transfert géostationnaire (GTO) sur les 13 contrats de lancement en GTO mis en compétition, soit une part de marché de plus de 60 %.