CAS Space est une entreprise chinoise privée qui développe une famille de lanceurs et un système de transport suborbital qui se focalise sur trois segments clés du marché de l’accès à l’espace. Son objectif est de devenir un leader mondial de l'accès à l'espace, en proposant des services compétitifs sur les marchés internationaux. Andrew Yang, responsable des Affaires internationales chez CAS Space, répond à nos questions et nous explique la stratégie et les ambitions de CAS Space.


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    À l'ère du New Space, le secteur spatial a connu une véritable révolution et de profonds changements au cours des deux dernières décennies, rendant l'accès à l'espace plus facile et plus économique. Alors qu'auparavant les services de lancement étaient principalement assurés par des acteurs gouvernementaux, de nouveaux acteurs privés ont fait leur entrée sur le marché, introduisant avec eux de nouveaux modèles économiques axés sur l'agilité, l'innovation et une plus grande prise de risque. Tous anticipent une forte croissance principalement de la demande de lancement de petits satellites et de constellation.

    La Chine n'est pas en reste dans cette évolution, avec une multiplication de projets de lanceurs et une montée en puissance d'acteurs privés. Un exemple de cette tendance est CAS Space, une entreprise mixte créée en 2018, dont l'Institut de mécanique de l'Académie chinoise des sciences est l'un des principaux actionnaires. Indépendante de l'Académie chinoise des sciences, CAS Space ne bénéficie pas du soutien accordé aux entreprises d'État.

    Le lanceur Kinetica 1 sur son pas de tir du centre spatial Jiuquan lors de sa troisième mission. À fin janvier 2024, ce lanceur compte trois vols réussis et aucun échec. © CAS Space
    Le lanceur Kinetica 1 sur son pas de tir du centre spatial Jiuquan lors de sa troisième mission. À fin janvier 2024, ce lanceur compte trois vols réussis et aucun échec. © CAS Space

    Lors du dernier Salon du Bourget, en juin 2023, nous avons eu l'occasion de visiter le stand de CAS Space et de rencontrer son représentant, Andrew Yang, responsable des Affaires internationales qui nous a présenté les activités de l'entreprise ainsi que sa gamme de lanceurs. Récemment, nous avons eu l'opportunité de faire le point avec lui sur les actualités de son entreprise, les perspectives d'avenir et les programmes en cours de développement.

    Après une mise en service réussie de Kinetica 1 en 2022, qui est un lanceur à quatre étages entièrement à combustible solide, CAS Space « prévoit quatre autres lancements en 2024, suite à un premier vol réussi en janvier de Kinetica 1 où cinq satellites Taijing ont été mis en orbite ». Le prochain lancement est prévu en mars.

    Un lanceur Kinetica 1 sur son pas de tir. © CAS Space
    Un lanceur Kinetica 1 sur son pas de tir. © CAS Space

    CAS Space « poursuit également le développement de Kinetica 2, un lanceur à deux étages haut de 53 mètres dont le premier vol est prévu en août 2025 ». Avec une massemasse au décollage d'environ 628 tonnes, Kinetica 2 est capable d'envoyer 7,8 tonnes en SSO et jusqu'à 12 en orbite LEOorbite LEO dans sa configuration non réutilisable. Pour son vol de démonstration, Kinetica 2 emportera le « système de transport de fret à faible coût qui est co-développé avec nos partenaires pour le programme spatial habité chinois ». CAS Space est la première entreprise commerciale à participer aux missions de ravitaillement de la station spatiale chinoise.

    Avec sa gamme de lanceurs, l'entreprise CAS Space est bien positionnée pour répondre aux besoins des marchés ciblés, principalement ceux liés à la mise en orbite et au renouvellement des constellations ainsi que des lancements partagés, essentiellement pour le monde scientifique et universitaire.

    Andrew Yang sur le stand de CAS Space lors du <em>Salon du Bourget 2023</em>. Au premier plan, la maquette du lanceur Kinetica 3H, aujourd'hui remplacé par une version remaniée du Kinetica-2 aux performances mieux adaptées aux besoins du marché. © Remy Decourt
    Andrew Yang sur le stand de CAS Space lors du Salon du Bourget 2023. Au premier plan, la maquette du lanceur Kinetica 3H, aujourd'hui remplacé par une version remaniée du Kinetica-2 aux performances mieux adaptées aux besoins du marché. © Remy Decourt

    La parole à Andrew Yang, responsable des Affaires internationales chez CAS Space.

    Futura : Depuis 2018, votre gamme de lanceurs a évolué avec une famille de lanceurs mieux adaptée aux besoins du marché ?

    Andrew Yang : Au départ, en tant que start-upstart-up, nous avons publié une feuille de route basée sur des étapes technologiques où chaque développement représentait une étape vers notre objectif ultime : devenir le lanceur commercial le plus optimal sur un marché du lancement de satellite en plein essor. Cependant, avec l'évolution du marché et des demandes de plus en plus spécifiques, nous avons revu notre feuille de route pour nous concentrer sur trois segments de marché clés, chacun avec son propre lanceur :

    • Kinetica-1, déjà opérationnel, représente notre premier succès dans le domaine spatial ;
    • Kinetica-2, un lanceur moyen à propulsion liquideliquide, est conçu pour répondre aux besoins des constellations de satellites. Il est en cours de développement et deviendra réutilisable pour répondre aux besoins futurs ;
    • notre véhicule touristique suborbitalsuborbital est également au cœur de nos projets, offrant une expérience unique aux voyageurs avides d'aventure dans l'espace.

    Cependant, avec l'évolution du marché et des demandes de plus en plus spécifiques, nous avons revu notre feuille de route pour nous concentrer sur trois segments de marché clés, chacun avec son propre lanceur

    Futura : Que deviennent le lanceur lourd Kinetica 3H et la plateforme d’expérimentation Next-Rep ?

    Andrew Yang : Effectivement, nous observons une concurrence de plus en plus vive sur le marché des lancements commerciaux, ce qui exige des décisions rapides et précises afin de nous adapter au mieux. En tant qu'équipe d'ingénieurs aérospatiaux, il est important de nous adapter aux marchés commerciaux en plus de maîtriser notre domaine d'expertise. Plutôt que de dire que nous avons abandonné tel ou tel lanceur, il est plus judicieux d'expliquer que nous avons revu nos plans et remplacé Kinetica-3H par une version remaniée du Kinetica-2 aux performances mieux adaptées aux besoins du marché.

    Nous ne développerons donc pas le lanceur Kinetica 1A. Quant à la version initiale du petit lanceurpetit lanceur Kinteca 2, à oxygèneoxygène liquide et kérosènekérosène, nous avons fait le choix de développer une version qui répond le mieux aux attentes du marché. Concernant, Next-Rep, cette plateforme n'est pas abandonnée. Elle est toujours en développement et va de pair avec le véhicule de tourisme spatialtourisme spatial car ils partagent des caractéristiques similaires.

    Futura : Votre véhicule touristique suborbital présente quelques similitudes avec le New Shepard de Blue Origin ?

    Andrew Yang : Le véhicule de tourisme suborbitaltourisme suborbital transportera des passagers au-delà de la ligne Kármán et offrira quelques minutes d'apesanteurapesanteur. Nous sommes en train d'actualiser la conception et l'architecture du véhicule. Nous publierons les détails techniques en temps voulu.

    Futura : Quand le premier vol d'essai est-il prévu ?

    Andrew Yang : Nous avons pour objectif de réaliser un vol d'essai dans un an. Cependant, avant de procéder aux missions habitées, nous devrons consacrer davantage de temps à la validation et à la consolidation de la conception afin d'assurer la sécurité des passagers. Ce processus sera mené de manière exhaustive en collaboration avec les autorités compétentes.

    Futura : Les lanceurs Kinetica vont-ils évoluer vers des versions partiellement ou totalement réutilisables ?

    Andrew Yang : Kinetica-1 est équipé de quatre étages à propergolpropergol solide, ce qui exclut la possibilité de réutilisation. Nous avons observé que la rentabilité des moteurs à propergol solide diminue à mesure que le tonnage augmente. C'est pourquoi, pour un lanceur moyennement lourd comme Kinetica-2, nous avons opté pour des moteurs à propergol liquide LOx/Kérosène. La réutilisation a toujours été une priorité pour nos lanceurs à propergol liquide. Dans le cas de Kinetica-2, il a été conçu dès le départ pour être réutilisable. Les premières itérations seront cependant uniquement consommables, car nous effectuons des tests supplémentaires. Notre objectif est que d'ici 2028, le premier étage (comprenant l'étage central et les boostersboosters latéraux) devienne réutilisable.

    Futura : SpaceX utilise la méthode « toss back » pour récupérer l'étage principal du Falcon 9. Et vous ?

    Andrew Yang : Nous ne communiquerons pas sur ce sujet. Nous ferons part de nos progrès et de nos approches en temps opportun.

    Futura : Le design et l’architecture de vos lanceurs s’inspirent-ils de lanceurs existants ?

    Andrew Yang : Les véhicules de lancement sont comme des camions de transport : ils sont destinés au transport pratique. C'est une activité où la forme est déterminée par la fonction. Par métaphore, nous avons vu de nombreuses conceptions fascinantes tout au long de l'histoire de l'automobileautomobile, et pourtant elles tendent à converger vers les configurations les plus pratiques que nous voyons sur les routes aujourd'hui. En tant qu'ingénieurs spatiaux, nous considérons que les innovations de chaque individu résident dans les sous-systèmes et les composants dont il est responsable, avant d'être assemblées en un système d'ingénierie grâce à nos efforts collectifs. Nous avons le plus grand respect pour les leaders de l'industrie, et nous sommes immensément fiers de notre développement indépendant, en interne, pour faire de la série Kinetica ce qu'elle est aujourd'hui.

    Futura : Comment CAS Space se positionne-t-il par rapport aux lanceurs Long March ?

    Andrew Yang : Nous nous positionnons en tant que complémentaires aux lanceurs de la famille Long March. Contrairement à ces lanceurs, notre famille de lanceurs Kinetica se compose de lanceurs commerciaux où la compétitivité est notre priorité. Nous nous efforçons de mieux répondre aux demandes du marché en mettant l'accent sur la fabrication en série des lanceurs et en proposant des services personnalisés à nos clients. Notre objectif est de répondre à un large éventail de demandes de lancement, allant des constellations de satellites aux projets scientifiques du monde universitaire, tant au niveau national qu'international.

    Futura : Vous êtes référencé par Ride ! Vos lanceurs seront-ils commercialisés sur les marchés internationaux ?

    Andrew Yang : CAS Space aspire depuis toujours à devenir un leader mondial de l'accès à l'espace, et la série Kinetica est proposée sur les marchés internationaux à un prix compétitif. Malheureusement, certains facteurs indépendants de notre volonté, tels que les règles Itar, empêchent de nombreux clients potentiels américains et européens de choisir nos services de lancement. Cependant, nous croyons en un monde globalisé où l'espace est partagé, pacifique et inclusif. Nous nous engageons à gagner la confiance de nos clients internationaux grâce à nos services, nos produits et nos succès communs.

    Futura : Quelles sont les principales innovations technologiques qui caractérisent vos lanceurs (impression 3D, matériaux, architecture, design...) ?

    Andrew Yang : Nous avons mis l'accent sur les moyens de réduire les coûts de production et d'exploitation tout en garantissant une fiabilité solide, en adaptant la performance à un segment de marché spécifique. Ainsi, l'ensemble du cycle de développement des lanceurs a été optimisé dans le but de répondre efficacement à la demande du marché.

    Kinetica-1 était, à l'époque de sa mise en service, le véhicule à propergol solide le plus puissant de Chine. Voici un aperçu des principales innovations que nous avons rendues publiques, représentant les obstacles technologiques surmontés au cours de son développement :

    • premiers propulseurspropulseurs chinois à gazgaz froid non polluants pour la séparationséparation ;
    • une conception structurelle à faible coût et des réservoirs de carburant pouvant être fabriqués en masse ;
    • une avionique centralisée, pilotée par logiciellogiciel, essais au sol et système de contrôle du lancement ;
    • une CPU embarquée à triple redondance et à cycle de contrôle de 5 ms pour un GNC rapide et fiable ;
    • un cycle de lancement rapide pour la maintenance des constellations de satellites.