Selon les fabricants, deux doses du vaccin injectées à un mois d’intervalle sont nécessaires pour assurer une protection efficace. Mais si une seule dose était finalement suffisante ? Nous pourrions alors vacciner deux fois plus de monde et deux fois plus rapidement. Dans l’urgence, le Royaume-Uni a ainsi décidé unanimement d’allonger le délai prévu entre les deux doses, et certains estiment que l’on pourrait tout simplement s’en passer. Le débat enfle dans la communauté scientifique.
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Le 8 décembre, le Royaume-Uni a lancé avant tout le monde sa campagne de vaccination, menée à un train d'enfer. Plus de 1,3 million de personnes ont déjà reçu la première dose requise et le gouvernement prévoit 13 millions de personnes couvertes d'ici mi-février. Seulement voilà : le temps presse. Mercredi, 62.322 nouveaux cas ont été enregistrés et le bilan quotidien a dépassé le millier de décès pour la première fois depuis avril. Alors pour accélérer la cadence et immuniser un maximum de personnes le plus rapidement possible, l'agence de régulation sanitaire britannique (MHRA) a décidé que l'administration de la deuxième dose allait être reportée à 12 semaines après la première injection. Un protocoleprotocole en contradiction avec les recommandations des fabricants, qui précisent que les deux doses doivent être injectées à 21 jours d'intervalle pour PfizerPfizer et 28 jours d'intervalle pour Moderna.
Une efficacité similaire avec une ou deux doses
La décision du Royaume-Uni a relancé le débat dans la communauté scientifique : pourquoi ne pas se contenter d'une seule dose et vacciner ainsi deux fois plus de monde ? D'après les données fournies par les fabricants eux-mêmes, la protection enregistrée entre le 14e et le 28e jour (c'est-à-dire l'immunité après la première injection et avant la seconde) serait de 92 % pour Moderna, soit presque autant que les 94 % constatés avec deux doses. Son concurrent Pfizer affiche, de son côté, une efficacité de 80 % après une seule injection (contre 94 % avec deux doses). Pour AstraZenecaAstraZeneca, c'est encore mieux : d'après le laboratoire, interrogé par CNBC, le taux d’efficacité après une seule dose serait de 73 %... comparé à 62,1 % avec les deux doses !
“En vaccinant deux fois plus de personnes, on pourrait atténuer considérablement la souffrance des populations”
« Si la protection avec une seule dose est suffisante, cela pourrait radicalement changer la donne, estiment l'épidémiologiste Michael Mina et la sociologue des sciences Zeynep Tufekci dans une tribune publiée dans le New York Times. En vaccinant deux fois plus de personnes, on pourrait atténuer considérablement la souffrance des Américains, mais aussi des pays dans lesquels la pénurie de vaccins risque de prendre des années à être résorbée ». Le délai de trois ou quatre semaines indiqué par les fabricants est d'ailleurs largement arbitraire, indique Paul Offit, médecin à l'hôpital pour enfants de Philadelphie. « Il est habituellement fixé à deux mois, mais en raison de la sévérité de la pandémie, on l'a ici raccourci. »
Fabriquer un virus résistant ?
La stratégie britannique est pourtant loin de faire l'unanimité. « La MHRA prend des risques significatifs », estime ainsi Moncef Slaoui, le directeur scientifique de l'opération de vaccination Warp Speed aux États-Unis. La crainte des scientifiques est que l’immunité procurée par une dose unique soit trop faible et de trop courte duréedurée pour assurer une protection suffisante. Pfizer et BioNTech rappellent que leur vaccin a été évalué uniquement dans le cadre des deux doses administrées à 21 et 28 jours d'intervalle, et que rien n'indique que la protection reste suffisante au-delà. « La production d'anticorps neutralisants n'apparaît qu'avec la deuxième injection », assure dans Le Monde Jean-Daniel Lelièvre, chef du département d'immunologie clinique et de maladies infectieuses à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, également expert à la Haute Autorité de santéHaute Autorité de santé (HAS). « C'est donc un pari : on peut protéger individuellement deux fois plus de monde. Mais si, comme nous, on vise à long terme l'acquisition d'une immunité de groupe, il faut que la protection dure. »
Paul Bieniasz, virologue à l'université Rockefeller, est de ceux qui sont les plus critiques avec l'approche britannique. Selon le chercheur, cette stratégie risque de favoriser l'apparition de formes résistantes au virusvirus. « Si vous vouliez fabriquer une souche résistante au vaccin, vous constitueriez une cohortecohorte de personnes partiellement immunisées en plein cœur d'une infection virale très répandue », explique-t-il sarcastique au site STAT. Un autre argument avancé est que plus on allonge le délai entre les deux injections, moins les patients sont enclins à revenir faire leur rappel.
“Fournir une protection au plus grand nombre est plus éthique”
Mais peu importe : une vaccination massive, même moins efficace, est préférable à une vaccination plus lente. Selon une étude de l’université de Yale, un vaccin à dose unique avec une efficacité de 55 % produit un plus grand bénéfice pour la population qu'un vaccin efficace à 95 % nécessitant deux doses. De plus, « fournir une protection au plus grand nombre est plus éthique parce qu'il distribue le produit rare plus équitablement », font valoir les auteurs. Une approche vaccinale à dose unique pourrait également atténuer l'incidenceincidence des événements indésirables associés au vaccin (qui augmentent avec la deuxième dose). D’autres chercheurs de l'université Stanford et de Toronto ont calculé qu'un modèle flexible, où l'administration de la deuxième dose serait échelonnée sur plusieurs semaines, se traduirait par un taux supplémentaire 23 à 29 % de cas de Covid-19Covid-19 en moins par rapport à la stratégie fixe, où la deuxième dose est injectée exactement un mois après.
Des stratégies testées à l’aveugle
Moncef Slaoui préconise une autre alternative. Le vaccin de Moderna ayant montré une efficacité supérieure chez les moins de 55 ans, ces derniers pourraient se voir administrer une demi-dose au lieu d'une dose entière pour chaque injection. Tout cela nécessiterait de nouveaux essais cliniquesessais cliniques. « Aujourd'hui, nous n'avons pas le luxe de prendre le temps nécessaire et d'investir les ressources pour collecter suffisamment de données et parvenir à une conclusion », regrette Rajeev Venkayya, en charge des vaccins au laboratoire Takeda. Nous en sommes donc réduits à jouer aux apprentis sorciers.