L'adhésion aux mesures comportementales, dont le but est de contrer la progression de l'épidémie, peut être modulée par une compréhension plus ou moins exhaustive de ce qu'est une progression exponentielle. Dès lors, comment mieux communiquer à son sujet ?


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    La campagne vaccinale n'a pas encore commencé. Même lorsqu'elle aura débuté, elle ne nous protégera pas de la potentielle survenue d'une troisième vague à très court terme. Aussi, aucun traitement prophylactique n'existe à ce jour pour entraver la progression de la maladie Covid-19 vers un stade sévère. Dès lors, il convient de respecter les mesures barrières et les « médicaments comportementaux ». Oui, un comportement peut être un médicament

    Des mesures barrières défiées par une minorité d'individus 

    Pourtant, nous le constatons chaque jour dans notre quotidien, dans les médias et parfois dans notre entourage proche, les mesures barrières ne sont pas unanimement respectées. Cela peut paraître utopique de vouloir que des mesures restrictives soient approuvées par l'ensemble des individus mais, dans le cadre d'une épidémie à virus respiratoire, c'est d'une importance cruciale. Évidemment, ne donnons pas à ces groupes ou personnes plus d'importance qu'ils en ont déjà. Ils sont souvent mis en lumièrelumière dans les médias et peuvent causer une mauvaise perception d'une situation globale en jouant sur notre tendance à nous, humains, à négliger la taille de l'échantillon. Face à cette défiance envers les mesures barrières, des solutions sont possibles. 

    Le biais de la croissance exponentielle

    L'une d'elles consiste à mieux expliquer et communiquer ce qu'est une croissance exponentielle. En effet, notre cerveau a surtout évolué pour que ce soit nos expériences empiriques personnelles qui prennent le dessus sur les décisions que nous prenons. Une théorie de plus en plus séduisante dans le domaine des neurosciences est celle du cerveau bayésien pour rendre compte de ces phénomènes divers et variés. De même que nous ne verrons jamais un corps soumis à aucune force avoir un mouvementmouvement rectiligne et uniforme dans la « vraie vie », nous ne verrons jamais, par nos sens, une croissance exponentielle s'opérer devant nos yeuxyeux. Cela n'existe pas à notre échelle de perception humaine. Heureusement pour ces deux cas de figure, nous avons les expériences de pensée et les mathématiques pour nous extraire de notre déterminisme empirique et tenter de cerner les lois générales qui gouvernent les phénomènes de notre monde. 

    <i>« Une batte et une balle de baseball coûtent 1,10 €. La batte coûte 1 € de plus que la balle. Combien coûte la balle ? » </i>© 103tnn, Adobe Stock
    « Une batte et une balle de baseball coûtent 1,10 €. La batte coûte 1 € de plus que la balle. Combien coûte la balle ? » © 103tnn, Adobe Stock

    Ce biais peut tous nous toucher. Il fait partie de la classe des biais cognitifs dont la puissance réduit lorsque nous en prenons conscience, par l'éducation par exemple, mais qui ne disparaît jamais vraiment. De même que la réponse intuitive qui vous vient en réponse à cette énigme est toujours la même lorsque vous la rencontrez pour la première fois, que vous soyez issu de la classe ouvrière ou que vous possédiez un doctorat en mathématique : « une batte et une balle de baseball coûtent 1,10 €. La batte coûte 1 € de plus que la balle. Combien coûte la balle ? » (Nous vous laissons réfléchir un peu, vous pourrez retrouver la réponse en fin d'article).

    Un scénario, trois questions et quatre formulations différentes

    Le biais de la fonction exponentielle est donc puissant. Mais selon une récente étude parue dans la revue Public Library of Sciences One (PLOS One), on peut le réduire drastiquement en communiquant mieux à son sujet, c'est-à-dire, en utilisant des termes qui parlent à nos cerveaux de primates indisciplinés. Dans leur expérience, des chercheurs suisses et allemands, des départements business et sciences humaines, sociales et politiques de l'université de Lucerne et de Zurich ont démontré que pour que le message soit mieux délivré à la population, il vaut mieux oublier la notion de taux de croissance et miser sur d'autres concepts plus élémentaires. Les scientifiques ont présenté un scénario avec des questions à la suite, en ligne, à 459 participants pour recueillir des réponses quant à leur perception, leur compréhension d'une croissance exponentielle et leur capacité à agir en conséquence lors d'une pandémiepandémie.

    Le scénario hypothétique était le suivant : un pays peut ralentir la propagation d'une maladie infectieuse en adoptant des mesures comportementales (confinements, mesures barrières, etc.). Au départ, le pays compte 974 cas de la maladie infectieuse. Sans mesures d'atténuation, le nombre de cas augmente de 26 % par jour, pour atteindre environ un million de cas en 30 jours. Les mesures réduiraient le taux de croissance quotidien à 9 % par jour, ce qui entraînerait environ 13.000 cas en 30 jours. Si l'on examine les avantages des mesures d'atténuation sous un angle différent, le pays gagnerait environ 50 jours jusqu'à ce qu'un million de cas soit atteint.

    La légende de l'échiquier est une bonne façon de sensibiliser au biais de la fonction exponentielle. © Maren Winter, Adobe Stock
    La légende de l'échiquier est une bonne façon de sensibiliser au biais de la fonction exponentielle. © Maren Winter, Adobe Stock

    Les questions étaient les suivantes : Quel est l'avantage des mesures d'atténuation (pour mesurer la perception de l'atténuation) ? Dans quelle mesure la maladie se propage-t-elle si aucune mesure d'atténuation n'est prise (pour mesurer la perception d'une croissance exponentielle élevée) ? Comment l'épidémie se propage avec les mesures d'atténuation (pour mesurer la perception d'une faible croissance exponentielle) ?

    Ce même scénario et les questions associées ont été présentés de quatre façons différentes et chaque sujet a été assigné de manière aléatoire à une formulation précise. Les formulations différenciaient en cela qu'elles étaient présentées soit en termes de taux de croissance (A), soit en termes d'équivalent par multiplication par deux du nombre de cas par jour (B) ; de cas évités à 30 jours (C), soit en termes d'équivalent par temps gagné jusqu'à ce que le nombre de cas atteigne le seuil d'un million (D). Dès lors, quatre formulations ont bien été testées (A-C, A-D, B-C, B-D), ce qui nous donne 116 sujets par groupe de formulation.  

    Miser sur le doublement et sur le seuil de cas

    Les résultats des chercheurs montrent que la formulation compte énormément pour communiquer de façon efficace les notions à la population. Elle peut participer à elle seule à réduire considérablement les biais concernant la perception biaisée des mesures barrières et l'évolution de la dynamique exponentielle d'une épidémie. La formulation qui réduit le plus nos biais de perception intuitifs est celle qui présente l'augmentation du nombre de cas en multipliant par deux le nombre de cas quotidiens (pour la progression épidémique) et, en même temps, qui présente le temps gagné avant d'atteindre un seuil précis (pour l'efficacité des mesures barrières). Dès lors, l'explication d'Angela Merkel pour illustrer la dynamique exponentielle d'une épidémie d'il y a quelques mois apparaît comme un modèle de pédagogie. Bien évidemment, cela reste correct pour la majorité des personnes mais ne marche probablement pas pour une minorité d'individus niant l'existence du virus.

    Vous aviez oublié ? Pas nous ! « Une batte et une balle de baseball coûtent 1,10 €. La batte coûte 1 € de plus que la balle. Combien coûte la balle ? » La réponse est : 0,05 €.