Une nouvelle espèce de bactérie à même d'endiguer la vague de « superbactéries », ces pathogènes ayant développé une résistance accrue aux antibiotiques communément utilisés, vient d'être découverte. Elle attendait son heure dans un ancien remède d'Irlande du Nord. Ce fascinant mélange de légendes et de sciences est porteur d'espoir pour la médecine moderne, comme nous l'explique le professeur Paul Dyson impliqué dans cette étude.


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    Après la révolution antibiotique salvatrice du siècle dernier, l'apparition de résistancesrésistances est devenue un des combats les plus pressants de notre siècle, laissant les scientifiques dans l'urgence de trouver des alternatives. Paul Dyson à l'université de Swansea, au Pays de Galles, et son équipe les cherchent dans des « environnements plutôt extrêmes, tels le désertdésert du Gobi en Chine, les sols du Brésil », mais aussi plus près de chez nous, en Irlande du Nord, où ils ont déterré une nouvelle bactérie appelée Streptomyces myrophorea, une arme potentielle contre le fléau de l'antibiorésistance.

    Les bactéries Streptomyces, non pathogènes, sont utilisées dans deux tiers des antibiotiques d'origine naturelle les plus utilisés en thérapie. « C'est très excitant de découvrir une nouvelle espèceespèce de Streptomyces qui produisent des antibiotiques capables de tuer des bactéries pathogènes. Cela donne bon espoir pour le futur », déclare Paul Dyson à Futura.

    La bactérie <em>S. myrophorea</em> (dans le rond marron) fait ici montre de son efficacité en créant une zone d'inhibition tout autour d'elle (en beige) pour stopper le SARM, ou staphylocoque doré résistant à la méticilline, étalé dans le reste de la boîte de Pétri. © Gerry Quinn, <em>Swansea University</em>
    La bactérie S. myrophorea (dans le rond marron) fait ici montre de son efficacité en créant une zone d'inhibition tout autour d'elle (en beige) pour stopper le SARM, ou staphylocoque doré résistant à la méticilline, étalé dans le reste de la boîte de Pétri. © Gerry Quinn, Swansea University

    écrite dans une étude parue dans Frontiers in Microbiology, S. myrophorea inhibe la croissance de quatre des six superbactéries les plus préoccupantes, à savoir Staphylococcus aureusStaphylococcus aureus ou staphylocoque doré résistant à la méticillinestaphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM, ou MRSA en anglais), Enterococcus faecium résistante à la vancomycine, AcinetobacterAcinetobacter baumanii résistante aux carbapénèmes, et Klebsiella pneumonia, naturellement résistante aux pénicillinespénicillines.

    Le saviez-vous ?

    L'OMS a identifié six superbactéries (bactéries multirésistantes aux antibiotiques) les plus préoccupantes, car responsables du plus grand nombre d'infections. On les appelle ESKAPE (acronyme de : Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae, Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa et Enterobacter).

    Les secrets microscopiques du sol d'Irlande du Nord

    Découverte dans les hautes terres irlandaises, dans la région de Boho du comté de Fermanagh, historiquement occupée au Moyen Âge par les druides, S. myrophorea, du grec myro (« parfum »), doit son nom « à son parfum distinctif, pareil à l'huile essentielle de gaulthérie couchée [wintergreen, en anglais, NDA] ».

    Elle vivait dans un « type de sol inhabituel », très alcalin, longtemps utilisé dans la médecine traditionnellemédecine traditionnelle celtique pour traiter des blessures et des infections de la peau. Cette pratique « remonte à des centaines et des centaines d'années ». Il est « possible » que la nouvelle souche de bactérie S. myrophorea soit à l'origine des propriétés associées à cet ancien remède, mais cela reste « difficile à prouver scientifiquement », admet Paul Dyson.

    La nouvelle espèce de bactérie <em>S. myrophorea</em> a été isolée d'un échantillon de sol prélevé dans le cimetière de <em>Sacred Heart Church</em>, dans la région de Boho, en Irlande du Nord. © DP
    La nouvelle espèce de bactérie S. myrophorea a été isolée d'un échantillon de sol prélevé dans le cimetière de Sacred Heart Church, dans la région de Boho, en Irlande du Nord. © DP

    Les chercheurs ne savent pas encore précisément quels étaient les constituants actifs de la bactérie capables de stopper la croissance des pathogènes. Cependant, S. myrophorea s'est révélée elle-même résistante à 28 des 36 antibiotiques testés sur elle. Cela n'est pas surprenant en soi puisque « les Streptomyces sont souvent résistantes à un large éventail d'antibiotiques. C'est comme une guerre chimique : pour se protéger, elles résistent et produisent des antibiotiques qui tuent les bactéries concurrentes », nous explique Paul Dyson.

    S. myrophorea devrait donner naissance à au moins un antibiotique.

    Les prochaines étapes consisteront donc à identifier ces moléculesmolécules antibiotiques produites par S. myrophorea, à les purifier et à évaluer leur potentiel comme médicament.  « J'ai bien peur que cela ne prenne beaucoup de temps », prévient Paul Dyson. Mais la nouvelle bactérie devrait donner naissance à « au moins un antibiotique ». En général, plusieurs antibiotiques peuvent être développés à partir d'une bactérie du genre Streptomyces.

    Face aux superbactéries, l'espoir renaît du passé

    L'antibiorésistance, décrite par l'OMS comme « une des plus grandes menaces pour la santé publique », pourrait coûter la vie à 2,4 millions de personnes à travers les 36 pays de l'OCDEOCDE d'ici 2050, selon un rapport de novembre 2018. « Un jour viendra où les traitements chirurgicaux de routine deviendront risqués à cause des infections par des bactéries pathogènes multirésistantes », alerte Paul Dyson, qui encourage à agir dès maintenant. Une piste pour cela est de redécouvrir, dans les labos, le potentiel des pratiques ancestrales.

    « Ce que nous avons fait est un exemple de la façon dont on peut utiliser et analyser des remèdes traditionnels, et en tirer de nouveaux médicaments pour la médecine moderne », déclare Paul Dyson. L'étude de ce sol irlandais met d'ailleurs en lumièrelumière la médecine traditionnelle européenne, trop souvent ignorée par rapport à la médecine chinoise, africaine ou autochtone, et aujourd'hui perdue. « C'est important de reconnaître qu'en Europe, ces remèdes ont été découverts et largement utilisés. »

    En plus de S. myrophorea, les chercheurs ont trouvé dans ce sol plusieurs autres bactéries, susceptibles d'être efficaces contre davantage de pathogènes. « L'une d'elles produit un antibiotique actif contre les champignonschampignons, ce qui à nouveau est très excitant », nous révèle Paul Dyson, car nous manquons de « bons antibiotiques » pour lutter contre les infections à champignons.