Avec la multiplication des cas de grippe aviaire H5N1 chez les mammifères, l'inquiétude grandit à propos de la capacité du virus à pouvoir un jour infecter les humains. Futura a discuté avec Jean-Luc Guérin, professeur à l'école vétérinaire de Toulouse et spécialiste des pathologiques aviaires, afin de décrypter cette panzootie mondiale. 


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    Le virus de la grippe aviaire hautement pathogène H5N1 est arrivé en France en août 2021 par l'intermédiaire des oiseaux migrateursmigrateurs. Les premiers cas ont été recensés dans la faunefaune sauvage avant qu'un élevage de poules pondeuses dans le Nord ne soit touché en novembre 2021. C'était le premier cas depuis l'hiverhiver 2020, et depuis le virus n'a jamais arrêté de circuler. Il s'est peu à peu propagé du nord vers le sud-ouest, puis dans les régions du Grand Ouest. Au printemps 2022, des foyers ont été identifiés plus à l'intérieur des terres, notamment en Dordogne et en Corrèze. Au total, le ministère de l'Agriculture a recensé 315 foyers de grippe aviaire en élevage depuis le 1er août 2021. Environ 28 millions de volailles ont dû être abattues pour limiter la propagation de la maladie (entre octobre 2021 et mai 2022). 

    Aujourd'hui, la situation s'est apaisée comme l'explique Jean-Luc Guérin, professeur en aviculture et en pathologie aviaire, et responsable de l'UMR Interaction hôtes-agents pathogènes (IHAP) à l'école vétérinairevétérinaire de Toulouse : « la grippe aviaire aujourd'hui en élevage est en net recul. Je ne dirais pas que c'est une extinction, mais il y a très peu de nouveaux foyers. En faune sauvage, la situation est plus confuse puisqu'on a toujours des mortalités importantes dans certaines populations d'oiseaux sauvages. Par exemple, les mouettes rieusesmouettes rieuses sont particulièrement touchées dans différents endroits du territoire, y compris à l'intérieur des terres ». Le ministère de l'AgricultureAgriculture fait état de 16 foyers identifiés de février à mars 2023, et l'épidémie est encore active dans neuf départements français.

    Le clade 2.3.4.4b

    Les virus influenzainfluenza responsables de cette panzootie, l'équivalent des pandémies chez les animaux, viennent d'Asie du Sud-Est. « Ce sont des virus de lignée asiatique, des lointains descendants de la souche de H5N1 qui a émergé en 1996 précisément. Plusieurs souches circulent à l'échelle européenne et dans le monde, elles appartiennent à un cladeclade présent depuis 2016 et qui est à l'origine de tous nos problèmes, le clade 2.3.4.4b. »

    Ce clade est « peu, voire très peu, zoonotique », selon Jean-Luc Guérin. En d'autres termes, sa capacité à franchir la barrière des espècesespèces est limitée. Les virus influenza du clade 2.3.4.4b sont très adaptés aux oiseaux et ne sont pas armés génétiquement pour infecter efficacement les mammifèresmammifères. « Le risque du passage à l'humain et aux mammifères est très faible », précise-t-il.

    Les contaminations des mammifères expliquées

    Comment expliquer alors la liste impressionnante de mammifères qui ont contracté la grippe aviaire à travers le monde ? Des renards et des loutres en Angleterre, des otaries au Chili et plus récemment en Nouvelle-Angleterre, tous ces mammifères ont un régime alimentaire composé en partie d'oiseaux sauvages. « Si par exemple, un renard ou un vison a un risque sur 1 000 ou 10 000 de se contaminer s'il mange une mouette morte de la grippe aviaire, s'il y a 50 oiseaux qui meurent sur le territoire, la probabilité d'avoir un cas chez les mammifères est nulle. Mais s'il y en a un million, là des cas existent. »

    Le seul cas dans lequel il y aurait pu avoir une transmission de mammifère à mammifère est celui de l'élevage de visons en Espagne. « Les visons, et les mustélidés en général, ont des récepteurs cellulaires présentant une affinité pour les virus aviaires supérieure à celle qu'on peut avoir chez l'humain. Ils ne sont donc pas très représentatifs de la situation générale chez les mammifères. »

    Il faudrait un remaniement important dans le gènegène de l'hémagglutininehémagglutinine, et dans des segments génétiquesgénétiques, des souches H5N1 pour qu'elles soient capables d'infecter les mammifères et les humains. L'hémagglutinine est l'une des protéinesprotéines de surface, avec la neuraminidaseneuraminidase, des virus influenza qui leur servent de clé d'entrée dans les cellules hôtes. « Le virus est aujourd'hui très adapté aux oiseaux et tant que ce sera le cas, le risque qu'il soit en même temps très adapté à l'humain est très faible. Quelques mutations ont été observées dans les cas récents chez les mammifères, mais ces mutations à elles seules ne peuvent pas expliquer autre chose que des infections très sporadiques. »

    La grippe aviaire fait des ravages dans les populations d'oiseaux sauvages. © BVPix, Adobe Stock
    La grippe aviaire fait des ravages dans les populations d'oiseaux sauvages. © BVPix, Adobe Stock

    La poignée de cas humains provoqués par 2.3.4.4b

    En effet, les cas humains de grippe aviaire sont très rares. L'OMS a publié récemment un bilan sur le sujet qui fait état de 868 cas avérés depuis 2003, tous clades confondus. Les cas humains dus au clade 2.3.4.4b se comptent sur les doigts de la main : un octogénaire en Angleterre (janvier 2022), une fillette de 9 ans en Équateur (janvier 2023), deux femmes de 38 et 53 ans en Chine, une fillette de 5 ans au Vietnam. Le cas de la fillette au Cambodge dont nous avions parlé dans cet article est dû au clade 2.3.4.4c, une autre ramification issue du H5N1 historique qui circule localement en Asie du Sud-Est, et non au clade 2.3.4.4b.

    Malgré les cas humains sporadiques, plusieurs fabricants, dont Moderna et Sanofi, se sont récemment dits prêts à produire des vaccins humains contre la grippe aviaire. Alors, vacciner les humains a-t-il un intérêt dans cette panzootie ?

    Il n'y a pas d'épidémie chez les humains

    « Aucun. Aujourd'hui le niveau d'exposition est très faible, tranche Jean-Luc Guérin. À la rigueur, ça pourrait servir à des gens très exposés comme moi, les éleveurs ou les vétérinaires qui vont vraiment sur le front dans les foyers. Mais pour les protéger, il y a d'autres moyens et en premier lieu les équipements de protection individuels. Il n'y a pas d'épidémie chez les humains, et à ce jour ces cas restent complètement anecdotiques. »

    Vacciner des millions de volailles ?

    En revanche, vacciner les volailles fait sens. Cela permettrait de réduire le nombre de particules virales en circulation et de freiner l'évolution de l'épidémie en limitant l'apparition de nouveaux réassortants. Les virus influenza ont la particularité de pouvoir mélanger leurs huit segments génétiques. Le résultat de ce mélange ce sont des réassortants, des virionsvirions qui possèdent des génomesgénomes mosaïques, des sortes de chimèreschimères

    « Le gouvernement français a pris des décisions il y a plus d'un an, et la feuille de route fixée par le ministre actuel est de pouvoir vacciner les volailles à partir de la rentrée, en septembre. Les vaccinsvaccins existent, mais la vaccinationvaccination contre l'influenza aviaire dans les élevages n'est pas simple à mettre en place. La question la plus compliquée c'est qu'en France, il y a des élevages de canards, de poulets, de dindes et ce qui en discussion c'est : est-ce qu'il faut vacciner tous les canards, les poules, les dindes... ? Dans quelles régions et à quelle période de l'année ? Et c'est compliqué car la dynamique épidémique n'est pas la même selon les espèces. »

    Le plan de vaccination contre la grippe aviaire proposé par le ministère de l'Agriculture. La vaccination effective des oiseaux devrait commencer en septembre 2023. © Ministère de l'Agriculture
    Le plan de vaccination contre la grippe aviaire proposé par le ministère de l'Agriculture. La vaccination effective des oiseaux devrait commencer en septembre 2023. © Ministère de l'Agriculture

    L'élevage intensif en cause ?

    L'Asie du Sud-Est, berceau du H5N1, est propice à l'émergenceémergence de maladies infectieuses car des populations humaines très denses côtoient des populations aviaires et porcines tout aussi denses. Cette dynamique favorise les contacts rapprochés entre humains et animaux et augmente le risque de transmission de virus zoonotique de l'un à l'autre. Mais la taille des élevages, notamment les plus intensifs, a-t-elle eu un impact dans la panzootie de H5N1 ? 

    « En Asie du Sud-Est, il y a de très grands élevages, mais aussi beaucoup de très petits élevages et c'est cette dynamique-là qui est difficile à surveiller. Pour autant, à l'échelle mondiale, l'augmentation très importante de la production de volaille notamment en Asie n'est pas neutre, parce que cela fait en quelque sorte du combustiblecombustible pour le virus. Et cela peut favoriser, arithmétiquement, la probabilité d'émergence de nouvelles souches », explique Jean-Luc Guérin.

    Mais le scientifique estime que les techniques d'élevage en Europe n'ont que très peu d'effet sur la dynamique de la panzootie d'H5N1. « La façon dont on élève des volailles en Europe a un effet négligeable sur l'épidémie à l'échelle continentale et intercontinentale. » Le virus est venu jusqu'en Europe par l'intermédiaire d'oiseaux migrateurs qui ne se sont pas contaminés en Europe. De nombreuses espèces se rencontrent dans les couloirs de migration où le virus peut se propager aisément. En Europe, les oiseaux sauvages peuvent transmettre le virus H5N1virus H5N1 aussi bien à un élevage intensif de volaille qu'à un petit poulailler au fond du jardin d'un particulier.