Fabriquer de fausses images directement dans le cerveau : c’est ce qu’ont réussi à faire des chercheurs de Stanford en utilisant l’optogénétique, consistant à activer des neurones spécifiques avec un laser. Une technique qui inspire les neurologues comme les « biohackers ».


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    Mieux que les infox : demain, il sera possible de trafiquer votre cerveau pour lui faire « voir » des choses qui n'existent pas. En 2013, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) avaient déjà réussi à fabriquer des faux souvenirs chez des souris (lire notre article ci-dessous). Dans une nouvelle étude, publiée le 18 juillet 2019 dans la revue Science, une autre équipe est parvenue à induire artificiellement une perception visuelle.

    Pour cette expérience, menée par le neurologue et psychiatre Karl Deisseroth, de l'université de Stanford en Californie, les chercheurs ont eu recours à l'optogénétique, une technique mise au point dans les années 2000 consistant à contrôler les neurones à l'aide de la lumièrelumière. Deux gènes ont été insérés dans le cortex visuel de la souris. Le premier, issu d'une micro-alguealgue (Tiarina fusus) et sensible à la lumière rouge pour « réceptionner » le flashflash lumineux, et le second produisant une lumière verte lorsqu'il est stimulé, de telle façon que l'on puisse visualiser l’activité du neurone répondant au stimulus.

    Un hologramme créé dans le cerveau

    Les souris ont ensuite été mises face à un écran affichant les lignes verticales et horizontales et entraînées à lécher un goulot uniquement lorsqu'elles voyaient des lignes verticales. À chaque fois, les chercheurs ont repéré quels neurones étaient activés lorsque les souris voyaient l'une ou l'autre ligne. Ils ont ensuite plongé les souris dans le noir et activé artificiellement ces mêmes neurones avec un laserlaser rouge. Ils ont alors pu constater que les souris continuaient à lécher le goulot lorsque ces neurones activés par les lignes verticales étaient stimulés, alors même qu'il n'y avait aucune image devant elles.

    Impossible de conclure que les souris « voient » réellement des barres, la vision globale étant un processus assez complexe. Mais les chercheurs affirment avoir « recréé la perception naturelle ou au moins créé quelque chose qui y ressemble entièrement ». De précédentes expériences en optogénétique avaient déjà montré comment induire certains comportements chez la souris, mais c'est la première fois que l'on est capable d'observer cette activité en direct dans le cerveau.

    En stimulant certains neurones du cortex visuel avec un laser, la souris perçoit une hallucination. © Ean Quirin, James Marshel, Cephra Raja, Karl Deisseroth, <em>Stanford University</em>
    En stimulant certains neurones du cortex visuel avec un laser, la souris perçoit une hallucination. © Ean Quirin, James Marshel, Cephra Raja, Karl Deisseroth, Stanford University

    Plus étonnant, la perception visuelle semble pouvoir être dirigée par une poignée de neurones à peine, alors que le cerveau d'une souris en contient plusieurs millions. Or, on sait que des neurones sont parfois stimulés aléatoirement même en l'absence de stimuli. « Si quelques neurones suffisent à créer une perception, pourquoi n'hallucinons-nous pas tout le temps », s'interroge donc Karl Deisseroth, dans une interview au New York Times. Les chercheurs suggèrent qu'il existe un mécanisme d'attention très puissant permettant d'ignorer le « bruit de fond » induit par ces fausses perceptions.

    Soigner l’anxiété ou la schizophrénie

    Trafiquer le cerveau d'un individu pour lui faire croire ou voir de choses qui n'existent pas semble assez effrayant de prime abord. Certains biohackers envisagent ainsi d’améliorer le cerveau humain en créant une nouvelle sorte de neurotransmetteursneurotransmetteurs « lumineux » et ainsi fabriquer de nouvelles liaisons cérébrales. Mais, selon les scientifiques, l'optogénétique offre des perspectives incroyables pour le traitement de certains troubles neurologiques.

    Rafael Yuste, un neuroscientifique de l'université de ColumbiaColumbia, travaille par exemple sur des expérimentations visant à éliminer les symptômessymptômes de la schizophrénieschizophrénie ou d'AlzheimerAlzheimer en réactivant des neurones qui sont apathiques chez des souris malades. D'autres chercheurs espèrent réduire l’anxiété en stimulant des neurones spécifiques. On peut également imaginer reproduire des sons pour les personnes malentendantes ou des odeurs.


    Comment implanter de faux souvenirs dans le cerveau d'une souris

    Article de Agnès Roux publié le 30/07/2013

    En stimulant les mêmes neurones dans deux contextes différents, des chercheurs ont pu associer artificiellement deux situations dissemblables chez la souris. Cet exploit pourrait aider à mieux comprendre la formation des faux souvenirs chez l'Homme.

    Le cerveau est sans doute l'organe le plus complexe et le plus mystérieux du corps humain. Malgré les études intensives et les progrès réalisés dans le domaine de la neurobiologie, il est loin d'avoir dévoilé tous ses secrets. Quant à la mémoire, elle est l'une des fonctions cérébrales les plus intrigantes. Entre trou de mémoire et impression de déjà-vu, la constructionconstruction des souvenirs est un processus complexe que les scientifiques sont loin d'avoir élucidé.

    La mémoire peut parfois jouer des tours. Si certains chassent sans le vouloir des événements traumatisants de leur tête, l'inverse peut également se produire. En effet, il arrive parfois que de faux souvenirs apparaissent subitement. En d'autres termes, certains individus peuvent se remémorer des expériences qu'ils n'ont jamais vécues, des abus sexuels par exemple. Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) se sont intéressés à ce phénomène et ont réussi à implanterimplanter de faux souvenirs à des souris. Cette prouesse neurologique, publiée dans la revue Science, est digne du film Total Recall avec Arnold Schwarzenegger... ou quand la réalité dépasse la fiction.

    L'hippocampe (<em>hippocampus</em>) est une région cérébrale centrale dans la formation de la mémoire. Cette étude montre que le gyrus denté, une région de l’hippocampe, joue un rôle dans le processus de mémoire contextuelle. © Looie496, Wikipédia, DP
    L'hippocampe (hippocampus) est une région cérébrale centrale dans la formation de la mémoire. Cette étude montre que le gyrus denté, une région de l’hippocampe, joue un rôle dans le processus de mémoire contextuelle. © Looie496, Wikipédia, DP

    Les souris, comme les Hommes, développent leur mémoire à partir d'expériences vécues. Si elles vivent une situation difficile dans un lieu précis par exemple, elles y retourneront à reculons. Cette mémoire contextuelle est contrôlée par une région de l'hippocampe appelée gyrus dentégyrus denté. Au cours de cette étude, les auteurs ont voulu tester l'effet de la stimulationstimulation de cette zone du cerveau sur la formation des souvenirs. Pour moduler l'activité cérébrale à leur guise, les scientifiques ont utilisé une technologie appelée optogénétique, qui consiste à utiliser la lumière comme source excitatrice de neurones.

    Des neurones de souris illuminés pour contrôler la mémoire

    Les scientifiques ont tout d'abord produit des souris génétiquement modifiées contenant une protéineprotéine sensible à la lumière, appelée channelrhodopsinechannelrhodopsine 2, dans le gyrus denté. En envoyant des impulsions lumineuses dans le cerveau de souris grâce à des fibres optiquesfibres optiques préalablement implantées, les chercheurs peuvent activer à leur guise les neurones de cette région de l'hippocampehippocampe.

    L'expérience s'est déroulée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, les souris ont été déposées dans une boîte inconnue au fond noir, éclairée par des lumières rouges et sentant l'acideacide acétique. Les chercheurs les ont laissées se promener pendant toute une journée, afin qu'elles se familiarisent avec l'endroit. Le jour suivant, les souris ont été transférées dans une autre boîte aux lumières, couleurscouleurs et odeurs différentes. Cette fois, en se promenant, les souris pouvaient ressentir des décharges électriques désagréables au niveau de leurs pattes. Les rongeursrongeurs ont ainsi pu visiter deux lieux différents, l'un plutôt agréable et l'autre nettement plus déplaisant, associés à des caractéristiques particulières.

    Créer de faux souvenirs chez les souris

    Mais l'expérience ne s'est pas arrêtée là. Au cours de la balade dans chacune des pièces, les scientifiques ont activé les neurones des souris avec de la lumière. Ainsi, les mêmes cellules cérébrales ont pu être stimulées dans les deux lieux de promenade. Par ce biais, les auteurs ont voulu établir une fausse connexion entre la pièce confortable et la présence de décharges électriques.

    Le résultat a été à la hauteur de leurs espérances. En effet, bien que les souris n'aient jamais été électrocutées dans le premier lieu, elles ont exprimé un sentiment de peur intense à l'idée d'y retourner ! En revanche, elles n'étaient pas effrayées de se promener dans un troisième lieu, complètement différent des deux autres. Par cette expérience, les auteurs ont donc réussi à modifier la mémoire contextuelle des rongeurs et à créer de faux souvenirs.

    Selon Susumu Tonegawa, directeur de l'équipe de recherche, ces résultats pourraient servir de base afin de mieux comprendre le processus de création de faux souvenirs chez l'Homme. « Dans la vie de tous les jours, nous avons souvent l'esprit rêveur, et cela pourrait influencer notre mémoire. »