au sommaire
L'optogénétique, née dans les années 2000, combine la génétique à l'optique. En modifiant le génome de certains neurones de manière à les rendre sensibles à la lumière, on peut contrôler l'activité de ces cellules. © Inserm
La propriété (de renversement) de la mémoire est utilisée cliniquement pour traiter des maladies mentales, cependant les mécanismes neuronaux et les circuits du cerveau qui autorisent ce changement de registre émotionnel demeurent largement méconnus. L'objet d'une étude dont les résultats ont été publiés mercredi dans la revue scientifique Nature était de décrypter ces procédés sous-jacents, ouvrant la voie à de nouvelles pistes pour soigner des pathologies comme la dépression ou les troubles de stress post-traumatique. Elle valide aussi le succès de la psychothérapie actuelle, explique le Prix Nobel de médecine Susumu Tonegawa qui a mené cette recherche.
Ces travaux, fruit d'une collaboration entre l'institut japonais Riken et le Massachussets Institute of Technology (MIT)) aux États-Unis, s'appuient sur une nouvelle technologie de contrôle du cerveau via la lumièrelumière appelée optogénétique. Il permet de mieux comprendre ce qui se passe quand on se remémore de bons ou mauvais moments et comment on peut modifier la valeur (négative ou positive) associée à un souvenir. Les résultats démontrent que l'interaction entre l'hippocampehippocampe, partie du cerveau qui joue un rôle central dans la mémoire et l'amygdale, censée être une sorte de chambre de stockage des réactions positives et négatives, est plus flexible que ce qu'on pensait jusqu'à présent.
Pour parvenir à de telles conclusions, les chercheurs ont injecté une protéine d’algue sensible à la lumière à deux groupes de souris mâles. Ils ont ainsi pu suivre la formation d'une inscription en mémoire en temps réel, qu'ils ont réactivée à leur gré grâce à des impulsions lumineuses.
Certains rongeursrongeurs ont ensuite été autorisés à jouer avec des femelles afin de créer un souvenir connoté positivement, tandis que leurs camarades se voyaient au contraire asséner un déplaisant choc électrique.
Le prix Nobel Tonegawa souligne que les résultats des travaux de son équipe concernant la possibilité de supprimer des souvenirs désagréables par optogénétique chez des souris ne peuvent pas se transposer immédiatement chez l’homme sous forme de thérapies pour des patients. Il n’existe pas encore de la technologie pour cela et l’on ne peut donc pas manipuler les neurones d’une personne comme les chercheurs l’ont fait chez ces animaux. Toutefois, les expériences indiquent qu’il y aurait des circuits neuronaux reliant l’hippocampe et l’amygdale qui pourraient être ciblés à l’aide de nouveaux médicaments. © 2014 Howard Hughes Medical Institute
Transformer une répulsion en attirance
Dans un deuxième temps, les scientifiques leur ont fait artificiellement revivre ces souvenirs, tout en les soumettant simultanément à l'expérience opposée : les souris agréablement disposées recevaient un choc, tandis que les autres avaient la bonne surprise de rencontrer leurs comparses.
La nouvelle expérience a pris le dessus sur l'émotion initiale. « Nous avons fait un test dans la première cage de laboratoire et la crainte originelle avait disparu », décrit Susumu Tonegawa. Cependant ce phénomène n'a pu être observé qu'en agissant sur l'hippocampe, sensible au contexte environnant alors qu'il n'a pas été possible d'influer sur l'amygdale.
Les chercheurs qui avaient déjà publié des travaux sur l'inscription en mémoire de faux souvenirs chez une souris, espèrent que leurs découvertes du changement de valencevalence positive à négative (d'attirance à répulsion) et vice versa, feront avancer la recherche médicale sur les maladies de type troubles dépressifs ou post-traumatiques, affectant notamment les militaires. À l'avenir, Tonegawa souhaite pouvoir contrôler les neurones avec une technologie sans fil, sans outil intrusif comme les électrodesélectrodes et potentiellement faire croître le nombre de souvenirs positifs par rapport aux négatifs.
Reste à prouver que cette inversion d'émotion associée à un souvenir fonctionne de la même façon chez l'homme que chez la souris, même si l'on sait déjà que les processus mnésiques ont été conservés au cours de l'évolution des espècesévolution des espèces. Dans un commentaire rapporté par Nature, les chercheurs Tomonori Takeuchi et Richard Morris de l'université d'Édimbourg en Écosse estiment que cette étude jette une lumière nouvelle sur les mécanismes de la mémoire, tout en relevant les limites de l'optogénétique en la matièrematière.