Après la souris, le porc ou le mouton, un chercheur espagnol affirme avoir réussi à créer des embryons de singes possédant des cellules humaines. Une expérience qu’il est allé mener en Chine, car les questions éthiques soulevées par ces expériences divisent la communauté scientifique dans de nombreux pays.


au sommaire


    Le 30 juillet 2019, le Japon a autorisé, pour la première fois, un généticiengénéticien à créer des embryons chimériques de rats et de souris avec des cellules humaines. Objectif, créer des organes humains à partir d'animaux. Ce genre d'expérience se multiplie dans le monde. En 2017, des chercheurs du Salk Institute en Californie avaient ainsi réussi à obtenir une chimère d'embryon contenant à la fois des cellules humaines et des cellules de porc. En 2018, une autre équipe américaine avait créé une chimère homme-mouton contenant 0,01 % de cellules humaines, dont le développement avait été stoppé après 28 jours.

    C'est à présent au tour du singe, encore plus proche de nous. Le journal El País rapporte que le chercheur Juan Carlos Izpisúa, qui avait participé à l'expérience de chimère homme-porc en 2017, est parvenu à créer des embryons de singes contenant des cellules humaines. Pour cela, il s'est exilé en Chine, probablement parce que les règles éthiques y sont moins strictes que dans d'autres pays. Aux États-Unis, où Juan Carlos Izpisúa dirige un laboratoire de recherche au Salk Institute, il est interdit de financer de telles recherches par des fonds publics. Quant à l'Espagne, où travaille également le chercheur, elle « manque d'infrastructures adéquates », explique sa collaboratrice Estrella Núñez.

    Le saviez-vous ?

    En France, le Code de la santé publique actuel indique que « La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». Le projet de loi sur la bioéthique, qui devrait entrer en discussion au Parlement cet automne, prévoit explicitement « la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces »… Mais ne dit rien sur le cas inverse, ce qui signifie que des expériences telles que celles menées en Chine ou au Japon pourraient être un jour autorisées.

    Comme dans les précédentes expériences, les gènes des singes essentiels à la formation des organes ont été inactivés, puis les chercheurs ont injecté des cellules humaines pluripotentes capables de générer tout type de tissu. Le projet a été avorté avant la fin de la gestationgestation, de telle sorte qu'on ne sait pas vraiment si les embryons étaient viables ou pas. Mais « les résultats sont très prometteurs, assure Estrella Núñez à El PaísLes auteurs n'offrent pas plus de détails parce qu'ils attendent d'être publiés dans une prestigieuse revue scientifique internationale », précise-t-elle.

    Le spectre de La Planète des singes

    Les craintes concernant la création de tels hybrideshybrides portent sur la possibilité que des cellules souches s'échappent et forment des neurones humains dans le cerveau de l'animal. Une peur d'autant plus forte, avec les primatesprimates, qu'il s'agit d'une espèceespèce très proche de la nôtre (nous partageons par exemple 98,77 % de notre génome avec le chimpanzé). Le spectrespectre de La Planète des singes où des chimpanzéschimpanzés intelligents s'empareraient du pouvoir n'est pas très loin. Mais Estrella Núñez garantit que l'équipe d'Izpisúa a mis en place des mécanismes pour que les cellules humaines s'autodétruisent si elles migrent vers le cerveau.

    Malgré sa proximité avec l’être humain, le singe est un animal peu adapté pour constituer une banque d’organes. © fontoknak, Fotolia
    Malgré sa proximité avec l’être humain, le singe est un animal peu adapté pour constituer une banque d’organes. © fontoknak, Fotolia

    Le leurre de la transplantation d’organe ?

    Il n'empêche que l'objectif de ces recherches reste assez flou. Selon Pablo RossRoss, un chercheur vétérinairevétérinaire de l'université de Californie qui avait collaboré avec Izpisúa au Salk Institute, générer des organes humains à partir de singes n'a aucun sens : « Les singes sont des animaux très petits dont le développement est long », précise-t-il au site de la MIT Technology Review. Ross suspecte plutôt des recherches visant à étudier les barrières entre les espèces et l'évolution humaine. De nombreux chercheurs sont eux aussi très sceptiques sur la possibilité de produire des organes humains chez l'animal. Lors de précédentes expériences de chimères rats-souris, où un pancréaspancréas de souris a été généré à l'intérieur de rats, certaines cellules comme les vaisseaux sanguins continuent d'appartenir au rat, ce qui pourrait constituer un rejet en cas de transplantationtransplantation. En 2018, une équipe de l'université de Munich était parvenue à une duréedurée de survie de 195 jours chez des babouins greffés avec des cœurs de porc, mais au prix de lourds traitements immunosuppresseurstraitements immunosuppresseurs et anti-hypertenseursanti-hypertenseurs.

    Bref, entre les problèmes d'éthique, la faisabilité scientifique et les considérations sur le bien-être animal, il ne faut pas s'attendre à voir bientôt des hordes de petits macaques comme « banque d'organes » pour les humains. D'ailleurs, les scientifiques travaillent sur bien d'autres pistes pour résoudre la pénurie de donneurs. En avril, un équipe israélienne a par exemple annoncé avoir créé un cœur artificiel par impression 3D à partir de cellules souches.


    Les premiers singes chimériques sont nés

    Article de Jaloux Chaput publié le 10/01/2012

    Trois singes chimériqueschimériques, composés de l'ADNADN de six cellules souches embryonnairescellules souches embryonnaires différentes, viennent de voir le jour aux États-Unis. L'innovation ouvre de nouvelles perspectives dans les thérapiesthérapies reposant sur les cellules souches.

    C'est une première mondiale. Si l'on avait déjà réalisé des animaux chimériques (comportant plusieurs ADN différents) depuis les années 1960, le succès s'était limité aux souris, rats, lapins, moutons et vachesvaches. Désormais, une étape supplémentaire a été franchie puisque la performance a été réalisée chez des primates. Ce qui n'était pas une mince affaire...


    Des chercheurs ont réussi l'exploit de créer des singes chimériques. Trois macaques rhésus (Macaca mulatta) comportant l'ADN de 6 lignées embryonnaires différentes ont vu le jour. Ici, on peut voir Roku et Hex, deux jumeaux nouveau-nés qui se portent très bien et qui apprennent à découvrir leur environnement (pas très naturel). © OHSU

    En effet, chez des souris, l'expérience était réussie lorsqu'on injectait des cellules souches embryonnaires dans un blastocysteblastocyste (une phase relativement précoce du développement embryonnaire, qui apparaît entre 5 et 7 jours après fécondation chez l'Homme). Mais chez les singes, cela ne fonctionne pas car ces cellules ne sont que pluripotentes (capables de se transformer en tout tissu de l'organisme à l'exception du tissu extra-embryonnaire comme le placentaplacenta) et non totipotentes (capables de générer un organisme entier).

    Le palier est désormais franchi, et des chercheurs du Centre national de la recherche sur les primates de l'université d’Oregon viennent de dévoiler la recette de leur réussite sur le site InternetInternet de la revue Cell, avant publication dans la version papier le 20 janvier.

    Un blastocyste. L'embryon se développe dans la partie très concentrée en cellules (rouge et bleu) tandis que la cavité (le blastocœle) va petit à petit être emplie par les cellules issues des nombreuses divisions. © OHSU
    Un blastocyste. L'embryon se développe dans la partie très concentrée en cellules (rouge et bleu) tandis que la cavité (le blastocœle) va petit à petit être emplie par les cellules issues des nombreuses divisions. © OHSU

    Trois macaques chimériques avec six génomes différents

    Cette fois, les biologistes ont agi plus tôt, en prélevant les cellules embryonnaires totipotentes de plusieurs macaques rhésusmacaques rhésus différents, récupérées lors du stade 4 cellules (une des toutes premières phases du développement de l’embryon). Entre 3 et 6 cellules provenant d'embryons différents ont été collées ensemble pour créer 29 blastocystes chimériques. Les chercheurs ont ensuite gardé les 14 qui paraissaient les plus solidessolides pour les implanterimplanter dans 5 femelles macaques. Toutes ont démarré une gestation mais les chercheurs n'ont laissé se développer que trois petits.

    « Les cellules ne fusionnent pas mais travaillent ensemble à l'élaboration des tissus et des organes » commente Shoukhrat Mitalipov, l'un des auteurs de l'étude. Après 5 mois et demi de gestation, trois petits macaques rhésus (Macaca mulatta) ont vu le jour, en pleine forme et en bonne santé. Les scientifiques les ont affublés de noms à la hauteur de la performance. Chimero d'abord. Roku et Hex ensuite, deux (faux) jumeaux, dont les noms signifient 6 en japonais et en grec, pour rappeler le nombre de lignées embryonnaires différentes qui les composent. Pour l'anecdote, tous sont biologiquement des mâles mais Roku présente des cellules femelles dans son organisme.

    Cette illustration démontre les possibilités et les impossibilités de la reproduction in vitro chez les macaques. Le schéma du haut montre qu'une injection de cellules souches embryonnaires (ESC) en dehors des cellules embryonnaires en développement ne conduit à aucune naissance. Au milieu, on constate que l'injection de cellules du blastocystes (ICM) dans un autre blastocyste ne peut aboutir à une naissance que si elles comportent les cellules périphériques. Enfin, la partie du bas résume l'expérience réalisée : des cellules prélevées lors du stade 4 cellules et collées les unes aux autres aboutissent à la naissance d'une chimère lorsqu'on les injecte dans un blastocyste avec des cellules périphériques. © Tachibana <em>et al.</em>
    Cette illustration démontre les possibilités et les impossibilités de la reproduction in vitro chez les macaques. Le schéma du haut montre qu'une injection de cellules souches embryonnaires (ESC) en dehors des cellules embryonnaires en développement ne conduit à aucune naissance. Au milieu, on constate que l'injection de cellules du blastocystes (ICM) dans un autre blastocyste ne peut aboutir à une naissance que si elles comportent les cellules périphériques. Enfin, la partie du bas résume l'expérience réalisée : des cellules prélevées lors du stade 4 cellules et collées les unes aux autres aboutissent à la naissance d'une chimère lorsqu'on les injecte dans un blastocyste avec des cellules périphériques. © Tachibana et al.

    Des singes qui ont beaucoup à nous apprendre

    Ce genre d'expérience n'a pas été tenté pour le plaisir ou la gloire. Jusque-là, on utilisait le modèle murinmodèle murin pour réaliser des expériences thérapeutiques à base de cellules-souches. Or, la transposition à l'Homme pose de nombreux problèmes du fait de l'éloignement phylogénétiquephylogénétique entre les deux espèces. Par cette performance, on s'approche davantage de la compréhension du fonctionnement des cellules souches dans l'espèce humaine.

    « Nous ne pouvons pas tout modéliser à partir de la souris, ajoute Mitalipov. Si nous voulons extrapoler les thérapies cellulairesthérapies cellulaires des laboratoires à la clinique et de la souris à l'Homme, nous devons absolument saisir ce que ces cellules de primates peuvent et ne peuvent pas faire. »

    Les thérapies cellulaires visent à remplacer un tissu mort ou malade par un neuf et en bonne santé. Cela concerne donc de nombreuses maladies, de ParkinsonParkinson au cancercancer en passant par le diabètediabète. Actuellement, même si certains traitements sont appliquées avec succès, ils restent limités par des lacunes persistantes. Ces petits singes pourraient nous en apprendre beaucoup sur nous-mêmes...