Si les tardigrades résistent à la dessiccation totale de leur corps, c'est parce qu'ils synthétisent des protéines très particulières, qui protègent l'intérieur de leurs cellules. Ce grand secret vient enfin d'être découvert grâce à un très beau travail scientifique. Et si nous nous en servions pour imaginer de nouveaux procédés de conservation ?

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    Devenus quasiment légendaires, les tardigrades, petits animaux voisins des arthropodes mais toujours inclassables, n'en finissent pas de fasciner par leurs capacités de résistancerésistance. Au froid, à la chaleurchaleur, aux rayonnements, au vide spatial et à la dessiccationdessiccation. Parce que de nombreuses espèces (les tardigrades en comptent un millier environ) vivent souvent dans des endroits susceptibles de se dessécher complètement - des moussesmousses par exemple -, elles se sont adaptées à cette catastrophe, qui a raison de la plupart des êtres vivants. Dans cette situation, le tardigrade se dessèche, réduisant son volumevolume. Ses pattes et sa tête se replient sous la cuticulecuticule entourant le corps. Le métabolismemétabolisme semble s'arrêter et l'animal se réduit à un minuscule bourgeon tout sec et collé à son support. Dans ces conditions, les protéinesprotéines et l'ADNADN devraient être détruits rapidement.

    Depuis la découverte de ces champions, la capacité de résistance à la dessiccation demeurait un grand mystère. Des chercheurs américains viennent de le lever en grande partie après une belle série d'expériences. Non, les cellules ne sont pas protégées par une forte concentration de tréhalose, un sucresucre dont se servent d'autres animaux pour résister à la dessiccation, comme par exemple les artémies ou certaines grenouilles. Les tardigrades, explique l'équipe de Thomas Boothby dans Molecular Cell, produisent de fortes quantités de protéines très particulières, dites « intrinsèquement, ou nativement, désordonnées », IDP selon leur nom anglais. Découvertes dans les années 1990, ces protéines semblaient battre en brèche un dogme : elles pouvaient prendre diverses formes, selon les circonstances, ce qui semblait contraire à ce que l'on savait de ces grandes moléculesmolécules. Pour autant, ce n'est pas la première fois que des protéines sont désignées comme le secret de ce genre de résistance. En 2016, Takekazu Kunieda, de l'université de Kyoto, avait découvert une protéine impliquée dans la protection vis-à-vis des rayonnements.

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    Pourra-t-on bénéficier des super-pouvoirs des tardigrades ?

    Six tardigrades déshydratés. Tête et pattes sont recroquevillées sous la cuticule. Dans les cellules, le métabolisme est figé dans une matrice vitreuse. © Thomas Boothby

    Six tardigrades déshydratés. Tête et pattes sont recroquevillées sous la cuticule. Dans les cellules, le métabolisme est figé dans une matrice vitreuse. © Thomas Boothby

    Les protéines IPD protègent les tardigrades desséchés

    Les chercheurs ont montré que les gènesgènes codant pour ces IDP sont activés chez les tardigrades confrontés à l'évaporation de l'eau autour d'eux. Et ce chez trois espèces différentes. Mieux, en inactivant ces gènes, ils ont rendu des tardigrades incapables de survivre à la dessiccation. Pour clore la démonstration, Thomas Boothby et ses collègues ont introduit ces gènes chez des bactéries et des levures, lesquelles ont alors acquis cette résistance.

    Lors du dessèchement, ces protéines multiformes forment une structure vitreuse qui immobilise les molécules à l'intérieur des cellules. Ainsi figées, elles ne subissent pas les effets désastreux d'une augmentation de concentration. Le mécanisme est le même que celui offert par le tréhalose : la nature a trouvé deux moyens différents pour parvenir au même résultat... Les chercheurs ont avancé aussi sur une autre hypothèse, pour l'invalider. On pensait que, peut-être, les multiples résistances des tardigrades pouvaient être des effets secondaires de cette adaptation à la dessiccation. Dans ce cas, les gènes produisant les IPD devraient être activés aussi pour d'autres types de stressstress. Sur les trois espèces testées, un gros coup de froid n'a pas généré de synthèse d'IPD. Conclusion des auteurs : les tardigrades ont plusieurs astuces pour faire face à différentes conditions extrêmes.

    Enfin, comme on l'avait déjà imaginé, les humains pourraient s'inspirer des trouvailles des tardigrades. Les auteurs ne manquent pas de conclure en expliquant qu'il serait peut-être possible d'utiliser ce principe de la vitrificationvitrification pour protéger des médicaments ou des cellules vivantes.